Quoique minoritaire en Europe, l’islam déclenche les passions. Les extrêmes droites européennes l’ont bien compris. Toutes s’en servent dans leur rhétorique démagogique et xénophobe. Il faudrait se demander pourquoi il s’y prête mieux que d’autres cultes. Après tout, les Eglises évangélistes sont, elles aussi, d’implantation récente en Europe. Elles aussi sont minoritaires. Elles aussi drainent un fort public d’immigrés. Elles aussi charrient des croyances obscurantistes. Pourtant c’est l’islam qu’exploitent les extrêmes droites, avec une efficacité certaine.
Certes, au-delà du domaine spirituel, toute foi engage ses croyants y compris sur le plan temporel. Mais l’islam dépasse de loin ses cinq piliers (profession de foi, cinq prières quotidiennes, ramadan, zakat, hajj). Il tend à régenter l’ensemble de la vie des fidèles. Le hidjab n’en figure qu’un aspect. Avec la charia, l’islam dicte le droit, en particulier familial. Il halalise les mœurs et le marché capitaliste. Il se distingue par son caractère totalisant voire totalitaire.
Il privilégie comme valeur primordiale l’appartenance à l’Oumma, la communauté des croyants. Et surtout, l’islam s’ingère fortement dans le champ politique. Il revendique. Il tend à islamiser l’ordre social. Les valeurs et pratiques de l’islam dominant, de l’islam qui se manifeste, heurtent de plein fouet les valeurs et pratiques d’une société européenne sécularisée, qui privilégie la personne individuelle.
L’islam bénéficie de puissants moyens étatiques (Arabie saoudite, Qatar, Turquie, Maroc, Algérie, Iran), para étatiques (Organisation islamique mondiale) et internationaux (Organisation de la Coopération islamique). A quoi il faut ajouter les Frères musulmans. La manne des pétrodollars finance ce vaste mouvement d’influence et d’ingérence. Mouvement, soulignons-le, multiforme, ravagé de contradictions, de rivalités et de haines réciproques – la première étant celle qui oppose sunnisme et chiisme.
Sacraliser l’islam aux yeux de l’humanité pour bâillonner sa critique
Culte sous tutelle politique autoritaire, l’islam a réussi a délégitimer toute critique, d’où qu’elle vienne. La rengaine de l’«islamophobie » en constitue un des principaux leviers. Remarquable succès planétaire, le terme s’est imposé dans le langage courant, les médias, les instances nationales et internationales. Entreprise d’ « intoxication idéologique,[1] » l’« islamophobie » vise à sacraliser l’islam aux yeux de l’humanité. L’islam a réussi ce véritable tour de force de s’imposer comme sacré même aux yeux de gens qui ne croient pas en lui. Il a créé, de ce point de vue, une exception islamique.
Cette pression idéologique bâillonne la critique de l’islam. Des médias dissuadent leurs journalistes de traiter un sujet gros de harcèlements judiciaires. Des chercheurs peinent à financer leurs travaux. Rire du Coran ou du Prophète expose aux ennuis. La pensée totalitaire hait l’humour. Salman Rushdie en sait quelque chose. Les caricatures danoises de Mahomet déclenchent une tempête de violences dans le monde musulman. Les satiristes de Charlie Hebdo paient chèrement leur effronterie. Zineb El Rhazoui, rescapée du massacre, vit sous protection rapprochée. Auteur égyptien, parmi d’autres ouvrages, d’un essai intitulé « Le fascisme islamique, » Hamed Abdel-Samad[2] s’est exilé en Allemagne.
Les rebelles de l’islam d’origine musulmane sont persécutés en premier. Car, en islam, on règle ses affaires en famille. Car ces courageux trahissent l’Oumma. Car ils incarnent un rapport humaniste au religieux. Car les dictateurs de l’islam craignent par-dessus tout ces figures de résistance, qui sapent leur pouvoir de l’intérieur. Elles constituent les premières cibles à discréditer, voire à abattre.
