Salomon Klass est juif, finlandais et lieutenant : de novembre 1939 à mars 1940, il participe à la forte résistance de l’armée finlandaise contre l’invasion soviétique, ce qu’on appelle là bas, « la guerre d’Hiver »*. Sans états d’âme : son pays est attaqué, il le défend.
Klass perd un œil dans les combats que la Russie finit par emporter. Arrive juin 1941 et la situation se complique pour lui :lLa Finlande s’allie à l’Allemagne pour attaquer l’Union soviétique. Devenu capitaine, il suit le mouvement.
En mars 1942, son bataillon parvient à libérer une compagnie de soldats allemands encerclée par les Soviétiques. Les Allemands lui décernent la Croix de Fer. Ils en feront autant pour deux autres Juifs, un médecin-major et une infirmière.
Démonstration -même venant de ce côté-là- de courage et de dévouement à leur pays. Comme les autres : sur les quelques 2000 Juifs de Finlande, 300 hommes (et 40 femmes) furent mobilisés. 23 furent tués.
En fait, toute la petite communauté voulait affirmer avec force son patriotisme. Le reste de la population les considérait encore avec suspicion : n’étaient ils pas quasi tous issus de Juifs russes incorporés dans l’armée tsariste ?
Envoyés en Finlande pour y effecteur leurs 25 années ( !) de service, ils y étaient restés. Leurs descendants avaient à cœur de démontrer qu’ils étaient à présent des Finlandais à part entière, avec toutes les obligations que cela impliquait.
Y compris combattre aux côtés des soldats allemands. Situation paradoxale, unique durant cette guerre. D’autant que l’armée finlandaise accordait les mêmes droits aux croyants de toutes les religions. Les Juifs avaient donc congé le samedi et durant leurs fêtes.
Une synagogue de campagne avait été installée à moins de 2 km du front et les Allemands pouvaient voir les Juifs croyants aller prier. La Wehrmacht ne réagit jamais, pas plus qu’à l’obligation qu’avaient ses soldats de saluer un officier juif finlandais…
Mais revenons-en à la Croix de Fer de Salomon Klass. Quelques jours après son exploit, il reçut la visite de deux hauts gradés allemands : « Nous sommes ici, lui dirent-ils, afin de vous remercier pour votre courage et vous décorer au nom du Führer »
Le capitaine Klass répondit : « Je suis un Juif et un soldat de l’armée de Finlande. Jamais je n’accepterai ou ne porterai une décoration décernée par Hitler ». Les deux Allemands claquèrent des talons, firent le salut hitlérien et s’en allèrent.
« Nous n’avons pas de question juive ici »
Le médecin-major Léo Skurnik eut une réaction similaire. En septembre 1941, il dirigeait un hôpital de campagne où, au nom de son serment d’Hippocrate, il soignait sans distinction les blessés de son régiment, le 53e d’infanterie, et ceux de la division SS qui combattait à leurs côtés.
Pris sous un puissant bombardement soviétique, il parvint à coordonner l’évacuation de son hôpital, sauvait ainsi la vie de plus de 600 soldats des deux pays. Les Allemands firent savoir à son supérieur qu’ils entendaient le décorer lui aussi de la Croix de Fer
L. Skurnik suggéra à son chef de leur signaler qu’il était juif. Ce qui ne découragea nullement les nazis. Le médecin lui expliqua alors, en termes vigoureux, en quel lieu il estimait que les nazis pouvaient placer leur breloque et il n’en entendit plus parler.
L’infirmière Dina Poljakoff, récompensée pour la qualité de ses soins, refusa de même, quoiqu’avec davantage de courtoisie. A noter que, d’une façon générale et ce malgré les pressantes demandes nazies, le gouvernement finlandais, n’accepta aucune mesure antijuive.
Il n’y eut pas de lois antisémites ni d’étoile jaune. Et lorsqu’en aout 1942, le Reichsfüher- SS Heinrich Himmler proposa au 1er ministre finlandais, Jukka Rangell de « régler la question juive » en lui livrant la petite communauté, il se fit sèchement rembarrer par un :
« Nous n’avons pas de question juive ici ». Même rebuffade lorsque Himmler tenta de faire pression sur le commandant en chef de l’armée, le Maréchal Mannerheim : « Tant qu’un Juif portera le même uniforme que moi, vous ne toucherez à aucun Juif de mon pays »
Les autorités finlandaises furent cependant moins bienveillantes envers les quelques 500 réfugiés juifs qui se trouvaient sur leur sol au début de la guerre de Continuation. Elles envoyèrent les hommes dans des camps de travail, dans le nord glacial du pays.
Mais, lorsqu’en octobre 1942, un fonctionnaire pronazi livra 8 réfugiés aux Allemands. (7 moururent à Auschwitz), le tollé fut tel dans tout le pays que le drame ne se répéta jamais. Mi- 1944, les réfugiés furent discrètement envoyés en Suède où ils ne risquaient rien.
Il n’empêche que, la guerre finie et les crimes nazis tout à fait révélés, l’opprobre tomba sur les soldats juifs qui avaient combattus avec Hitler. Ainsi, une délégation d’entre eux fut elle expulsée lors d’une réunion d’anciens combattants à Tel Aviv en 1946.
Mais, jusqu’à aujourd’hui, les « traîtres » estiment qu’ils n’ont fait que leur devoir : « nous avons été enrôlés comme les autres citoyens de notre âge et en tant que soldats de l’armée de Finlande, nous avons défendu notre pays »
Et de préciser : « Nous n’avons pas aidé les Allemands. Eux menaient une guerre de conquête, nous, une guerre d’auto-défense. Nous avions un ennemi commun, les Russes, c’est tout ». A l’époque, comme pour tous ceux qui pratiquaient la « politique du moindre mal », le raisonnement pouvait avoir un semblant de cohérence.
Sauf qu’il ne prenait pas en compte une donnée essentielle : aider, de quelque façon que ce soit les nazis, c’était participer à la destruction programmée du peuple juif. Les courageux soldats juifs finlandais pouvaient-ils l’ignorer ?
* De 1939 à 1945, la Finlande connut trois guerres :
-La « guerre d’Hiver » (nov. 39- mars 40) lorsqu’elle est attaquée par l’Urss et perd la région stratégique de Carélie
-La « guerre de Continuation » (juin 41- sept. 44) : la Finlande s’allie à l’Allemagne contre l’Urss pour reconquérir ses territoires perdus
-La « guerre de Laponie » (sept. 44 – avril 1945) : après avoir signé un armistice avec l’Union soviétique, la Finlande se retourne contre l’Allemagne
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