07/10/2025
Regards n°1119

Chez Bob Dylan, un artiste peut en cacher un autre…

Toujours en tournée à 84 ans, Bob Dylan revient en Belgique cet automne pour trois concerts très attendus à BOZAR. Mais derrière la légende vivante de la contreculture se cache un artiste en quête d’autres voies d’expression. Depuis les années 1970, la peinture constitue pour lui un refuge secret, intime et mystérieux. Une passion qui constitue une histoire juive autant qu’une tentative de reconquête biographique.

On the road again… Lancé dans un never ending tour qui constitue concert après concert, l’œuvre de sa vie, Bob Dylan revient cet automne en Belgique. Trois dates impatiemment attendues par ses fans, les 26, 27 et 28 octobre à BOZAR, avant de cheminer vers Paris, Cologne, Amsterdam et l’Angleterre. A 84 ans, l’icône n’abandonne ni son micro ni son l’harmonica pas plus que les mille histoires qui émaillent sa longue carrière. L’une des plus mystérieuses, remonte aux années 1970. Il y a un demi-siècle, l’auteur-compositeur-interprète a déjà atteint le statut de mythe. On le photographie sans cesse, on épie les moindres recoins de sa vie et de son œuvre en quête de signes politiques éclairants. Une écrasante adoration devenue difficile à vivre pour le principal intéressé. A trente-trois ans, âge éminemment christique, le voilà donc qui vacille. Après une dizaine d’albums, son inspiration se tarit. Sur le plan personnel, son couple avec Sara, la mère de ses quatre enfants, bat de l’aile. Il cherche un ailleurs, une suite… Ce sera la peinture. Rédacteur en chef du magazine Rolling Stone, Belkacem Bahlouli formule une hypothèse : « À mon avis, Dylan se tourne vers la peinture non pas comme un hobby passager, mais comme un acte de survie artistique et existentiel. Son vrai problème ? On le prend pour un oracle. Il porte le fardeau d’une œuvre mythifiée et surtout réinterprétée dans tous les sens. » Bahlouli souligne à quel point la peinture reste chez Dylan une affaire cachée, mystérieuse. « Il s’est peu exprimé sur le sujet et a été très peu interrogé sur cette question qu’il évacuait à la Dylan, avec une réponse cynique ! J’ai néanmoins retrouvé cette phrase sur le site de son galeriste : « L’idée était de créer des images qui ne pourraient pas être mal interprétées ou incomprises par moi ou par quiconque » ». Et le rédacteur en chef de Rolling Stone de conclure : « À l’instar de ses échappées dans le cinéma ou la littérature, Dylan cherche avant tout une autre forme d’expression. »

Look rabbinique et lunettes cerclées

Avant de produire une œuvre digne de ce nom, encore faut-il en passer par une phase d’apprentissage. Fasciné par Van Gogh, attiré par le Caravane et Botticelli, Dylan sait qu’il a du chemin à parcourir avant d’atteindre un niveau correct. La première étape de son initiation a lieu à Woodstock, terre promise de la contreculture américaine et lieu d’établissement symbolique pour Dylan.

« Bob suit les cours de Raeben, le rabbin, assidûment, cinq jours par semaine, de huit heures trente du matin à quatre heures de l'après-midi. ‘‘Il parlait tout le temps’’, poursuit Bob, ‘‘et il parlait sept langues. [...] Il voulait me dire des trucs sur moi pendant que j'étais en train de travailler, en train de dessiner. J'étais incapable de peindre. Je pensais que je le pouvais. Je ne pouvais pas dessiner. [...] J'ai oublié 90% de ce qu'il a essayé de m'apprendre’’. »

Loin des tentations new-yorkaises, il s’y réfugie avec femme et enfants dans ce qui ressemble à s’y méprendre à un exil. Selon Yves Bigot, l’un de ses plus fins biographes, « il arbore alors un look rabbinique, cheveux courts, collier de barbe fin, lunettes cerclées » et lit un livre en particulier, qu’il recommande à tout le monde, en boucle : la Bible. Quand il n’étudie pas, Dylan s’occupe de sa progéniture, chante et peint avec son voisin, l’artiste Bruce Dorfman. Ce sera lui, le premier, qui lui apprendra les techniques de base, la bonne manière de tenir un pinceau, de mélanger les couleurs.

Quelques années plus tard, en 1974, c’est un Dylan perdu qui pousse la porte d’un vieux peintre d’origine juive ukrainienne, Norman Raeben. Né en 1901, ce dernier n’est autre que le fils de l’écrivain de langue yiddish Sholem Aleikhem dont les écrits inspireront notamment la comédie musicale à succès Un violon sur le toit. Si l’on ignore l’essentiel du contenu de ces cours et de leur influence, on connait en revanche la farouche volonté de Dylan de cacher cet ainé juif chez lequel il se réfugie, s’ouvre à un nouvel art et en revient tellement bouleversé qu’il prend des mesures drastiques : quitter sa femme et composer deux nouveaux albums, les fameux Blood on the Tracks et Desire. Dans le livre Dix jours avec Bob Dylan, Robert Martin raconte : « Bob suit les cours de Raeben, le rabbin, assidûment, cinq jours par semaine, de huit heures trente du matin à quatre heures de l’après-midi. ‘‘Il parlait tout le temps’’, poursuit Bob, ‘‘et il parlait sept langues. […] Il voulait me dire des trucs sur moi pendant que j’étais en train de travailler, en train de dessiner. J’étais incapable de peindre. Je pensais que je le pouvais. Je ne pouvais pas dessiner. […] J’ai oublié 90% de ce qu’il a essayé de m’apprendre’’. »

Le geste pictural dylanien intrigue

L’obsession se poursuit. En 1975, l’icône quitte l’Amérique pour venir rencontrer un certain David Oppenheim. Ce dernier habite une maison perdue dans les Alpes françaises. Dylan y débarque de manière rocambolesque, presque à l’improviste. Il est en quête de discussions artistiques et cherche, toujours selon David Martin, « un grand frère juif ». Oppenheim, plus figure méditerranéenne truculente que sage juif millénaire, déçoit quelque peu Dylan. Cela n’empêche pas les deux hommes, accompagnés de Robert Martin, de partir pour un périple épique en direction de la Corse. Les années passent. Ce n’est que sur le tard, à l’occasion de plusieurs expositions récentes, que les toiles du chanteur, largement axées autour de ses marottes (l’Amérique des grands espaces, la ville et les périphéries, la route et la captation des impressions de l’instant) seront présentées au grand public. Expression décevante pour les uns, féconde tentative folk aux yeux de ses admirateurs, le geste pictural dylanien ne fait pas l’unanimité mais il intrigue. Reste, dans cette histoire, un ultime legs artistique : une installation laissée par Dylan en Provence, dans le parc du Château La Coste, au Puy-Sainte-Réparade. Un wagon, Rail Car, rappelant la conquête de l’Ouest mais évoquant également, de manière tout à fait troublante, le wagon du souvenir tel qu’on le voit au mémorial de la Shoah à Drancy… Est-ce vraiment un hasard ?

Écrit par : Laurent-David Samama

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