Sébastien Courtoy, le digne héritier d’Edmond Picard

Nicolas Zomersztajn
Avocat ayant défendu de nombreux antisémites, Sébastien Courtoy est décédé le 21 février dernier. Ayant fait de l’antisémitisme la marque de fabrique de ses plaidoiries et de ses sorties médiatiques, cet avocat bruxellois a curieusement fait l’objet d’éloges et de commentaires dithyrambiques de la part de journalistes, d’avocats et même de magistrats.
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Le décès soudain de l’avocat Sébastien Courtoy (1974-2023) n’a pas échappé à l’attention des Juifs de Belgique qui ont dû subir depuis le début des années 2000 ses plaidoiries et toutes ses sorties médiatiques les unes les plus hostiles que les autres. Cet avocat du barreau de Bruxelles a passé l’essentiel de sa carrière à défendre des djihadistes, des personnalités d’extrême droite et prétendument antisystème, mais dont le point commun est l’antisémitisme. D’Abdel Rahman Ayachi et Raphaël Gendron, deux islamistes morts en Syrie ayant animés assabyle.com, le site du Centre islamique belge diffusant de la propagande djihadiste et antisémite, à Laurent Louis, l’éphémère député fédéral antisémite et complotiste, en passant par Dieudonné, l’ancien humoriste français multirécidiviste des condamnations antisémites et surtout Mehdi Nemmouche, l’auteur de l’attentat antisémite du musée juif de Belgique, tous ont ciblé les Juifs.

Sébastien Courtoy avait évidemment le droit de défendre des clients indéfendables, y compris des antisémites obsessionnels. C’est la mission de l’avocat. Mais contrairement à ce que la déontologie lui impose, il adhérait ostensiblement aux attitudes, aux causes et aux thèses incriminées de ses clients. Si bien qu’il n’hésitait pas rédiger des conclusions et des plaidoiries virulemment antisémites. Non seulement il s’efforçait de démontrer le bienfondé des thèses délirantes de ses clients mais il se les appropriait en les exagérant. Les conclusions qu’il a déposées en 2006 dans l’affaire assabyle.com constituent un véritable brûlot antisémite structuré par les thèmes conspirationnistes et les préjugés « classiques » autour du pouvoir, de la domination, la richesse et la nocivité des Juifs. Dans les procès qui suivront, ses conclusions et plaidoiries ne seront que des déclinaisons de ce modèle.

Le Juif fauteur de guerres

La vulgate antisémite présente à chaque page de ses conclusions déposées dans le procès assabyle.com se caractérise par l’articulation de trois grands thèmes d’accusation des Juifs. Tout d’abord, ils sont dominateurs. Pour ce faire, il n’hésitait pas à affirmer que le général de Gaulle, « symbole de l’antinazisme, lui-même avait décrit le peuple juif comme un peuple “arrogant, sûr de lui et dominateur’’ ». Les Juifs manipulent l’information, sont riches et puissants. Courtoy ne disait rien d’autre lorsqu’il écrivait que ses clients ont raison « d’avoir mis en exergue la surreprésentation de la communauté juive aux postes de la presse écrite et audiovisuelle ». Et d’ajouter plus loin que « que les Juifs sont omni présents dans les médias et que cela joue bien entendu sur les opinions publiques ». Ensuite, il reprenait le thème du Juif fauteur de guerres. Ce dernier exercerait une influence néfaste et occulte en vue de pousser les peuples à se faire la guerre. Il cite par exemple les Etats-Unis où « On constate que depuis un demi-siècle les ministres de la Guerre et des Affaires étrangères sont systématiquement de religion juive » ! Enfin, il présentait les Juifs comme des racistes se comportant comme des nazis puisqu’il trouvait de normal de comparer le ministre israélien des Affaires étrangères à Adolf Hitler et de prétendre que « le judaïsme est la seule religion qui trouve légitime d’envahir un pays, la Palestine, et de mener la guerre afin d’avoir un Etat rien qu’à lui ». Dans le même ordre d’idées, Maître Courtoy en profitait pour lancer la vieille accusation de défaut de loyauté des Juifs envers leurs pays respectifs lorsqu’il affirmait qu’il était vrai que « les Juifs se sentent avant tout juifs, avant de se sentir français, belges ou américains, etc., comme le démontre le fait qu’ils s’organisent en groupements, qu’on les appelle associations, groupes de pression ou lobbies, dont l’objectif, souvent inscrit dans les statuts, est la défense des intérêts juifs ou de l’Etat d’Israël. Ce sentiment d’appartenance prioritaire envers Israël et la judaïté plus qu’envers un pays ou une nationalité, se retrouve jusque dans la dénomination même des diverses organisations : Unions des étudiants juifs de France (et non pas Union des étudiants juifs français), … ». CQFD : « La création de l’Etat d’Israël in se est la preuve que les Juifs se sentent plus juifs que belges, européens ou américains » !