L’islamophobie comme « racisme universel »
En Europe, la mouvance des Frères musulmans investit des lieux stratégiques, institutions publiques, partis politiques, milieux académiques, médiatiques et associatifs.[3] On accrédite la fable de « l’islamophobie » comme « racisme universel.[4] » On travaille les milieux antiracistes et féministes. Le voilement des musulmanes, le dress code islamique orthodoxe, fer de lance de l’entreprise d’islamisation sociétale, se trouve au centre de la manœuvre.
On pervertit les concepts. On invente un prétendu « féminisme musulman. » Comme si l’islam allait résoudre les questions de genre. On trafique le concept d’intersectionnalité, une création du féminisme afro-américain (si vous êtes femme et noire, vous subissez une double discrimination, sexiste et raciste). Les musulmanes se verraient soi-disant doublement discriminées parce que femmes et parce que musulmanes (et voilées). Mais si on ne choisit jamais sa peau, on choisit toujours son couvre-chef. Cherchez l’erreur.
Une cohorte d’acteurs non musulmans, en général engagés à gauche, prête main forte à cette mascarade politique. Des intellectuels, des politiciens, des journalistes, des intervenants associatifs cautionnent et valorisent l’islam militant. La complaisance sévit jusqu’au sommet du leadership d’opinion. Ainsi le pape, qui se montre compréhensif pour les mobiles des tueurs de Charlie Hebdo. « Si un ami parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing. On ne peut (…) insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision”.
Avec la sécularisation des peuples musulmans l’islam gagnera en spiritualité
C’est le détachement des individus de l’emprise du religieux, de l’Oumma, de ce carcan de règles étouffantes qui écrasent les musulmans et surtout les musulmanes, c’est la libération de la parole critique, bref c’est sa sécularisation qui seule pourra offrir au monde musulman une perspective émancipatrice. Elle ouvre à l’islam et aux musulmans l’espace d’un culte davantage épris de spiritualité. Elle fera régresser, par tarissement de la demande, la halalisation des mœurs et des marchés, ce fétichisme et cette idolâtrie du vêtement, de la posture et des objets.
Le processus est, semble-t-il, d’ores et déjà en marche. En terre d’islam, en Tunisie, puis en Algérie et au Liban, les peuples ont tracé, sur fond de revendications socio politiques, la voie à l’émergence d’une société civile. L’islam comme religion d’Etat et source du droit est remis en cause. On constate une croissance de l’athéisme au sein de la jeunesse. La liberté d’apostasie, celle de quitter l’islam pour changer de religion ou n’en adopter aucune, représente pour les musulmans la critique la plus radicale de l’islam. Doit aussi prévaloir le droit de blasphémer. Qu’en sera-t-il des minorités musulmanes d’Europe, où la religion sert souvent de marqueur identitaire conservateur pour ne pas dire réactionnaire face à un environnement sécularisé mais souvent raciste et injuste sur un plan social ? Difficile à prédire.
Quand la religion perd sa toute puissance temporelle, quand les révolutions empêchent les pouvoirs politiques d’encore régner de droit divin, la religion libère de l’espace pour l’élévation spirituelle des croyants. C’est l’irrésistible sécularisation de l’Europe, l’avènement de la personne autonome, pensant hors des vérités révélées, des dogmes et contre eux qui a produit l’humanisme, la Réforme protestante, qui a conduit le catholicisme à Vatican II. C’est la sécularisation des peuples musulmans, en terre d’islam comme en Europe, qui libérera l’islam de son arrogance, de sa violence et de sa prétention à conquérir le monde. Il ne pourra que gagner en présence spirituelle.
[1] Philippe D’IRIBARNE – Islamophobie, intoxication idéologique – Albin Michel – 2019.
[2] Hamed ABDEL-SAMAD – Islamophobia – https://www.youtube.com/watch?v=uDaxel9p1ok&feature=youtu.be – 9 min. – 14.11.2019 – Sous-titres français.
[3] Voir http://www.cclj.be/actu/politique-societe/mahinur-ozdemir-farida-tahar-et-freres-musulmans-bruxelles
[4] L’islamophobie, un racisme universel ? – Bruxelles – 18.03.2010 – Colloque organisé par le MRAX dans le cadre des Assises de l’Interculturalité.