Un patriarche de la photographie de presse belge

Roland Baumann
Photographe de Béjart et témoin de l’âge d’or de la photo de presse en Belgique, Henri-Louis Weichselbaum évoque des temps forts de sa carrière et les règles de son art.
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Enfant caché, né à Bruxelles de parents originaires de Pologne, Henri-Louis Weichselbaum a été durant plus d’un demi-siècle un des protagonistes de l’aventure du photojournalisme belge. Depuis l’aube des Golden Sixties jusqu’au début de notre siècle qui voit l’explosion du numérique et d’Internet, entraînant le déclin de la photographie argentique et de la presse papier, ce photographe globe-trotter a couvert l’actualité. Aujourd’hui, son archive photographique constitue une précieuse documentation sur l’art de Béjart ainsi qu’une chronique visuelle du siècle dernier dont il nous montre de grands événements internationaux.  Rapportant les guerres du Proche-Orient, il photographie le monde médical, les vedettes du cinéma ou de la politique, contribue à la découverte des quatre coins du monde par le tourisme de masse… Ses images pittoresques nous happent dans le passé. Les instantanés de ces scènes de vie lointaine, capturées sur la pellicule par le photographe, confrontent celui qui les regarde aujourd’hui au répertoire de notre imaginaire exotique. Images intemporelles de notre monde avant que la globalisation ne confonde radicalement les limites entre le proche et le lointain, entre l’Occident et l’Orient.

Le photographe retrace la genèse de son art : « Tout enfant j’étais passionné de cinéma où j’allais très souvent. Je voulais faire du cinéma mais ce n’était pas possible de partir à Paris. Je me suis donc dirigé vers la photographie, en cours du soir, et j’ai suivi des cours de journalisme en élève libre. Un beau jour, je me promenais à Anvers et dans un café j’ai vu une équipe de télévision venue interviewer des acteurs de cinéma en visite. Je suis entré, me présentant comme photographe et journaliste. On m’a remis un dossier de presse que j’ai accepté. Ma fiancée m’a encouragé à proposer mon papier à un journal et je l’ai envoyé au Soir illustré. Quelques semaines plus tard, je téléphone à la rédaction de l’hebdomadaire et apprend que mon article a été publié. Je reçois un « extrait » et un chèque de 1000 francs ! Ça m’a décidé à me lancer dans le journalisme ».

Henri-Louis Weichselbaum part en Amérique centrale sur un navire marchand. Au Guatemala, à Puerto Barrios, des gens lui parlent de cimetières belges dans les environs. Il apprend que dans les années 1840 une société privée belge achète la ville proche de Santo Tomás pour y créer une colonie. Mais le rêve colonial échoue vite dans ces territoires tropicaux inhospitaliers entre le Belize et le Honduras : « J’ai photographié des tombes de ces colons décimés par les maladies et publié un article sur les Belges au Guatemala. Puis je suis remonté vers les Etats-Unis où j’ai fait du stop jusqu’à New York. Je photographiais des gens, des situations, la vie de la rue. De New York je suis passé au Canada. Dans le Nord j’ai fait des photos du grand barrage en chantier sur la rivière Manicouagan. Rentré à Bruxelles, j’ai été engagé comme photographe par le magazine anversois Panorama. J’ai eu l’idée d’un reportage sur une opération à cœur ouvert que je voulais photographier en couleur mais le rédacteur en chef voulait du noir et blanc. J’ai quand même fait mon reportage en couleur, assistant à l’opération pendant laquelle il était bien entendu interdit d’utiliser le flash. J’ai vu le cœur dans la main d’un chirurgien, c’était impressionnant. Lorsque je suis revenu avec mes photos couleur le rédacteur en chef m’a licencié. Mais il a publié l’article, avec mes images couleur, sous le nom d’un autre journaliste ! J’ai fait un temps partie d’une agence photo qui avait tendance à oublier de me payer mes photos ! J’ai alors travaillé en photographe free-lance, surtout pour les magazines, enchaînant les commandes ». Photoreporter international il découvre ainsi l’Australie et la Nouvelle Guinée où sa femme l’accompagne suite au faux bond d’un journaliste effrayé d’aller au pays des papous où vient de disparaître le jeune Michael Rockefeller (1961), selon la rumeur, dévoré par les Asmat cannibales.

