Cynisme, brutalité, antisémitisme rampant et glissement idéologique. Dans La Meute (Éditions Flammarion), les journalistes Charlotte Belaïch et Olivier Pérou plongent dans les entrailles de La France insoumise (LFI) pour en exposer les dérives.
Signé à quatre mains par les journalistes Charlotte Belaïch (Libération) et Olivier Pérou (Le Monde), La Meute permet de saisir le meilleur du pire de ce que le populisme de gauche peut produire : un fonctionnement « sectaire », fondé sur le culte du chef et la multiplication de procès excommuniant les militants en dehors de la ligne. Une méthode qui n’est pas sans rappeler les pires heures du Parti communiste à la mode stalinienne.
La teneur, l’ampleur et la compilation des faits exposés dans La Meute donnent le vertige. Il aura en effet fallu au duo Belaïch-Pérou deux années d’une enquête patiente pour mettre à jour la réalité du pouvoir mélenchoniste. Avec à la clé des centaines de témoignages émanant de militants ou d’anciens cadres et la révélation de quelques documents exclusifs. L’occasion de (re)découvrir les détails ahurissants d’une pratique politique largement déviante. Celle-ci, initiée par un leader dépeint comme un « gourou insultant et brutal », permet à Jean-Luc Mélenchon d’assouvir une ambition présidentielle bien connue mais de plus en plus questionnable à mesure qu’émergent, à gauche, d’autres figures désormais capables de rassembler sans cliver. Reste aux Insoumis une force réelle et symbolique, notablement peu déconstruite, et par bien des aspects en dehors des clous du mouvement woke auquel son état-major entend s’adresser. Plus proche du culte de l’homme fort que de la gauche alter à la Bernie Sanders, il y a bien longtemps que le lider maximo de LFI a théorisé son usage du « bruit et de la fureur » pour mieux saturer l’espace médiatique. Or, si les griefs à son encontre ne se limitaient qu’aux bémols concernant ses manières gueulardes, Mélenchon s’en tirerait à bon compte. Mais il y a pire. Et largement plus inquiétant.
Le côté obscur de la nébuleuse
« La France insoumise, c’est aujourd’hui près de 450.000 sympathisants, et quelque 100.000 militants. Un mouvement de toutes les manifestations, solidement ancré à un programme fastueux, d’autant plus riche qu’il est actualisé à l’aube de chaque présidentielle. LFI, ce sont 71 députés qui agitent souvent l’Assemblée nationale, quelques élus locaux et des cadres médiatiques, qui impressionnent parfois leurs partenaires autant que leurs adversaires. LFI, c’est un visage surtout. Celui de Jean-Luc Mélenchon. Un homme aux plus de 7 millions d’électeurs en 2017 et en 2022. Mais c’est aussi un mouvement mal connu, fermé, aux secrets bien gardés. Une nébuleuse au fonctionnement obscur. », rappellent Belaïch et Pérou. Dans le livre, si certains « purgés » et anciens proches en rupture tels Raquel Garrido ou Alexis Corbière parlent à visages découverts, d’autres, encore au cœur de la machine, s’expriment en off. Tous racontent l’enthousiasme des débuts et la dégradation progressive du climat militant. Les témoignages se recoupent : Jean-Luc Mélenchon serait à la tête d’une « secte » servie par un entourage « toxique ».
Mais s’il est bien un fil rouge qui traverse le livre – et n’étonne plus par sa constance – c’est bien l’hostilité témoignée à divers endroits du mouvement envers les Juifs. Publiquement, les ténors de LFI s’offusquent et rejettent catégoriquement la critique. « L’accuser d’antisémitisme, lui ? À chaque fois qu’on l’interpelle sur le sujet, Mélenchon laisse ses yeux s’embuer », lit-on dans La Meute « L’acide passe sous l’armure », dit-il à ses lieutenants, grandiloquent. « Comme pour les perquisitions en 2018, il pensait que toute la gauche allait s’offusquer des attaques contre lui et le soutenir, affirme l’un d’eux. Ça n’a pas été le cas, ce qui alimente sa paranoïa. Maintenant, il accepte le stigmate. »
Au fil des années, l’ancien socialiste a plusieurs fois déclenché des polémiques, en affirmant par exemple qu’Éric Zemmour « reproduisait beaucoup de scénarios culturels [du judaïsme] », qui sont « on ne change rien à la tradition, on ne bouge pas », ou que Jésus avait été mis sur la croix « par ses propres compatriotes ». Ses anciens proches, même après de violentes ruptures, l’ont longtemps défendu. Mélenchon Antisémite ? Jamais ! Beaucoup rappellent que le socialiste a longtemps fait de la politique avec des Juifs : Jérôme Guedj, son fils politique, Éric Benzekri, ou plus tard le communicant Arnauld Champremier- Trigano. Sur ce dernier point, Belaïch et Pérou visent juste. Des années durant, Jean-Luc Mélenchon s’est entouré de Juifs, qu’il s’agisse des vieux cadres formateurs des groupuscules trotskistes dans lesquels il frayait dans sa jeunesse en passant par les potes de SOS Racisme et l’ami Julien Dray dont il fut longtemps proche avant de s’éloigner de manière spectaculaire. L’enfant de Tanger, arrivé en France à 11 ans, partage avec eux le sentiment du déracinement et dit comprendre la culture juive séfarade, reprennent les auteurs. À certains, il raconte d’ailleurs se vivre comme un « marrane », un Juif converti au catholicisme pour échapper à l’Inquisition espagnole. « À l’entrée de sa porte il y a des grigris et il tape dessus, comme les Juifs touchent la mezouza en rentrant chez eux », raconte Arnauld Champremier-Trigano, qui était proche de Mélenchon jusqu’à ce qu’il décide de travailler pour les écologistes. « Il était très sioniste, poursuit-il. Il disait même que les propalestiniens n’avaient pas leur place chez nous. (…) Mais les mêmes qui l’excusaient hier doutent aujourd’hui. Face à la multiplication des faux pas, ce que certains prenaient pour de la maladresse commence à ressembler à une logique. Alors que les actes antisémites grimpent en France, Mélenchon qualifie la marche contre l’antisémitisme organisée le 12 novembre 2023 de « soutien inconditionnel au massacre », assimilant ainsi les Juifs français à la politique israélienne. Le 29 avril 2024, il conspue Jérôme Guedj, l’accusant d’être ambigu sur le conflit israélo-palestinien, “ un signe dans son milieu de fanatisme’’.
