Dans C (Éditions Grasset), son nouveau roman, Amanda Stehrs tient une chronique mordante de l’inexorable montée de l’antisémitisme depuis le 7-Octobre.
Amanda Sthers lâche les chevaux ! Depuis longtemps adepte d’une littérature qui l’ancre dans son époque, la voilà de retour avec un nouveau roman coup de poing, fascinant par sa propension à s’emparer de l’Histoire immédiate et des trajectoires incertaines de ses contemporains. Tout cela confère à C, court roman fable qu’elle publie en cette rentrée littéraire chez Grasset, un aspect à la fois sulfureux, efficace et divertissant. Comme de coutume avec Sthers, on tourne les pages de ce livre sans temps mort, avec l’envie de savoir jusqu’où l’auteure se permettra d’aller.
Venons-en au propos de ce C au vitriol, qui traverse le récit comme un mal qui s’étend jusqu’à devenir omniprésent… Depuis le 7 octobre 2023, Gilles ne reconnaît plus sa femme Rébecca, une éditrice de l’intelligentsia parisienne dont l’identité juive ressurgit de manière obsessionnelle à mesure que l’antisémitisme se répand à travers la société. Hasard ou coïncidence, en même temps que la bête immonde accomplit sa sale besogne apparait au plafond de leur chambre à coucher un mystérieux champignon, qui devient bientôt immense et dangereux. Ce champignon-là n’a rien d’anodin. Il semble se nourrir des dissensions à l’œuvre au sein du couple comme du climat anxiogène qui prospère partout. Avec le temps, le corps étranger se développe tellement qu’il devient tout simplement impossible à éradiquer. Que faire ? Comment lutter ? Tandis que sa femme se tourne vers les Lumières juives en quête de réponse, son mari suit une trajectoire opposée. Lui qui s’était extirpé de son milieu provincial en faisant une croix sur sa sombre histoire familiale s’étonne de se retrouver en quête d’ancrage terrien. Progressivement, sa femme venue d’ailleurs l’excite et le dégoute tandis qu’il acquiert une certitude : lui est bien d’ici et entend le faire savoir. Comme beaucoup d’autres, Gilles s’est droitisé. Las et inquiet, cet homme jadis ouvert qui était opposé au Front National s’est mis à écouter puis à se reconnaitre dans le discours de Marine Le Pen. Cette nouvelle passion nationaliste, loin d’être anodine, coïncide avec un nouvel élan amoureux. Puisque son couple bat de l’aile, Gilles se réfugie dans une relation adultère avec la belle Capucine. Avec cette dernière, plus que jamais, il se sent « à la maison ».
Chronique de l’expansion de l’antisémitisme
On ne dévoilera pas la suite de l’intrigue, truffée de rebondissements intimes et autres développements spectaculaires. Car si le romanesque fait ici office de trame secondaire, c’est bien le récit plus méthodique et plus vrai que nature de l’expansion de l’antisémitisme qui frappe. De cela, Sthers tient une chronique fine, courageuse, sans aveuglement. On ne le sait que trop : chaque jour apporte son lot de haine antisémite. Ce mal ne se circonscrit plus, dépasse les seules frontières françaises et concerne malheureusement toute l’Europe. On lira à ce titre avec un certain interêt les pages concernant la détérioration de la situation belge. Dont le passage qui suit : « D’après les derniers sondages, un Bruxellois sur quatre exprimait de l’antipathie pour les juifs. Ça fascinait Rebecca qu’on puisse poser des questions comme celle-ci aux gens dans la rue et qu’ils y répondent sans honte. Cette aversion se nourrissait de préjugés antisémites vieux comme le monde et bien ancrés, tels que ‘‘Les juifs contrôlent les médias et les institutions politiques’’, mais bien peu de gens savaient ce qu’était le judaïsme. Ce dont ils étaient certains, c’est que même s’ils étaient moins de trente mille en Belgique, il y avait trop de Juifs, qu’ils dominaient la finance et les médias et qu’ils étaient responsables des crises économiques… Les chiffres étaient alarmants en comparaison de la France, qui était pourtant déjà en mauvaise posture. »
Vingt ans après le succès du Vieux juif blonde, Amanda Sthers signe une fable politique qui ne mâche pas ses mots. Il y encore dix ans, la chronique d’un antisémitisme qui pareil à la dangereuse moisissure d’un champignon vénéneux empoisonne bientôt tout son écosystème aurait constitué un curieux récit de science-fiction. En 2025, le réel a bel et bien dépassé la fiction…