Guerre des Six jours et Brigitte Bardot

En 1967, il devient photographe de guerre : « J’ai participé à la guerre des Six jours. Arrivé de Bruxelles à Athènes sur un vol Sabena j’apprends qu’il n’y a plus de vols sur Tel Aviv. Grâce à un contact, je parviens à m’embarquer sur un avion-cargo qui atterrit à Lod en pleine nuit, dans une obscurité totale. J’assiste à la libération de Jérusalem et une de mes photos de soldat au Kotel fait la couverture du magazine Ons Land ». Weichselbaum arrive à Sharm el-Sheik à bord d’un avion chargé de parachutistes venus occuper ce point stratégique du Sinaï. En 1973, il photographie la guerre de Kippour : « J’étais envoyé par le Soir Illustré et je me souviens de cette page de couverture du magazine dont les deux tiers étaient occupés par une photo de Brigitte Bardot et seul le tiers restant à la guerre d’Israël » ! En octobre 1968, son reportage sur le USS Shangri-La fait la une du Patriote Illustré. Les images d’avions d’attaque massés sur le pont d’envol de ce porte-avions de la 6e flotte américaine en Méditerranée évoquent la tension en Méditerranée et aussi les bombardements de l’aviation embarquée américaine au Vietnam.

Concernant ses techniques, le photojournaliste précise : « Au départ je développais mes photos moi-même dans la salle de bain. Je travaillais en format 24×36 pour le noir et blanc et pour la photo couleur j’utilisais l’Hasselblad, un appareil moyen format 6×6 qui permet de publier des photos en hauteur comme en largeur pour les recadrer. Lorsque l’usage de la diapositive couleur s’est généralisé en photo de presse je faisais développer mes films chez American Color, un excellent laboratoire pour diapositives. Pour moi la vie et le mouvement c’est la couleur ! Je travaille par pulsion, suis très rapide, souriant, déterminé ! Au moment même de la prise de vue je serais bien incapable de dire ce que je viens de faire. C’est au développement que je découvre mes images ». Le photographe ne se souvient pas de tous ses reportages au long cours mais souriant, il conclut : « J’ai fait plusieurs fois le tour du monde. Certains pays m’ont marqué, comme le Mexique ou l’Inde, des pays avec leur propre culture et leurs riches spécificités. J’ai connu la belle vie du reporter dans les grands hôtels mais suis resté habiter à Bruxelles, avec ma femme, mes enfants et petits-enfants. Je me sens profondément belge ! ». Il photographie aussi l’Ommegang dont il tire un livre photo.

Images iconiques de Béjart

En mai 2017, le Parlement francophone bruxellois expose « Maurice Béjart – Hommage à travers le regard du photographe Henri-Louis Weichselbaum » : C’est par hasard qu’il photographié Béjart. « Je n’étais pas du tout intéressé par la danse, mais ma femme avait acheté deux tickets pour aller voir Golestan. Sidéré par la beauté de la chorégraphie et des danseurs, j’ai été voir l’attaché de presse de Béjart pour pouvoir travailler avec les coudées franches. Mon premier grand reportage sur Béjart est paru dans le magazine hollandais Avenue. Avec le recul, je vois à quel point ce géant de la danse a révolutionné l’art du ballet ». Jusqu’au départ de Béjart à Lausanne en 1987, il suit le chorégraphe et ses danseurs, à Bruxelles comme à l’étranger, montrant les grands spectacles (Le Sacre du printemps, Bolero, Dionysos…), les répétitions, les cours à l’école Mudra. Images iconiques du génie de la danse et remarquable démonstration de l’art du photojournalisme. Après Robert Capa, Chim David Seymour et Leonard Freed, notre seul grand photojournaliste belge n’aurait-il pas droit à une exposition dans un musée juif ?

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