Chaque année, de septembre à décembre, la récolte des olives en Cisjordanie offre les mêmes scènes. C’est le temps des cueillettes et celui des querelles, une saison de labeur et une saison de luttes. Le retour à la terre, tant célébré par les Palestiniens autour d’arbres parfois centenaires, hérités de leurs pères, se mue en bataille politique face à des colons revendiquant pour eux les fruits de la Terre d’Israël. Alors ils détruisent les récoltes, ils brûlent les plantations, ils déracinent les oliviers comme pour arracher les familles palestiniennes à leur histoire. La saison des récoltes vire souvent au cauchemar pour les Palestiniens, dont c’est là une source de revenus essentielle. Les affrontements avec les colons reviennent de manière régulière et tellement ritualisée qu’ils font rarement la une de l’actualité.
Cette année cependant, les violences explosent, dans les oliveraies et au-delà, mettant aux prises des colons, des Palestiniens mais aussi des forces de sécurité. Fin septembre, près du village d’al-Mufaqara, un groupe d’Israéliens masqués a attaqué à coup de pierres des Palestiniens, blessant gravement douze villageois, dont un enfant de trois ans. Deux mois plus tard, dans ces mêmes collines du sud de Hébron, des colons ont attaqué tout un village. « Pas une seule fenêtre des maisons n’a été brisée en mille morceaux », se lamente un habitant. Dans un autre hameau, à Burqa, ce sont les tombes d’un cimetière qui ont été profanées. Le 10 janvier, les affrontements ont dégénéré avec des gardes-frontière, tandis que des oliveraies étaient brûlées. Et le 21 janvier encore, à Burin, près de Naplouse, des Palestiniens mais aussi des militants pacifistes de l’organisation Rabbis for Human Rights qui les accompagnaient ont essuyé jets de pierre et coups de bâton.
Ce ne sont là que quelques-unes des attaques recensées ces derniers mois et qui se poursuivent encore, bien après la fin de la saison des récoltes. En un an, les violences perpétrées par les colons ont augmenté de 50%. A chaque fois, les agresseurs, pour la plupart des « jeunes des collines » provenant d’implantations voisines [voir encadré], ont fait preuve d’une violence inouïe. Fait rare, le conseil de Yesha s’est dit « horrifié » par les images des victimes de Burin aux visages ensanglantés. « Cette conduite grave est contraire aux valeurs du peuple d’Israël et nuit au mouvement des implantations », a déploré l’association représentant les colons.
Terrorisme juif
« Terrorisme », le mot a été lâché par le vice-Premier ministre Yaïr Lapid dès l’attaque d’al-Mufaqara. Ces extrémistes qui vandalisent des pierres tombales « mènent un pogrome », avait renchéri le vice-ministre Yaïr Golan, en les qualifiant de « sous-hommes ». Des propos qui ont soulevé un tollé général. Face au scandale, Golan est revenu sur sa déclaration. Mais pour l’ancien vice chef d’état-major de Tsahal, les faits sont clairs : « J’ai combattu toute ma vie le terrorisme palestinien. Je n’ai pas besoin qu’on m’apprenne ce que c’est, mais je pense que le danger qui vient de l’intérieur est plus grand que celui qui vient de l’extérieur. Nous, Juifs d’Israël, devons déraciner le mal ».
Selon le Shin Bet, le service de sécurité intérieure, les attaques perpétrées ces derniers mois relèvent bien du terrorisme. Ce sont des actions hyper-violentes menées par des groupes radicaux parfaitement organisés et très mobiles. Des bandes d’hommes masqués débarquent dans une oliveraie, un village, y lancent une razzia pour détruire les biens, attaquent les habitants dans une débauche de violence, puis se dispersent et disparaissent en quelques secondes derrière les collines. Certains groupes proviennent des implantations de Cisjordanie, mais d’autres recrutent désormais à l’intérieur de la Ligne Verte, signale Omer Barlev, le ministre de la Sécurité intérieure, qui qualifie l’attaque de Burin de « nouveau bon en avant sérieux dans le terrorisme perpétré après des colons extrémistes ».
Une question sécuritaire
Mais que font les forces de sécurité ? Elles sont dépassées. Les gardes-frontière arrivent trop peu nombreux, trop tard, sur les lieux des attaques. Quand ils ne se posent pas en simples spectateurs de ces violences. A Kumi Ori, le 31 décembre, des policiers ont été blessés dans des affrontements contre les colons. Mais à al-Mufaqara, les soldats présents ont observé les affrontements de loin sans intervenir. Une façon de légitimer le terrorisme juif, dénonce avec vigueur l’organisation B’Tselem. Elle relève qu’entre 2005 et 2019, les autorités israéliennes ont fermé les yeux sur les attaques de colons : 91% des enquêtes ont été refermées sans mise en examen.
