La treizième tribu d’Israël?

Disparu il y a près de 1.000 ans, l’empire khazar continue de susciter les interrogations et les passions des chercheurs. Tous relatent l’histoire de cet empire installé sur la Volga et qui régna du VIIe au XIe siècle sur le Don, les steppes du Caucase, la Crimée, et dont l’empire finit par s’étendre jusqu’à la mer d’Aral. Si la puissance politique et économique de cet empire attisa constamment l’intérêt des chercheurs, il existe un autre point qui cristallisa l’attention des historiens et du grand public : le fait que les Khazars pratiquaient le culte israélite.
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Mieux, selon certaines sources, les Khazars ne seraient ni plus ni moins que le peuple d’où descendraient les Juifs ashkénazes. De nombreuses archives attestent de la conversion massive au judaïsme des élites en 760, notamment une correspondance entre le Kagan Joseph et le ministre du califat de Cordoue, le rabbin Hasdai Ibn Shaprout, correspondance dont l’original se trouve à l’université d’Oxford en Angleterre. Des archéologues ont retrouvé des amphores portant la mention Israël en hébreu dans la vallée du Don ainsi que des pièces de monnaie portant comme effigie l’étoile de David et le chandelier à sept branches prouvant qu’un puissant royaume juif avait bel et bien existé au Moyen Age. Reste une inconnue, des archéologues russes ont mis à jour il y a peu certains vestiges d’une ancienne ville khazare dans la région d’Astrakhan, des vestiges qui pourraient être ceux de la ville d’Itil, capitale de l’empire khazar, installée dans le delta de la Volga, l’une de ses rives étant juive, et l’autre musulmane, l’empire khazar ayant, très tôt, instauré une tolérance religieuse absolue pour la population. Si cette dernière est devenue au cours du temps majoritairement juive grâce aux conversions et à l’accueil des communautés juives brimées qui affluaient de Byzance et du Caucase, de fortes communautés musulmanes et chrétiennes ont persisté, libres d’exercer leur culte. Par exemple, le système juridique reposait uniquement sur la Torah, quant aux minorités non juives, elles étaient jugées sur base de leurs propres textes sacrés.


Qui étaient les Khazars?

L’origine ethnique des Khazars est une question non encore résolue. Pour beaucoup, il s’agirait d’une peuplade de barbares descendant d’Attila, aux origines turques et persanes, parlant turc et s’adonnant au chamanisme, déferlant sur l’Europe par vagues successives. Pour d’autres, comme Constantin Zuckerman, grand spécialiste des Khazars, ils seraient de filiation finno-ougrienne. Ils ne venaient donc pas des steppes de l’Est mais des forêts enneigées du Nord de la Russie et se comportaient comme une meute sanguinaire s’adonnant aux pillages des petits royaumes qui avaient le malheur de se trouver sur leur chemin. Venus du grand froid, ils seraient passés par la Volga et auraient assimilé le peuple barsile. Si ces recherches se révèlent exactes, cela signifierait qu’il faudrait réécrire l’histoire des Khazars. Le malaise est d’autant plus grand que les autorités soviétiques et maintenant russes égarent ou passent sous silence les découvertes de ces archéologues relatives à ce peuple quasi inconnu dont Moscou tient viscéralement à minimiser l’importance. L’historien russe Artamov l’apprit à ses dépens. Suite à ses recherches, il mit à jour l’apport des Khazars à la civilisation russe. Mal lui en pris, ses écrits déclenchèrent la colère du Kremlin et Staline l’envoya terminer ses jours au goulag. Quant aux cités khazares découvertes, notamment la ville de Sarkel dans la vallée du Don, Staline décida de les inonder et de transformer la zone de fouilles en un vaste lac artificiel. On imagine sans peine que le nationalisme russe s’accommode mal d’être si redevable au judaïsme et à l’empire khazar dans l’édification de la Russie et de ses institutions politico-militaires. D’autant plus qu’à cette époque, les Russes avaient pris les Khazars comme modèle, leur roi portait d’ailleurs le titre de Kagan et non de Kniaz.


L’avènement d’un empire

Les Khazars se sédentarisèrent au Nord du Caucase aux abords de la Volga en 652 après avoir été repoussés de Transcaucasie par les troupes arabes. A la différence de leurs puissants voisins byzantins et arabes, les Khazars étaient faiblement structurés, illettrés et dépourvus de fondements pouvant être à la base d’une nation forte. Il n’empêche, forts des contacts récurrents qu’ils entretenaient avec leurs voisins byzantins, arabes et en particulier avec les communautés juives opprimées de la région caucasienne qu’ils accueillirent, il en résulta un éveil progressif à la spiritualité et au monothéisme prôné par les trois religions. L’histoire veut que le premier à se convertir fût le chef du gouvernement, l’empereur Joseph finira par se convertir au judaïsme, entraînant dans son sillage la classe dirigeante de cet empire naissant et s’étendra graduellement au reste de la population au IXe siècle. Si de nombreuses correspondances attestent de la conversion des Khazars au judaïsme, certains de ces documents stipulent qu’il s’agirait plus d’un retour à la foi que de conversion stricto sensu, les Khazars étant considérés par leurs contemporains comme des descendants de Japhet, un des fils de Noë. Quoi qu’il en soit, même si les préférences judaïsantes de l’élite sont attestées par de nombreuses archives, on ne peut s’empêcher de penser qu’il existe une part d’opportunisme politique dans ce choix. En effet, selon les historiens, la conversion massive des Khazars au judaïsme date de 861, date plus que significative vu qu’elle marque les prolégomènes d’un prosélytisme intense dans le Caucase et en Russie suivis de conversions massives. De plus, Cyril entreprit de convertir dès 860 les Khazars à la religion orthodoxe et ses tentatives se soldèrent par un échec. Il n’est d’ailleurs pas impossible que cette vague de conversions touchant la Russie s’est faite en réponse à la conversion des Khazars.

