« Scénarios culturels du judaïsme », quèsaco ?

Nicolas Zomersztajn
Lors d’un entretien qu’il avait accordé fin octobre sur BFMTV, Jean-Luc Mélenchon, le bouillonnant leader de La France insoumise (LFI) a tenu des propos curieux sur les Juifs alors qu’il parlait d’Eric Zemmour, candidat de l’extrême droite à l’élection présidentielle française.
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Mélenchon évoquait les « scénarios culturels du judaïsme » que reproduirait Eric Zemmour : « on ne change rien à la tradition, on ne bouge pas, la créolisation, mon dieu, quelle horreur ! Et tout ça, ce sont des traditions qui sont beaucoup liées au judaïsme. Ça a ses mérites d’ailleurs, ça lui a permis de survivre dans l’histoire » ! Une manière habile de dire que les Juifs sont racistes.

Il est surprenant qu’un homme si cultivé et si féru d’histoire affiche de manière aussi méprisante son ignorance de la réalité des « scénarios culturels » juifs. Il ne fait que reprendre à son compte une veille accusation selon laquelle les Juifs auraient une forte inclination au particularisme et au repli identitaire alors que leur histoire montre plutôt le contraire : une dilection pour l’universel. Si les Juifs avaient à ce point en horreur la « créolisation », comment expliquer que la mixité conjugale soit si répandue au sein du monde juif. Il n’y a pas une famille juive qui ne connaisse pas de mariage mixte : il y a toujours un oncle, une tante, un cousin, une cousine, une sœur ou un frère dont le partenaire de vie n’est pas juif ou juive. Ce phénomène n’a d’ailleurs rien d’inédit. Il y a plus de 80 ans, Cecil Roth, le grand historien britannique spécialiste du judaïsme européen, avait déjà observé dans ses travaux le nombre élevé de mariages mixtes chez les Juifs au sein de l’Empire romain ! Soulignant leur intégration à la civilisation romaine, Cecil Roth avait aisément démonté le mythe de l’hostilité juive au métissage, à la « créolisation ».

Les propos peu amènes de Mélenchon témoignent à nouveau de l’incompréhension que suscite la permanence juive à travers les siècles et la question du rapport à l’universel qu’elle pose. Là où de nombreux esprits s’obstinent à opposer de manière irréductible l’universel au particulier, les Juifs ont toujours réussi à combiner leur aspiration universaliste avec l’affirmation de leur particularisme. Que ce soit sous le règne des Ptolémées (du 4e au 1er siècle avant notre ère) ou aujourd’hui, les Juifs s’efforcent de contribuer à l’universalisme des idées, des sciences et du droit tout en étant fidèles à la judéité. Dans cette perspective juive, l’universel et le particulier ne s’opposent pas ; ils sont intimement liés, l’un renforçant l’autre.

La fête de Hanoucca, pendant laquelle nous commémorons la victoire des Maccabées sur le roi grec séleucide Antiochos IV Epiphane en 167 avant notre ère, illustre bien ce lien indissociable entre l’universel et le particulier. Avant ce règne désastreux pour les Juifs, ces derniers se sont fondus merveilleusement dans la civilisation grecque. Tant en Judée qu’en diaspora, les rois Ptolémées ont favorisé l’hellénisation des Juifs qui le souhaitaient sans pour autant indisposer les tenants du respect de la tradition religieuse. Comme son descendant européen aujourd’hui, le Juif hellénisé était parfaitement à l’aise dans sa culture environnante tout en ayant conscience d’appartenir à une communauté particulière de destin. Mais comme de nos jours, cette symbiose judéo-grecque dépend aussi de l’attitude des autorités envers les Juifs. Si cette hellénisation devient forcée et se transforme en une véritable politique de déjudaïsation comme le fit Antiochos IV Epiphane, alors tous les facteurs se combinent pour que les Juifs résistent, non pas contre la « créolisation » ou l’universalisme, mais contre la destruction de leur identité.

Nos « scénarios culturels » nous situent donc du côté de l’universalisme en ce qu’il favorise la diversité tout en la conciliant avec le respect de lois communes et la promesse universaliste de garantir les droits de l’Homme. Parmi lesquels l’égalité, et tout particulièrement l’égalité homme-femme que refusent les plus hostiles contempteurs de l’universalisme au nom de leurs traditions particulières et leurs « scénarios culturels ».

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