« Les Juifs ? Ils n’en ont rien à faire… »
La liste des déclarations de LFI orientant cyniquement l’hostilité envers les Juifs est désormais longue. Loin de constituer des dérapages ou autres maladresses, celles-ci sont régulièrement tenues sur un canal préférentiel : le blog de Jean-Luc Mélenchon, sur lequel chaque mot est pesé pour atteindre des cibles qui ne doivent rien au hasard. C’est notamment par ce biais – alors que les chiffres des agressions antisémites grimpait en flèche – que le chef de file des Insoumis qualifiait l’antisémitisme en France de « résiduel ». Un aveuglement qui se vérifiera par la suite et dont La Meute dresse la chronologie : « Alors qu’une enfant de 12 ans a été victime d’un viol antisémite par trois adolescents, qui l’ont traitée de ‘‘sale Juive’’ et fait chanter ensuite, Mélenchon interroge sur un plateau télévisé : ‘‘Ces jeunes gens ont-ils conscience qu’ils commettent un crime ? Clairement ce n’est pas le cas. J’imagine qu’à 12 ou 13 ans on n’a pas envie d’être criminel’’. Dénonçant ‘‘une abomination d’un bout à l’autre’’, il insiste sur ‘‘l’éducation de nos garçons’’ et la ‘‘culture du viol’’, faisant abstraction de son caractère antisémite. Le 22 septembre 2024, dans une nouvelle note, il évoque le « génocide » en cours à Gaza et affirme que la ‘‘destruction humaine et physique’’ est ‘‘pire que celle de la Deuxième Guerre mondiale’’. Le 25 février 2025, il somme la diaspora de protester contre le refoulement de Rima Hassan en Israël, rendant les Juifs français comptables de la politique israélienne. Au fil des mois, jamais il ne condamnera les propos tenus dans ses rangs ». Ce qui fait dire à Alexis Corbière, en rupture et en conflit ouvert avec la direction de LFI : « Ils sont ultra réactifs sur le reste mais quand c’est les Juifs, ils n’en ont rien à faire. Dans quel jus ils baignent pour faire ce genre de conneries ? Ils n’ont aucune culture politique, rien n’a existé avant eux. Pour eux, la lutte contre l’antisémitisme c’est un truc de bourgeois. »
Dans les pages qui suivent, les auteurs exposent une série de propos relatés comme autant de signes d’une hostilité croissante envers la communauté juive, son pouvoir supposé, ses défenseurs et ses représentants, relégués au rang « d’agent du Likoud » ou d’un mystérieux « lobby dont on ne pourrait pas dire le nom ». « On a une hyperréactivité sur la moindre agression contre des musulmans alors qu’on est plus lents, moins en meute, sur l’antisémitisme », concédait un député insoumis en 2023. Reste à savoir si le livre aura un impact sur les futures campagnes de LFI. Depuis plusieurs semaines, les cadres du mouvement, soucieux du retentissement de La Meute, ont réagi en « faisant bloc », dénonçant « une série de mensonges » et utilisant la tempête médiatique comme carburant pour galvaniser leurs troupes. Si le noyau dur tient bon, des observateurs soulignent néanmoins que la figure de Jean-Luc Mélenchon suscite un rejet croissant dans l’opinion. Signes qui ne trompent pas : tandis que les hypothèses Ruffin ou Glucksmann prennent de l’ampleur, dans les sondages préfigurant le second tour de la présidentielle 2027, la figure du leader insoumis n’est plus gagnante. D’aucuns y liront la morale d’une fable : à force de diviser pour mieux régner, le périmètre du royaume insoumis a fini par se réduire comme peau de chagrin.