L’affligeante banalité de la prose antisémite de Maître Courtoy réside dans son obsession des patronymes juifs. Il a repris cette vieille manie de la propagande antisémite d’insister lourdement sur les noms et les consonnances juifs, Ainsi, il écrit : « quand on analyse le nom des plaignants, on constate que certains ont un nom à consonance patronymique juive, d’autres non ». Quand il banalise la portée d’un propos antisémite, il invoque des personnalités « dont les consonances patronymiques suffiront de balayer toute suspicion de négationnisme ou d’antisémitisme ». Dans ce registre, il ne peut s’empêcher de dresser des listes de Juifs suspects. Pour montrer à quel point les médias sont gangrénés par les Juifs, il nomme Alain Minc, Jean-Pierre Elkabach, Anne Sinclair, Jean Drucker, Stéphane Rosenblatt, etc. Mais il ne craint pas le ridicule en insérant dans ses listes des non-Juifs, notamment le très breton Edwy Plenel et les propriétaires très chrétiens du Groupe audiovisuel allemand Bertelsmann ! Et il affectionnait plus que tout de déformer certains noms pour souligner la judéité de ses cibles. Dans le procès intenté par un ancien dirigeant du Front national belge à Manuel Abramowicz (Résistances.be), il passe son temps à mettre en évidence la judéité de ce dernier en le nommant sans cesse « Abrahamowicz » et en prononçant exagérément « Abra-Ha-Mowicz » sur les plateaux TV. Sans compter ses nombreuses remarques ignobles sur l’appartenance de Manuel Abramowicz à une communauté « intouchable culturellement parlant ». Il a d’ailleurs récidivé lors du procès de l’attentat du Musée juif de Belgique en prononçant « Schtrens » au lieu de « Strens » pour désigner l’une des victimes qu’il accusait d’être sioniste.

Admiration sans borne d’une certaine presse

Son décès aurait pu laisser croire que le chapitre Courtoy était définitivement clos et que ce sinistre individu retomberait enfin dans l’anonymat. Malheureusement, c’était oublier qu’une partie de la presse nourrit à son égard une véritable fascination qui prend l’allure d’une admiration sans borne. Certains journalistes ont évoqué sa mémoire dans des termes élogieux en passant allègrement sous silence son antisémitisme. Une journaliste d’une chaine de télévision privée se souvient de lui comme d’une « personnalité tourmentée mais extrêmement attachante ». Un journaliste d’un quotidien de la presse populaire le décrit comme « un véritable gentleman sous des airs de bad boy. Lui c’était Maître Courtoy, le ténor du barreau… », sans oublier un de ses collègues qui voit en lui « un talentueux plaideur et provocateur insoumis de tous les grands combats judiciaires » avant de souligner qu’il « ne courbait l’échine devant aucune instance »[3]. C’est à se demander si les auteurs de ces commentaires dithyrambiques ont couvert les procès dans lesquels Sébastien Courtoy plaidait n’importe comment en affirmant n’importe quoi.

Au barreau du Bruxelles, où la majorité des avocats étaient outrés par son agressivité et ses outrances, son décès n’a pourtant pas suscité que l’indifférence. C’était évidemment sans compter sur le respect scrupuleux de la tradition par les autorités ordinales dont l’attitude laisse perplexe. En effet, lors d’une réunion hebdomadaire du Conseil de l’Ordre des avocats francophones du barreau de Brucelles, le bâtonnier a annoncé le décès de Maître Courtoy. Et comme le veut la tradition, suite à l’annonce du décès d’un avocat en exercice, les membres du Conseil de l’Ordre se lèvent et respectent une minute de silence. Si certains avocats estiment que cette annonce suivie d’une minute de silence s’inscrit dans une tradition n’impliquant aucun hommage à l’avocat défunt, d’autres, en revanche, n’ont guère apprécié ni compris la signification de ce geste. Ainsi, Maître Nathalie Penning a exprimé son indignation sur sa page Facebook. Loin de reprocher au bâtonnier d’avoir accompli son obligation d’annoncer le décès de Sébastien Courtoy, elle s’interroge surtout sur la minute de silence en sa mémoire. « A ce moment bien précis, les membres du Conseil de l’ordre ont eu accès au dossier de l’avocat défunt. Ils n’ignoraient pas les sanctions disciplinaires dont il a fait l’objet », rappelle Maître Penning. « La sanction de suspension de deux mois avec sursis pour avoir accompli un geste antisémite aurait pu conduire les membres du barreau à ne pas se lever suite à l’annonce de son décès. Il ne s’agissait pas de hurler ni de siffler mais symboliquement, de ne pas se lever » (entretien avec Nathalie Penning).

Caricature de radicalité

Loin d’être le porte-drapeau du combat contre l’injustice, cet avocat multipliait les sorties antisémites les plus nauséeuses en parlant des Juifs comme d’une « communauté d’intouchables », dont « les gens en ont marre ». Cette fascination qu’exerce encore aujourd’hui Sébastien Courtoy auprès de journalistes, d’avocats et de magistrats est sans aucun doute la rançon d’une société survalorisant une caricature de radicalité. Alors, à tous ceux qui considèrent cet avocat décédé comme « un gentleman » ayant « laissé une marque indélébile dans le paysage judiciaire belge », il ne leur reste plus qu’à lancer une souscription en vue de confectionner son buste et le placer dans un couloir du Palais de justice face à celui d’Edmond Picard (1836-1924), cet autre avocat antisémite du barreau de Bruxelles obsédé par « l’influence juive ». Cette place, il la mérite, lui qui s’était imposé comme le digne héritier de ce Drumont belge.

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Myriam
Myriam
1 année il y a

Honte à “Regards” d’évoquer la mémoire de ce sordide personnage même si vous relevez son antisémitisme chronique. Ecrire son nom n’était nullement nécessaire car il souille votre revue.

BOAZ
BOAZ
11 mois il y a

Ma belle-mère marocaine disait en haketya ” Uno de meno contra nosotros”.

Moi je me contente de ” Yemach shmo ve’zikhro

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