Beaucoup de bruit pour rien ?

Système médiatique oblige : le moindre incident est désormais monté en épingle pour faire le buzz ou fabriquer des martyrs.
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Système médiatique oblige : le moindre incident est désormais monté en épingle pour faire le buzz ou fabriquer des martyrs. J’en veux pour preuve la polémique autour de l’éviction de Madame Fatima Zibouh d’un débat organisé au Musée juif de Bruxelles par un consortium d’organisations juives piloté par l’Union des étudiants juifs de Belgique (UEJB).

Je me sens d’autant plus autorisé à parler de l’événement que je suis aussi l’une de ses victimes collatérales. Ce dont je puis témoigner avec certitude, c’est du fait que cette universitaire musulmane n’était pas initialement intégrée aux débats. A l’origine, cette soirée était tout entièrement organisée autour d’Ilana Weizman, une sociologue franco-israélienne intersectionnelle, autrice d’un ouvrage décapant intitulé Des blancs comme les autres ? Les Juifs angle mort de l’antiracisme. Pourquoi décapant, parce que traitant d’un sujet qui préoccupe au plus haut point le monde associatif et antiraciste juif : le manque de prise en considération par la gauche radicale de l’antisémitisme. La haine des Juifs est bien aujourd’hui l’angle mort, l’impensé des antiracistes dits politiques et/ou intersectionnels. C’est en bonne intelligence que l’UEJB s’est empressée de l’inviter (devançant de peu le CCLJ qui organise de son côté un cycle de conférences autour de cette même problématique) et tout aussi logiquement que l’initiative étudiante fut saluée et rejointe par diverses organisations et institutions juives parmi lesquelles le CCOJB, le Musée juif, le Merkaz, le CEJI, etc.

Et c’est, sans doute, cette addition de bonnes volontés qui expliquent fondamentalement le couac Zibouh. Pourquoi ? Tout simplement qu’à partir du moment où l’on décide de mutualiser une initiative, il faut se garder de changements incessants. Le programme initial n’a cessé d’être modifié, enrichi. S’y ajoutèrent Jonas Pardo, un formateur antiraciste issu de la gauche radicale, Francine Esther Kouablan, la présidente du MRAX, moi-même et, onze jours avant l’événement, Madame Fatima Zibouh, sans que tous les partenaires en fussent informés. Mutualisation oblige, ce choix fut contesté par l’un et l’autre co-organisateur. Pourquoi, en effet, ne pas faire le choix d’inviter un tenant du « vieil » (mais efficace) antiracisme, c’est-à-dire non intersectionnel, bref universaliste et ce, pour apporter un peu de diversité dans une soirée qui s’annonçait bien trop consensuelle, notamment s’agissant de l’épineuse question de l’identité, de l’homologie entre antisémitisme et islamophobie ? Tout comme le blasphème, la critique de la religion, en tant que telle, ne m’apparaît en rien raciste. D’aucuns proposèrent, par exemple, l’inclusion dans le panel de l’essayiste Djemilah Benhabib, militante au CAL et fondatrice de Laïcité Yallah. S’en suivirent des discussions qui n’aboutirent pas. Faute de consensus, les différents acteurs de la soirée se virent contraints, bien malgré eux, de revoir leur copie, bref de revenir au cœur du projet (quasi) initial : un dialogue entre l’essayiste Ilana Weizman et l’activiste Jonas Pardo, animé par le président de l’UEJB, Sacha Guttmann. Exit tous les autres panélistes pressentis : Esther Kouablan du MRAX, Fatima Zibouh mais aussi Joël Kotek. Il me revenait, en effet, d’introduire Mme Weizman que j’avais rencontrée lors d’un débat à fleuret moucheté à Paris (disponible sur le site www.akadem.org).  

Mon annulation ne m’empêcha nullement de participer aux débats depuis la salle et ce, à l’instar de Madame Kouablan ou encore de Djemilah Benhabib. Il m’apparaît que Madame Zibouh aurait pu faire le choix de participer au débat depuis son siège (une place lui était dévolue) à l’instar de tous les autres « effacés ». Se pensant menacée, elle choisit de ne pas venir. Personnellement, mais je puis me tromper, je ne vois pas « qui ? » dans notre communauté auraient bien pu menacer cette jeune universitaire. Les membres de la judaïcité belge sont depuis toujours des citoyens respectueux d’Autrui, peu enclins aux expressions de violence physique. Tout aussi sûr est le fait que le Musée juif est depuis toujours, un espace ouvert au dialogue et ce, malgré ou plutôt à cause du terrible attentat islamiste qui l’endeuilla neuf ans plus tôt.

Pour ma part, je pense que l’accusation a beau jeu. Quoi qu’on en pense, ce triste couac a pour effet immédiat de renforcer l’aveuglement de nos médias et de nos politiques aux menaces, bien réelles, qui pèsent depuis 2001 sur les Juifs de Belgique. Car aujourd’hui ce sont bien les (seuls) lieux de cultes juifs, les (seules) écoles juives qui sont l’objet d’une surveillance policière quasi journalière. Il n’est pas toujours aisé pour un père de famille de notre communauté d’expliquer à ses enfants pourquoi chacune des fêtes scolaires extra-muros sont nécessairement escortées par des policiers armés. Non sans raison. Ce furent bien des synagogues, de Bruxelles à Anvers, qui furent mitraillées, un président du CCOJB qui a été assassiné, un autre (CCLJ) placé pour six mois sous protection policière pour cause de menace islamiste, etc. Les Juifs de Belgique à l’instar des Juifs de France et des États-Unis restent les premières cibles des violences racistes et ce, depuis 2001. Ce constat justifie à lui tout seul de se féliciter de l’initiative de l’UEJB et de celles du CCLJ (son exposition sur l’antisémitisme, ses ateliers « La Haine je dis non »). Oui, il faut bâtir des ponts plutôt que des murs. Face à la montée du racisme et ce, y compris en Israël, l’heure est plus que jamais au dialogue interculturel, à l’organisation d’événements, de formations dédiées à la lutte contre toutes les formes d’intolérance. Sans préjugés ni anathèmes mais non sans pertinence.

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