Dr Alain Jesuran “la situation est tout à fait maîtrisée actuellement”

Géraldine Kamps
Alors que le nombre de cas testés positifs au Covid-19 semble chaque jour plus alarmant dans les maisons de repos, nous avons voulu connaitre la situation à l’Heureux Séjour qui accueille de nombreux aînés de la communauté juive de Belgique. Le point avec Alain Jesuran, médecin coordinateur de l’institution.
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Célèbre institution au sein de la communauté juive de Belgique, pour avoir accueilli déjà plusieurs générations de résidents, l’Heureux Séjour pouvait se vanter il y a quelques jours encore de ne compter aucun cas positif de coronavirus. Depuis jeudi soir, malheureusement, la situation a quelque peu évolué, même si, comme nous l’assure Alain Jesuran, médecin coordinateur à l’Heureux Séjour depuis 38 ans, « la situation est sous contrôle ».

« Depuis l’interdiction des visites des familles, et grâce à l’action de Marcel Joachimowicz, nous avions pris soin de mettre en place toutes les mesures de précaution : gants, masques, blouses et gel hydroalcoolique pour l’ensemble du personnel, et nous pouvions nous réjouir d’être l’une des dernières maisons de repos à ne pas encore être touchées », affirme-t-il. « Malheureusement, jeudi, nous avons été informés de la contamination de deux membres du personnel, et de l’apparition de symptômes chez trois de nos résidents. Deux d’entre eux, l’un âgé de 102 ans, l’autre bientôt centenaire, ont été hospitalisés. Quelques autres résidents sont suspectés de Covid, mais ils vont très bien ».

L’Heureux Séjour a obtenu avec beaucoup d’insistance les quelques tests indispensables au dépistage et a ensuite pu orienter au mieux vers certaines hôpitaux les résidents qui le nécessitaient. Deux tâches plus que laborieuses quand on sait la saturation des soins intensifs et le manque de réactifs disponibles. Alain Jesuran précise toutefois : « Les hôpitaux ont maintenant reçu l’ordre d’accepter les pensionnaires des homes, mais tant que nos résidents n’ont pas de détresse respiratoire, nous préférons les garder chez nous. Les hospitaliser est un choix difficile, parce que nous savons qu’ils auront beaucoup plus de chances de guérir sans stress et entourés des gens qu’ils connaissent ». Une frustration subsiste : « Les autorités sanitaires nous demandent d’essayer de ne pas saturer les hôpitaux, mais pourquoi ne nous donne-t-on pas dès lors les moyens de pouvoir soigner nos résidents comme à l’hôpital ? Il faut savoir qu’en tant que maison de repos et de soin, nous n’avons pas accès à la chloroquine, c’est regrettable ! ».

Un personnel « extraordinaire »

Toujours dans l’attente des tests promis par le gouvernement qui lui permettront de tester les porteurs asymptomatiques au sein du personnel et de les dédier plus efficacement aux résidents déjà touchés, sans risquer de nouvelles contaminations, l’Heureux Séjour a la chance de pouvoir compter sur un personnel particulièrement dévoué. « Infirmières, ergothérapeutes, mais aussi personnel de l’entretien et des cuisines, nous avons la chance de pouvoir compter sur eux, ils sont extraordinaires. Depuis le début de l’épidémie, nous n’avons compté aucune défection ! », souligne Alain Jesuran. Si l’Heureux Séjour a ce qu’il faut en matériel, le médecin souhaite insister sur une plus grande reconnaissance pour ceux qui viennent chaque jour prendre soin de nos aînés : « Ils sont musulmans, catholiques et se donnent corps et âme pour nos aînés. Ils sont attentifs, créatifs et disponibles. Si la communauté veut leur montrer cette reconnaissance dont ils manquent souvent, elle peut les aider sur le plan financier* ».

Alain Jesuran lance un autre appel à ceux qui auraient été diagnostiqués positif, seraient guéris et désormais immunisés : « Nous avons besoin de bénévoles qui peuvent aider à la distribution des repas ou aux petites promenades de nos résidents dans le jardin. Cela permettra de soulager le personnel médical et de le laisser se consacrer aux résidents touchés ».

Malgré une situation pour le moins inédite, et cette obsession désormais de limiter la propagation, l’ambiance de l’Heureux Séjour reste sereine. « Nous devons aujourd’hui gérer cette situation que nous savions inéluctable, mais que nous avons pu heureusement retarder un maximum. Nous l’avions déjà préparée en cloisonnant un maximum nos différentes unités, et avec une unité réservée aux cas positifs, pour empêcher que le personnel ne passe de l’une à l’autre et éviter la propagation du virus ».

Les résidents sont confinés dans leurs chambres et les activités sociales ont été supprimées, mais ils peuvent encore faire des promenades dans le jardin et contacter leurs familles par vidéo-conférence. « Nous n’avons compté qu’un seul décès (sans lien avec le coronavirus) depuis quelques mois, ce qui est assez exceptionnel », relève encore Alain Jesuran. « La situation est tout à fait maitrisée actuellement. Il faudra se battre, mais on va s’en sortir ».

Ce mardi 14 avril 2020, un des résidents Henri Kichka fêtait son 94e anniversaire, « aimé, entouré et embrassé à distance », selon ses enfants, Michel et Irène. Une note positive pour redonner un peu d’espoir à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Heureux Séjour.

* Vous souhaitez soutenir le personnel de l’Heureux Séjour en lui offrant des paniers gourmands? Vous pouvez apporter votre contribution en suivant ce lien.

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