The Time of our Singing, un opéra pour transcender les identités

Nicolas Zomersztajn
Sacré Best World Première aux International Opera Awards après sa création en 2021, The Time of Our Singing est de retour à Bruxelles, à La Monnaie. Composé par Kris Defoort et mis en scène par Ted Huffman, cet opéra adapte le roman éponyme de Richard Powers et explore de manière originale les identités multiples, le racisme et l’importance de la musique dans une traversée de cinquante ans d’histoire américaine.
Partagez cette publication >

The Time of our singing propose une ample et belle partition sur le XXe siècle américain. C’est par le prisme d’une famille que cet opéra observe le rêve américain, un rêve bien souvent inabouti. Le père, David Strom, est un physicien juif allemand émigré aux Etats-Unis dont la famille restée en Allemagne sera emportée par la Shoah. La mère, Delia Daley, est une femme noire américaine étudiante en musique classique à Philadelphie. Ils se rencontrent à Washington en avril 1939 lors du concert que la cantatrice noire Marian Anderson a donné devant le Lincoln Memorial après qu’il lui a été interdit (en raison de sa couleur de peau) d’accéder au Constitution Hall où elle devait se devait initialement se produire.

David épouse Delia malgré la réticence de son père qui ne croit pas au métissage. Il est convaincu que David fait partie de la « race des tueurs » alors que ce dernier est un Juif également victime de la folie raciste. Ensemble Delia et David tentent d’élever leurs trois enfants dans l’amour de la musique. Le fils aîné, Jonas, ténor à la voix extraordinaire et figure dominante de la fratrie devient un chanteur lyrique dont la carrière se déroule en Europe. Joey, le deuxième garçon de la famille, devient le pianiste accompagnateur de son frère aîné Tous deux vont traverser ensemble 50 ans de l’histoire américaine, affronter la discrimination raciale faite aux noirs, et dévouer leur vie à la musique. Quant à Ruth, la benjamine, marquée par l’injustice raciale et sociale des Etats-Unis, devient une militante active des Black panthers, rejetant la culture blanche et la musique classique à laquelle ses frères se sont consacrés. Joey tente de maintenir le lien dans cette famille déchirée, et de trouver sa propre voie vers le bonheur. Mais cette quête de bonheur n’est pas simple quand on est métis. « Les trois enfants prennent conscience, chacun à leur rythme et à leur manière, de ce qu’ils ne sont pas acceptés par la société blanche, mais de ce qu’ils ne font pas non plus véritablement partie de la communauté noire », souligne Peter Van Kraaij dramaturge et librettiste ce cet opéra.

Levy Sekgapane, Simon Bailey et Claron McFadden ©Simon Van Rompay

Tout en se penchant sur le long combat pour l’émancipation des Noirs américains, cet opéra montre à quel point la musique constitue le cœur et le poumon de cette famille. Bien souvent, le père ou la mère s’assied au piano et tous se mettent à chanter et à improviser ensemble pour créer des moments de parfaite harmonie. « La musique est une constante au sein de la famille – c’est un élément clé dans la construction de cette œuvre », précise Peter Van Kraaij.

Entièrement centré sur la musique, ne vivant que pour et par elle, le couple élève ses enfants dans un halo protecteur, dont chacun sortira à sa manière. Les enfants Strom sont de prodigieux chanteurs, qui tentent de comprendre leur monde par l’intermédiaire de la musique, et de le refaire à leur façon, faute de pouvoir le dépasser. « Les trois enfants Strom trouvent chacun une réponse différente aux questions qu’ils se posent à propos de l’identité et à propos du rôle de l’art dans la société », explique Peter Van Kraaij. « Joey emprunte une voie intermédiaire : il opte pour un engagement politico-social dans l’école que sa sœur a contribué à fonder, tout en restant fidèle à sa vocation artistique. Les deux autres représentent les extrêmes : Jonah se préoccupe uniquement de musique, un moyen pour lui de fuir le monde, tandis que pour Ruth, seul compte l’engagement social. Tous les personnages sont à la recherche de leur individualité, avec des hauts et des bas. »

Kris Defoort a réussi à donner toute sa vitalité à cette partition en choisissant audacieusement le jazz comme musique de cet opéra. Tout au long de la représentation, le public se laisse emporter par des airs et des sons très largement marqués par des musiciens jazz des années 1960. Comment ne pas songer à John Coltrane, ce saxophoniste légendaire dont la musique fut une des bandes-son pour le mouvement des droits civiques. De la même manière que John Coltrane, Kris Defoort utilise la musique et l’opéra pour toucher le public dans toute sa diversité et diffuser un message d’égalité, de tolérance et de respect.

Du 24 octobre au 2 novembre 2024 à 19h30
Infos et réservation https://www.lamonnaiedemunt.be/fr

S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Découvrez des articles similaires

TKT (T’inquiète)

Comédie dramatique coup de poing, TKT traite des ravages du harcèlement scolaire. Solange Cicurel, qui semble avoir posé des caméras cachées tant le naturel du film surprend, offre une palette vive et colorée à ce sujet bien sombre. Un pari réussi.

Lire la suite »

Le récit du 7 octobre en BD

Dans Au cœur du 7 octobre. Témoignages (Éditions Delcourt), un collectif de bédéistes, de dessinateurs de presse et d’illustrateurs israéliens rassemblé autour d’Ouri Fink, a retracé en bande dessinée la journée tragique du 7octobre 2023, à travers le récit d’actes de bravoures accomplis par des gens ordinaires dans les kibboutz du Sud d’Israël et au festival Supernova.

Lire la suite »