C’est fort de ce constat que je publiais, voilà près de 25 ans, aux éditions Complexe, dirigé par mon ami André Versaille, un ouvrage consacré à ces villes (Belfast, Mostar, Cluj-Kolozsvar), ces régions (Nagorny-Karabagh, Crimée, Cisjordanie), ces pays (Bosnie, Macédoine, Ukraine) qui sont autant de territoires pour deux, voire trois rêves, à l’instar de Jérusalem. La non-possession et/ou la perte d’une ville ou d’une région sont souvent vécues de manière d’autant plus traumatique qu’elle incarnerait une part du rêve national. D’aucuns voudraient nous convaincre, bien à tort, qu’il serait impossible pour la Russie d’être sans l’Ukraine, pour Israël sans Hébron, pour la Chine sans Taïwan, pour la Flandre sans… Bruxelles. Plus que jamais, la terre est l’objet de passions qui paraissent d’autant plus dangereuses qu’elles sont présentées comme existentielles. L’histoire ne prête pas guère à l’optimisme. La plupart des conflits du siècle dernier sont partis de ces zones frontières. On songe à la ville de Dantzig, à la crise des Sudètes, à la Bosnie-Herzégovine.
« C’est Coluche qui s’est transformé en Churchill »
L’histoire se répète aujourd’hui avec la guerre en Ukraine, et ce, sous prétexte que ce pays appartiendrait de fait à la Russie. Pour bien connaître ce pays que les Russes se plaisent à nommer Petite-Russie (j’y ai enseigné par intermittence de longues années), tout cela n’est que rêverie ou mensonge. Il existe bel et bien un peuple ukrainien ; leur résistance face à l’ogre russe en est la parfaite illustration. S’il ne fait guère de doute que la Russie l’emportera in fine, il apparaît tout aussi sûr que sa victoire sera à la Pyrrhus. La Russie va définitivement se couper de l’Occident et se verra contrainte de se donner à une Chine dont elle deviendra, au mieux, un brillant second. Quant à l’Ukraine, si d’aucuns doutaient de son existence, elle apparaît plus unie que jamais. Les guerres d’agression ont cette particularité de forger les identités nationales : songeons aux Pays-Bas face aux tercios espagnols, à la Bosnie face aux soudards de Serbie, à Israël confronté en 1948 à l’attaque de cinq armées arabes.
Si l’agression russe a définitivement fait sortir l’Europe de sa naïveté, elle aura surtout parachevé l’identité nationale ukrainienne. Et le moins qu’on puisse dire est que le Président ukrainien, Volodymyr Zelensky n’y est pas étranger. Selon la presse israélienne, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, a demandé à l’ambassadeur d’Israël à Moscou, Alexander Ben Zvi, pourquoi Israël exprimait son soutien aux « nazis » en Ukraine. La Russie a, en effet, prétexté à plusieurs reprises son désir de « dénazifier » l’Ukraine pour justifier son invasion. La réponse est évidente si l’on songe que Zelensky est … juif. Outre qu’il constitue en soi un démenti à la propagande de guerre poutinienne, cet acteur comique, au destin possiblement tragique, est devenu en l’espace de quelques jours le symbole de son pays, de sa lutte héroïque, de sa résistance au totalitarisme. Tous mes amis et collègues ukrainiens sont admiratifs de leur Président juif. On se remémorera sans doute dans le futur sa réponse au gouvernement américain qui se proposait de l’exfiltrer : « C’est ici qu’est le combat. J’ai besoin de munitions, pas d’un taxi. » Comme l’a si bien résumé le journaliste Bernard Guetta, Volodymyr Zelensky « C’est Coluche qui s’est transformé en Churchill ». Que de différence avec cet autre Juif, candidat à la Présidence de la République française qui, de Rubimpré s’est transformé, lui, en… Pétain !
Non l’Ukraine n’est pas dirigée par une bande de drogués et de nazis
Si la démocratie est une drogue (douce), pour ce qui concerne le néonazisme, c’est bien du côté de la Russie qu’il convient de regarder. Poutine est-il un nouvel Hitler ? Oui, dans une certaine mesure pour recourir aux mêmes méthodes mensongères que le chancelier nazi et aux mêmes justificatifs racialistes. N’était-ce pas pour sauver les Sudètes, des Allemands ethniques (volksdeutsch), d’un « génocide » qu’il exigea le démantèlement de l’Etat tchécoslovaque ? Tout comme Hitler, Poutine est bien moins un jouer d’échec que de Poker menteur. Son hubris sera fatale à la Russie. Evidemment, nous assistons à un véritable tournant culturel dans les relations internationales. L’invasion de l’Ukraine signifie tout simplement que la guerre est redevenue une option réalisable, la destruction de l’Humanité une possibilité. Contre toute attente, l’idée de la loi du plus fort réapparaît dans les relations interétatiques. Tandis que la Russie viole l’Ukraine, la Chine s’apprête pour sa part à envahir Taïwan, la Turquie à reconquérir l’Empire ottoman ; l’Iran à se venger des sunnites et des Juifs (?), arme nucléaire à l’appui. Tous les dirigeants de ces Etats que je qualifierais volontiers de voyous sont persuadés que les problèmes peuvent se résoudre par la violence externe comme interne.
Qu’on ne se trompe pas, l’objectif affiché par le Kremlin n’est pas d’empêcher l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. Si vous ne le savez pas, les pays de l’OTAN désireux d’intégrer l’Ukraine se comptaient avant la crise sur les doigts d’une seule main. L’objectif premier de Poutine, comme d’ailleurs de Xi Jinping, de Khamenei ou d’Erdogan, est tout simplement de stopper à tout prix la contagion démocratique. L’ennemi de nos tyrans, ce n’est pas l’Occident en tant que tel, mais le modèle de démocratie libérale. Nous sommes bel et bien revenus dans les années trente où la démocratie paraissait obsolète, dépassée, caduque pour résoudre les crises.
excellent!
très bel article et a le mérite de rendre clair les enjeux. Il s’agit bien de savoir quel modèle de société nous voulons. La démocratie et le droit ou un pouvoir autoritaire et la force ?
Tout autre justification, en particulier du genre ” je condamne l’invasion russe, mais l’histoire nous dis que …” ne serait que du révisionisme