Le 18 octobre, la RTBF diffuse un documentaire en deux volets de 50 minutes, coproduit par Willy Perelsztejn pour Les Films de la Mémoire et consacré aux pogroms de novembre 1938. Trop souvent réduits au terme trompeur de Nuit de cristal, ces violences sont ici replacées dans la continuité des politiques antisémites du IIIe Reich. Ce film rappelle qu’il ne s’agit pas d’une flambée de violence irrationnelle mais d’un moment-clé d’un processus idéologique et politique. Celui de la radicalisation antisémite nazie.
Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, l’Allemagne bascule. Partout dans le Reich, synagogues, commerces et appartements juifs sont saccagés. En une seule nuit, près de 1.400 lieux de culte et oratoires sont détruits, des dizaines de personnes assassinées et environ 30.000 hommes juifs arrêtés et internés dans les camps de concentration. Pour beaucoup, l’événement est connu sous le nom de Nuit de cristal, en référence aux éclats de verre brisés recouvrant les trottoirs. Mais derrière cette image faussement poétique, c’est en réalité un véritable pogrom qui a lieu : pillages, violences, humiliations publiques et meurtres, mis en scène dans le silence coupable voir l’approbation d’une partie de la population allemande.
C’est ce moment-charnière que revient explorer les deux épisodes du documentaire diffusé par la RTBF. De grande qualité, il s’appuie sur des lettres et journaux intimes de victimes et de témoins, ainsi que sur des photos inédites. Il nous offre une plongée saisissante dans la brutalité du quotidien des Juifs du Reich et dans la mécanique politique qui l’a rendue possible. Car le film nous le rappelle avec force : la nuit du 9 novembre ne fut ni improvisée ni spontanée. Elle s’inscrit dans un processus mûri depuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, celui de l’exclusion méthodique et de la déshumanisation des Juifs au sein de la société allemande.

Diffusion le 18 octobre 2025 sur la Trois dans le cadre de l’émission Retour aux Sources.
Un film de Marie-Pierre Camus et Guillaume Vincent, co-production Franco-Belge pour Les films en vrac/Les films de la mémoire/Création et mémoire.
Depuis leur accession au pouvoir en 1933, les nazis imposent boycott économique, exclusions professionnelles et lois raciales. L’objectif est clair : signifier aux Juifs qu’ils n’ont plus d’avenir dans le Reich. Pourtant, l’exode reste limité : à peine 50.000 départs sur une population d’environ 500.000 personnes. Beaucoup manquent de ressources ou ne trouvent pas de pays d’accueil. L’année 1938 marque un tournant. L’Anschluss (annexion de l’Autriche) et son cortège d’humiliations publiques et d’internements massifs de Juifs autrichiens provoque la fuite de nombre d’entre eux. Mais la conférence d’Évian convoquée par Roosevelt cette même année va consacrer l’abandon par la communauté internationale des réfugiés juifs. Les pays réunis refusent d’ouvrir leurs portes et finissent de convaincre les nazis que personne ne se soucie du sort des persécutés.
C’est dans ce climat que survient, en novembre 1938, l’attentat de Herschel Grynszpan contre un diplomate allemand à Paris, Ernst vom Rath. Le régime saisit l’occasion. Le soir du 9 novembre, alors que le parti commémore les 15 ans du putsch raté de la brasserie de Munich, Goebbels orchestre le pogrom. Sous couvert de colère populaire, la violence est en réalité planifiée, alimentée par les fichiers préparés par les autorités.
Continuité idéologique
Ce documentaire insiste sur la mise en scène, sur la continuité idéologique qui mène au pogrom et sur le basculement qu’il représente. Pour la première fois, des citoyens sont arrêtés et internés uniquement pour leur appartenance au peuple juif, sans autre prétexte politique. C’est le spectacle paroxystique d’une violence publique assumée, prélude direct à la Shoah.
Produit d’un travail historique rigoureux, ce documentaire nous permet de replacer ces pogroms dans la continuité des politiques nazies. En rompant avec les clichés qui les isolent, il en éclaire la cohérence dans un dispositif global d’exclusion et de violence. En redonnant voix aux victimes et en déconstruisant les mythes, ce travail de mémoire nous rappelle que la Nuit de cristal ne fut pas un simple épisode, mais l’aboutissement de tout un projet national de persécutions et le résultat tangible d’un engrenage qui allait mener au projet génocidaire nazi.






