Et à la fin ?

Il voulait des masques quand les masques étaient en rupture de stock. Il n’en voulait plus quand ils sont redevenus disponibles par millions dans les supermarchés !
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Il voulait des vaccins tout de suite et pour tout le monde. Du Pfizer s’il vous plaît ! Pas de leur Astra Zeneca. Et puis, non, tout bien réfléchi, il n’en veut plus ! Tous ces vaccins ne servent qu’à

contrôler les gens. Et même s’ils sont gratuits, il voit bien, en corrélant la vaccination et les revenus, que le pass sanitaire est antisocial. Et que les firmes pharmaceutiques font de l’argent sur le dos des morts. Et que la vaccination est inutile si on ne donne pas des vaccins à tous les pays pauvres. Et si on ne réhabilite pas d’abord l’hôpital public. Et d’ailleurs les vaccins ne sont pas casher. Pas hallal. Pas catholiques. Pas naturels. Et surtout, il ne veut pas qu’on lui impose quoi que ce soit : mon corps m’appartient !

Le sens dessus dessous

Elles n’avaient pas deviné, les féministes qui luttaient pour la dépénalisation de l’IVG, que, quelques décennies plus tard, leur principal slogan serait dévoyé par des femmes voilées opposées à l’interdiction des signes convictionnels dans la fonction publique au nom d’un « féminisme islamique ». Ou par des technophobes se soignant exclusivement par les plantes et la méditation, par des adeptes de sectes religieuses fondamentalistes et par des indignés de tous poils refusant d’indispensables mesures de santé publique au nom de la « liberté vaccinale ».

C’est une caractéristique de ce que Philippe Corcuff appelle le « postfascisme » que de pervertir ou d’inverser ainsi le sens des mots qui nous sont les plus chers[1]. Depuis plusieurs décennies, le langage de la démocratie, des droits de l’homme, du féminisme et de l’antifascisme s’est imposé. Longtemps marginalisée, l’extrême droite a retrouvé audience et légitimité en se l’appropriant. A la différence du fasciste des années 30, le postfasciste se proclame démocrate, républicain, féministe, laïque, antiraciste et antifasciste. Et c’est au nom des Lumières qu’il soupçonne tout ce que peuvent lui dire les autorités, les entreprises, les médias, les universités ou les épidémiologistes.  Le postfasciste est un kantien de stricte observance. « Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » Il pense par lui-même et il a bien le droit de penser ce qu’il penseQu’il confonde doute et soupçon, pensée et croyance, liberté et incivilité, c’est vous qui le dites ! C’est votre opinion et j’ai la mienne ! Vous n’aurez pas ma liberté de penser ! C’est un kantien tendance Florent Pagny.

Contre la dictature sanitaire

Les anti-pass-vaxx ne cessent de le crier : nous vivons en dictature. Autre inversion radicale présente chez les anti-vaxx depuis des lunes. Proche de Dieudonné, lui-même auteur en 2012 de Métastases, un film contre la médecine « enjuivée », Sylvie Simon a publié plus de dix livres contre les vaccins, a été préfacée par l’écologiste Corinne Lepage et abondamment citée par les sites altermondialistes. Elle signe en 1997 une Dictature médico-scientifique [2] suivie d’une Nouvelle dictature en 2006[3].  Ne nous l’a-t-elle pas dit et redit, Elise Lucet, que les big-pharmas décident de nos vies?[4] De droite ou de gauche, le postfasciste voit dans le néo-libéralisme une forme de totalitarisme[5]  voire de fascisme (on se souvient de la carte blanche publiée en 2016 par Manuela Cadelli, présidente de l’Association syndicale des magistrats [6]). En 2018, Michel Onfray,  publie sa Théorie de la dictature qui, s’inspirant d’Orwell, décrit la domination totalitaire de l’abominable « Empire maastrichien »[7]. L’épidémie le confirme dans son analyse : l’Europe néolibérale a privé la France de sa souveraineté et de toute capacité à protéger sa population. Tandis qu’Agamben voit, lui, dans le Covid 19 une invention permettant aux États de prolonger et renforcer un éternel « état d’exception » mis en place à la suite des attentats djihadistes pour nous priver de nos libertés[8].

Et hop ! l’antisémitisme !

Contre la dictature sanitaire, il ne s’agit donc plus d’un désaccord politique, d’un affrontement réglé entre différentes positions ou entre des intérêts contradictoires au sein d’une démocratie. Il s’agit de résister à une volonté quasi démoniaque de contrôle des corps et des esprits. La figure du juif apparaît alors d’elle-même sous ses deux avatars : d’une part, l’étoile jaune qui assimile l’anti-vaxx-pass à la victime d’un crime contre l’humanité, d’autre part la pancarte qui dénonce les tenants d’un pouvoir occulte et absolu. Qui ? Soros, Fabius, Rotschild.  Comme par magie, l’antisémitisme est ressorti du chapeau.

On dira que tous les anti-pass-vaxx ne sont pas postfascistes. Que tous les gilets jaunes non plus. Et tous les pro-life ou les anti mariage-pour-tous. Mais à la fin, c’est quand même l’extrême droite qui gagne.


[1] Philippe Corcuff, La Grande Confusion, comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Textuel 2021.

[2] Editions Filipacchi 1997.

[3] EDITIONS DANGLES 2006. SUR LES LIENS ENTRE DIEUDONNÉ-SORAL ET LES CHARLATANS ANTI-MÉDECINE CF. NADIA MEZIANE, LE VACCIN ET L’ANTISÉMITISME ANTISANITAIRE, APOGÉE DE LA PULSION DE MORT PANDÉMIQUE, SUR LE SITE DU MAGAZINE LIGNES DE CRÈTE, 18/08/2021.

[4] Dans Cash Investigation sur F2 : Les vendeurs de maladie de Laurent Richard et Wandrille Lanos (2012), Santé : la loi du marché de Sylvain Louvet (2015), Implants : tous cobayes de Marie Maurice et Edouard Perrin (2018). Voir aussi Big Pharma : Labos tout-puissants de Luc Hermann et Claire Lasko (2018) diffusé par Arte.

[5] Maxime Teppas, Harmatan 2021

[6] Le néolibéralisme est un fascisme in Le Soir, 3 mars 2016

[7] Editions Robert Laffont 2019

[8] Sur les fondements théoriques de sa position voir entre autres Etat d’Exception (Seuil 2003) et Usage des Corps (Seuil 2015)

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