L’imputation contemporaine de « génocide » à Israël prolonge, sous une forme sécularisée, la double charge de déicide et d’infanticide qui a structuré des siècles d’antijudaïsme chrétien en Europe. L’accusation de déicide – faisant des Juifs les responsables collectifs de la mort du Christ – fut la pierre angulaire de l’antisémitisme médiéval, les vouant à une malédiction sans terme.
À ce reproche théologique s’est ajouté, dès le XIIᵉ siècle, le libelle de sang, prétendant que les Juifs assassinaient des enfants chrétiens pour des rites imaginaires. Cette fiction a durablement ancré, dans l’imaginaire européen, l’idée d’un judaïsme intrinsèquement criminel. Aujourd’hui, l’accusation selon laquelle l’armée israélienne viserait délibérément les enfants palestiniens, et non les combattants, prolonge ce mythe en l’actualisant.
Comme l’a noté le juriste et homme d’État Irwin Cotler, le « libelle de génocide » épouse la même structure accusatoire que le « libelle de sang ». Dans les deux cas, il s’agit de figurer les Juifs comme porteurs d’une violence absolue, inhumaine et inexpiable, afin de les délégitimer, de justifier la haine ou de mobiliser une cause politique. Si l’antisémythe de l’infanticide et du vampirisme juif est relativement récent dans le monde arabe (il surgit en 1840 avec l’affaire dite de Damas), il est aujourd’hui profondément ancré dans la psyché arabo-musulmane, où il constitue l’une des croyances anti-israéliennes centrales, notamment depuis la première Intifada. L’imaginaire du Juif voleur d’organes, buveur de sang, prédateur d’enfants, trouve aujourd’hui une nouvelle respectabilité militante.
Exemples tous récents. En France, le 29 octobre, la marraine de la dernière promotion de droit de l’ULB, la sulfureuse eurodéputée Rima Hassan, partage sur X sa réaction à un article conspirationniste d’une certaine Harriet Williamson, publié par le média britannique d’ultra-gauche Novara Media : « Le vol d’organes par Israël sans leur consentement. Une pratique vieille de 30 ans. »
À Londres, le 11 novembre 2025, dans la prestigieuse University College London, une chercheuse palestinienne, Samar Maqusi, donne une conférence devant des membres de la section Students for Justice in Palestine sur l’origine du sionisme. Sans qu’on en saisisse le lien, l’ancienne employée de l’UNRWA, recycle le vieux fantasme du « meurtre rituel » en évoquant l’affaire de Damas de manière totalement surréaliste, confondant Souccot et Pessah, datant l’épisode de 1838 et expliquant, en substance, que les Juifs prépareraient lors d’une « fête » des galettes auxquelles il conviendrait d’ajouter quelques gouttes de sang de non-Juif. Fait remarquable, qui contraste tristement avec le laxisme de nos universités belges, la direction de l’université londonienne, par la voix de son recteur Michael Spence, a dénoncé des propos « odieux », présenté ses excuses à la communauté juive, saisi la police, suspendu la chercheuse, lui interdisant l’accès au campus tout comme au groupe étudiant organisateur.
Le 20 novembre dernier à Union Station, à Washington, des militants antisionistes mettent en scène une performance parodique de Friendsgiving où des acteurs masqués en Netanyahou, Trump, Biden et autres dirigeants américains boivent du faux sang et dévorent de faux membres humains, sur fond d’étoiles de David maculées de rouge. Un menu géant, intitulé Israel’s Friendsgiving Dinner, propose notamment des « membres d’enfants de Gaza », des « organes volés » et la boisson Gaza’s spilled blood.
Dernier exemple, peut-être plus inquiétant encore est la toute récente canonisation, le 7 septembre 2025, de Carlo Acutis, un adolescent italien décédé à 15 ans. Souvent présenté comme « le saint de l’Internet » ou « God’s influencer » en raison de son usage du web, ce jeune catholique s’est fait connaître pour avoir construit un site consacré aux « miracles eucharistiques », c’est-à-dire, notamment à des récits de profanation d’hosties imputés aux Juifs. Dans l’exposition et le site de Carlo Acutis, le miracle eucharistique de Bruxelles figure en bonne place : on y raconte que des « profanateurs » ont volé des hosties, les ont transpercées de coups de couteau et qu’un « sang vivant » s’en est écoulé. Tout comme dans son récit du miracle des Billettes (Paris, 1290), Carlo Acutis s’appuie sur des légendes urbaines où les accusés sont explicitement désignés comme Juifs, qu’il remplace astucieusement par « non-croyants » ou « profanateurs ». L’astuce est grossière : il a beau gommer le mot « Juif », la structure du récit reste celle d’un crime sacrilège attribué à cet Autre démonisé qui est le Juif. Son œuvre (une version édulcorée d’un mythe antisémite, sans aucune mise en garde historique) est diffusée à l’échelle mondiale et notamment en Belgique, dans les paroisses et écoles catholiques, comme à Woluwe-Saint-Lambert en 2020.
La parenthèse de culpabilité ouverte après la Shoah semble bel et bien close. Le Juif est en train de redevenir celui des pires cauchemars. De la France aux Etats-Unis des listes d’artistes et de professeurs juifs à boycotter et même à abattre circulent désormais. Et le quotidien Le Soir de nous présenter sur deux pages la toute récente flambée antisémite, sans la moindre tentative d’explication, sous le signe de discriminations et de micro-agressions. On serait presque rassuré n’était l’analyse donné tout récemment par La Libre Belgique.