En outre, cette période de l’histoire a vu l’avènement de Charlemagne, apôtre du christianisme comme empereur de l’Occident, les victoires de l’empire byzantin s’étendent jusqu’à l’empire russe et le califat de Bagdad exporte son prosélytisme islamique partout où cela lui est possible. Il y a fort à parier que si les rois khazars avaient embrassé le christianisme, ils seraient devenus, qu’ils le veuillent ou non, les vassaux de Byzance, idem en ce qui concerne la foi musulmane, où ils seraient plus que probablement tombés spirituellement et politiquement sous la coupe du califat.

En choisissant une autre religion, ils devenaient par la même l’égal des autres empires, rendant caduques toutes formes de subordination à un pouvoir politique ou spirituel exogène. Une tactique qui se révéla payante puisqu’une délégation de Khazars fut conviée à assister au sacre de l’empereur Charlemagne qui voyait d’un très bon oeil l’apogée d’un empire, spirituellement différent, qui pourrait contenir les velléités annexionnistes des Byzantins et les tentations belliqueuses des Arabes. Un calcul qui s’est avéré payant puisque c’est grâce à la puissance militaire de l’empire khazar que l’Europe de l’Est n’a pas été envahie par les Arabes.


Apogée khazare

A l’heure actuelle, il ne reste quasiment plus de vestiges khazars. La volonté des Russes de convertir à la religion orthodoxe les Khazars et les lieux inexpugnables dans lesquels ces derniers avaient trouvé refuge expliquent en partie la furie destructrice des Russes à l’égard des villes et du patrimoine khazars. Par ailleurs, à cette époque, les Russes n’étaient encore que des meutes de barbares s’adonnant aux pillages et aux exactions en tout genre. Suite aux massacres, plusieurs vagues de diaspora khazare survinrent, les Carpates, le Caucase et surtout le Nord en direction de l’Ukraine, la Pologne, la Lituanie et les zones limitrophes de la Russie consistèrent de nouveaux ports d’attache. Après la chute de leur empire, les Khazars adoptèrent l’écriture cyrillique au détriment de l’hébreu et adoptèrent les langues slaves comme langues usuelles. L’exode massif des survivants khazars rencontra sur les routes de l’exil d’autres groupes d’émigrants juifs, principalement de France et d’Allemagne qui tentaient de fuir l’avancée des Croisés vers Jérusalem et Constantinople. Ainsi la jonction de ces deux mouvements migratoires distincts aurait donné naissance au peuple ashkénaze, qui deviendra dès le XVIe siècle, la partie majoritaire au sein du monde juif. Le poids démographique et intellectuel de la communauté juive allemande sur cette mosaïque hétérogène d’ethnies propagera une langue commune à tous, le yiddish.

Ainsi, les Juifs ashkénazes descendent en majorité des Juifs d’Europe centrale et seulement dans une moindre mesure des Khazars.

Il n’en reste pas moins que le mythe persiste selon lequel les Ashkénazes seraient les descendants uniques des Khazars. Or, plusieurs arguments contredisent cette affirmation. Premièrement, les invasions russes suivies des attaques tatares qui ont anéanti l’empire khazar et les petits royaumes annexes portèrent un coup fatal aux courbes démographiques de la région. Deuxièmement, à partir du XIVe et du XVe siècles, de nombreux souverains des régions limitrophes de la Russie exigèrent la conversion de leur communauté juive. Si nombre d’entre elles ont obtempéré, les autres ont préféré la fuite et seraient vraisemblablement venues gonfler les rangs des populations juives allemandes. Il n’empêche, on ne saurait nier l’apport de la culture khazare aux peuples ashkénazes. Ainsi, selon Arthur Koestler (voir encadré), le shtetl serait d’ascendance khazare tout comme la toque traditionnelle ashkénaze en fourrure et en zibeline, le shtremel.

Des centaines d’années après son effondrement, nombre d’énigmes et de fantasmes continuent à alimenter l’épopée des Khazars. Néanmoins, un empire florissant qui vécut du VIIe au XIIIe siècle ne peut disparaître totalement sans laisser de traces. A l’heure actuelle, outre son apport à la culture ashkénaze, et quelques mots passés dans la langue française comme «hussard» ou «cosaque», la majorité des traces de cet empire restent liées à l’histoire et à la culture russe et hongroise. Dernier vestige significatif de l’existence de la civilisation khazare, la mer Caspienne est toujours surnommée la mer des Khazars, malgré les siècles passés, par les peuples turcophones et arabes du Caucase.

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