Face à cette vague de violences, le ministre de la Défense Benny Gantz a pris l’initiative de réunir fin novembre les chefs de la police et du Shin Beth. Il a été décidé de renforcer les effectifs et de créer des forces spéciales de l’armée pour lutter contre « les crimes haineux » perpétrés en Cisjordanie. Sans jamais préciser s’il s’agissait d’extrémistes juifs ou arabes. Preuve que le problème n’est pas que d’ordre sécuritaire.
Un dilemme politique
C’est peu dire que la question des implantations divise le gouvernement. Au moment de signer l’accord de coalition réunissant huit partis – de la droite annexionniste aux islamistes en passant par la gauche favorable à la solution à deux Etats – Naftali Bennett et Yaïr Lapid revendiquaient une entente sur 80% des grands dossiers. A coup sûr, la colonisation fait partie des 20% restants.
Coincé entre les positions irréconciliables de ses partenaires, tenu par son propre parti, et sous pression d’une opposition qui réclame « un gouvernement nationaliste, sioniste et juif », le Premier ministre tente de donner des gages à chacun. D’un côté, il lance un grand plan en faveur des Arabes israéliens, annonce la reconnaissance de dizaines de villages bédouins et ordonne la démolition de plusieurs avant-postes illégaux en Cisjordanie, d’où proviennent précisément les terroristes juifs. De l’autre, lui, l’ancien directeur général du conseil de Yesha, nuance la violence des colons – des « éléments marginaux », assure-t-il – et renverse les accusations : « les résidents des implantations de Judée et Samarie subissent la violence et le terrorisme quotidiennement, depuis des décennies. […] Ils sont le rempart défensif pour nous tous, et nous devons les renforcer et les soutenir, en paroles et en actes ».
Car fondamentalement, la colonisation continue. Bennett donne son feu vert à la construction dans les grands blocs. Dans le même temps, Gantz inscrit comme terroristes six organisations palestiniennes, qui ont surtout le tort d’être hostiles à l’Autorité palestinienne, et rencontre Mahmoud Abbas, pour maintenir à flots la coopération sécuritaire vitale avec Ramallah. Mais jusqu’à quand ? Tout ce fragile équilibre pourrait voler en éclats si le gouvernement ne se décide pas à déraciner le terrorisme juif de Cisjordanie.
La guerre sainte des « jeunes des collines »
Il s’appelait Ahuvia Sandak. Il avait 16 ans. Il vivait dans une baraque de l’avant-poste de Maoz Esther et était fiancé à une jeune fille venue comme lui des collines de Cisjordanie. Il est mort le 21 décembre dans une course poursuite avec la police quand, venu attaquer des Palestiniens avec quatre autres jeunes, leur voiture s’est retournée. Officiellement ils auraient perdu le contrôle de leur véhicule. « Mensonges ! », répondent les amis d’Ahuvia et quelques 2.000 extrémistes qui sont venus des jours durant manifester devant le quartier général de la police à l’entrée de Jérusalem, bloquant des rues, brûlant des voitures, jetant des pierres sur les bus et attaquant les passants arabes.
Interrogée par le journal nationaliste Makor Rishon, la mère d’Ahuvia réclame justice. Elle décrit un adolescent grandi dans les valeurs juives, l’amour de la terre, la défense d’Eretz Israël et le racisme anti-Palestiniens. Originaire du Gush Katif, la famille a vécu l’évacuation de Gaza comme une trahison. Alors Ahuvia le dépossédé est parti à la reconquête du territoire biblique. Il est retourné au travail de la terre, pareil à celui des Bédouins, le cœur empli de haine.
Ils sont quelques centaines comme lui, des « jeunes des collines » (Noar HaGvaot) extrémistes issus de familles de colons de Cisjordanie. De plus en plus se joignent à eux des gamins déclassés au look de hippie, des marginaux fanatisés venus d’Israël pour s’établir dans des avant-postes illégaux, une pioche à la main et une arme dans l’autre, missionnés pour faire « payer le prix » aux Palestiniens et casser du militaire. Protégés par leurs rabbins ultra-radicaux et une droite ultranationaliste qui laisse faire, ils sont rarement inquiétés, même quand ils ont du sang sur les mains. Exception faite en 2020 quand Amiral Ben Ouliel a été condamné à la prison à vie pour avoir tué le petit Ali Dawabcheh, un bébé de 18 mois, et ses parents, en brûlant leur maison. C’était en 2015, il avait tout juste 20 ans.