Qui peut parler du racisme ? Une première réponse, bien intentionnée et peut-être naïve, pourrait être : « Tout le monde ». Force est de constater que ce n’est malheureusement pas le cas. Il serait effectivement cavalier d’affirmer que le combat contre le racisme et les discriminations soit une priorité pour l’ensemble des gens. Cela ne signifie pas non plus que ces questions laissent tout le monde indifférent. Au contraire, la société belge montre un intérêt salutaire pour une série de thèmes qui touchent au combat pour l’égalité. Le racisme, l’antisémitisme, le sexisme, l’héritage colonial, les inégalités sociales et la situation des personnes porteuses de handicap sont des sujets dont on discute dans divers forums, du plus officiel au plus informel, et qui intéressent une partie non négligeable de la population. Cela ne veut pas dire pour autant qu’un consensus univoque se dégage de ses débats. Loin de là, il existe des divergences importantes au sein des différents mouvements antiracistes.
C’est dans ce contexte que s’est tenue le 2 juin, à la Maison du Livre de Saint-Gilles, une nouvelle édition du cycle « Les nouveaux enjeux de l’antiracisme », sur le thème « Qui a le droit de parler du racisme ? ». Dans cette séance du cycle de forums-débats organisé par l’UPJB, deux questions ont été posées aux intervenants (Mouhad Reghif, porte-parole de l’association BXL-Panthères1, et Vincent Lurquin, ancien président du MRAX) : « Les “concernés” ont-ils toujours raison ? », et « Quelle place les « blancs » peuvent-ils légitimement occuper dans la galaxie antiraciste sans être accusés de paternalisme ? ». Le fait que les réponses soient souvent allées dans des directions différentes n’a pas suffi pour que les deux participants rebondissent sur les divergences. Malgré cela, la soirée n’a pas manqué de débats, grâce aux interventions du public.
« Les « concernés » ont-ils toujours raison ? »
Les « Blancs » et la lutte antiraciste
Le rôle des « alliés » (les personnes qui, sans être directement impliquées, se joignent aux membres d’un collectif pour dénoncer les discriminations qu’ils subissent) est un sujet de discussion dans les mouvements qui luttent pour le droit des groupes discriminés. La place des hommes dans le féminisme est un exemple concret de ces débats. Or, la discussion se complique quand les catégories utilisées sont des exo-dénominations, c’est-à-dire appliquées « de l’extérieur » à des personnes qui ne se reconnaissent pas dans ou n’acceptent pas l’appellation en question. C’est ainsi que la question « Quelle place les Blancs peuvent-ils légitimement occuper dans la galaxie antiraciste sans être accusés de paternalisme ? », a occupé une partie conséquente de la discussion avec le public lors de la soirée évoquée. Les opinions versées ont à nouveau présenté des nuances. Pour M. Lurquin, le rôle des « Blancs » serait surtout celui de laisser la parole aux victimes du racisme. Le porte-parole de Bruxelles Panthères, pour sa part, a été moins tranchant concernant qui peut prendre la parole, se centrant sur le contenu du message : les « Blancs » doivent aussi parler du racisme, « même s’ils ont tendance à dire n’importe quoi ». Cette méfiance face à la parole « blanche », qu’il considère malgré tout nécessaire, sera récurrente dans son discours, davantage si elle est exprimée dans un cadre institutionnel. Il soutient ainsi qu’il y aurait autant de racisme « au PS et Ecolo qu’au MR et qu’en France SOS Racisme a été créé par le PS pour saboter l’antiracisme politique ». Sous cette vision négative de l’antiracisme institutionnel ou professionnel, M. Reghif proclame l’importance accordée par son organisation à se donner « la liberté de s’allier ou pas à la gauche blanche ». Appartenir à une institution officielle ou percevoir des subsides serait donc problématique, car cela impliquerait une soumission à une autorité extérieure.
Hiérarchisation des luttes pour l’égalité
1- Sur leur site Internet, le collectif mentionne “le combat contre toutes les inégalités et plus particulièrement contre celles qui ont une substance raciale” comme leur objectif principal. Ils y soutiennent lutter également “contre toutes les formes de domination impériale et coloniale, sioniste y comprise, qui fondent et perpétuent la suprématie blanche à l’échelle internationale” (https://bruxelles-panthere.thefreecat.org/).
2- L’UPJB renvoie dos à dos l’État d’Israël et le régime de racisme institutionnel en vigueur en Afrique du Sud jusqu’en 1991.
3- https://upjb.be/events/cycle-de-forums-debats-4-qui-a-le-droit-de-parler-du-racisme/?event_rdae=20220602194500,20220602220000.
4- Les termes “Blanc” et “non-Blanc” on été utilisés par Mr. Reghif lors de son exposé sans préciser le sens qui leur était donné.
5- Dire publiquement qu’une personne, un groupe ou une entreprise a fait quelque chose de mal.
6- Sur les différentes approches de l’antiracisme actuel, lire https://cclj.be/etudes/le-retour-de-la-race-dans-les-nouveaux-discours-antiracistes/.
7- Courant de recherche américain définit la race comme une catégorie non pas biologique mais sociale, ayant des conséquences concrètes sur les relations entre groupes.
8- La question était tout sauf compliquée, “oui”, “non” ou “ça dépend de la situation” étant les réponses possibles. Elle pouvait être par contre incommodante, mais seulement dans le cas où l’orateur n’osait pas exprimer sa pensée de manière franche).
9- Le terme, créé pour désigner l’intersection entre le racisme, le sexisme ou d’autres formes de discrimination, n’implique pas une gradation des souffrances.
10-Malik, Kenan : “The Meaning of Race”, Macmillan Press, London, 1996, p. 79-81.