Prouesses et turpitudes du « gouvernement de changement »

Elie Barnavi
Le bloc-notes d’Elie Barnavi, Ancien ambassadeur d’Israël
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Turqueries

Un couple d’Israéliens en vacances en Turquie se fait arrêter et jeter en prison. Ils sont accusés d’espionnage pour avoir photographié la résidence stambouliote d’Erdoğan. Les Oknin, tel est leur nom, sont chauffeurs de bus de leur état. Victimes de la paranoïa du régime, leur saga devient rapidement une affaire d’Etat. C’est là que le « gouvernement de changement » donne sa pleine mesure. Le Président Herzog, le Premier ministre Bennett et le ministre des Affaires étrangères Lapid forment une équipe discrète et efficace. Ils évitent les fuites dans la presse, établissent un lien direct avec le néo-sultan, dépêchent le chef du Mossad rencontrer su place son homologue turc. Au bout d’une semaine, tout est terminé : le 22 novembre au petit matin, le couple d’improbables espions débarque en Israël par avion privé. Aucun des membres du trio qui a assuré leur libération n’est présent sur le tarmac pour en recueillir la gloire ; seule la famille est là et un représentant du ministère des Affaires étrangères, naguère souffre-douleur de Netanyahou remis en selle par Lapid. Un sans-faute. On tremble en pensant ce qu’il se serait passé sous le précédent gouvernement.

Du bon usage des lois constitutionnelles

La loi pour limiter à deux législatures la fonction de Premier ministre vient de passer en première lecture. Elle se veut « non personnelle », mais personne n’est dupe ; c’est bien l’interminable ère Netanyahou qui en est l’origine. Pourquoi pas ? Trop de temps au pouvoir corrompt, c’est bien connu. Sauf que, si une telle loi a du sens en régime présidentiel, elle n’en a pas beaucoup en régime parlementaire. Une autre loi constitutionnelle serait, elle, autrement utile et logique : celle qui interdirait à une personnalité politique mise en examen d’accéder au poste de Premier ministre. Bien que prévue par les accords de coalition, celle-ci se heurte encore à l’opposition de certains membres du parti Yamina, la formation du premier ministre. Il faut espérer qu’elle finira par passer. Du coup, on serait débarrassé pour de bon du spectre de Netanyahou.

Iran, Iran, Iran

Je disais dans ma dernière chronique que, dans l’affaire du nucléaire iranien, Israël ferait bien de coller aux Etats-Unis pour peser autant que possible sur le résultat final d’un éventuel nouvel accord nucléaire (fort mal parti, soit dit en passant). Or, malgré les démonstrations d’amitié de part et d’autre, il semble que le gouvernement Bennett et l’administration Biden soient pris dans une logique d’affrontement. Pas contre les Iraniens, entre eux. En effet, soit par conviction, soit pour montrer qu’il n’a rien à envier à son prédécesseur, soit, ce qui est probable, une combinaison des deux, Naftali Bennett s’est enfermé dans une posture martiale qui agace au plus haut point notre grand allié américain. A la mi-novembre, il a refusé de rencontrer Robert Malley, l’envoyé spécial du président américain pour l’Iran, en tournée dans la région dans le cadre des efforts de l’administration de renouveler les négociations avec Téhéran. Passe encore la grossièreté du procédé, mais quelle peut bien en être la pertinence ? Et le 22, lors de son allocution à la conférence sur la Sécurité de l’Université Reichman d’Herzliya, il a affirmé que, « même si l’accord était ressuscité, Israël ne se considèrera pas lié par lui ». Les Américains, eux, ne cessent d’exiger des Israéliens de se tenir tranquilles. L’agitation de leur alliés israéliens leur déplaît souverainement, et ils ne se privent pas de le leur faire savoir, désormais publiquement.

En attendant Armageddon, Tsahal poursuit sans relâche sa « guerre entre les guerres » en Syrie, dont on peut penser ce qu’on veut (j’en pense plutôt du bien moi-même), mais dont les conséquences sont pour l’instant objectivement gérables. Le 8 novembre, sa chasse a frappé pour la septième fois en un mois, cette fois une usine de missiles dans le nord. Entre autres. Il s’agit, comme toujours, d’empêcher les Iraniens de s’installer durablement en Syrie, directement ou à travers ses supplétifs, et de prévenir la fourniture d’armes aux milices chiites, surtout au Hezbollah. Cet activisme guerrier ne semble pas gêner outre mesure Poutine, ni, ce qui semble plus étrange, Assad, tous deux pas mécontents d’affaiblir leurs encombrants alliés iraniens par Israéliens interposés. En contrepartie, Israël prend grand soin de ne pas mettre en danger la vie des soldats russes et, plus discrètement, s’accommode de la survie du régime syrien. La logique ? Mieux vaut un Assad diminué sous la férule de Poutine que l’anarchie.

Battez les Juifs et sauvez la patrie

La droite israélienne ne connaît peut-être pas ce slogan pogromiste russe, mais il l’applique fort bien aux Palestiniens. Je ne fais pas allusion ici aux vrais pogroms, dont j’ai dit un mot dans ces colonnes le mois dernier, mais de la politique très officielle du gouvernement de Jérusalem. A la mi-octobre, Benny Gantz, en sa qualité de ministre de la Défense, a qualifié d’« organisations terroristes » six associations de défense des droits humains issues de la société civile palestinienne et les a mises hors la loi. Le prétexte est la relation que ces organisations entretiendraient avec le Front populaire de libération de la Palestine, une organisation de gauche, effectivement terroriste, fondée par Georges Habache en 1967. J’ignore si quelqu’un au sein de ces six organismes a quelque lien avec le FPLP ; Israël n’en a fourni aucune preuve, ni à l’opinion israélienne ni aux Européens et aux Américains qui lui ont demandé de lui en fournir. Mais là n’est pas la question ; de toute manière, depuis Oslo, le FPLP n’existe virtuellement plus. Il est difficile de comprendre ce que Gantz avait en tête. Se dédouaner aux yeux de la droite, lui le centriste, d’avoir eu la témérité de rencontrer Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne ? Compliquer la mise en accusation d’Israël devant la Cour pénale internationale ? Peu importe. Ce que la mise hors la loi de ces associations signifie est la suppression de la dernière ligne de défense des Palestiniens contre l’occupation. C’est l’effacement de la distinction entre le véritable terrorisme, qui tue des innocents, et des militants des droits humains qui tentent de protéger une population sous occupation militaire. C’est l’affirmation que toute résistance à l’occupation est illégitime. Après tout, Israël a inventé ce formidable oxymore afin de stigmatiser les tentatives des Palestiniens de forcer les portes des organisations internationales : « terreur diplomatique ».

Ce qui est extraordinaire est que, après avoir humilié Abbas plus bas que terre – Bennett l’a traité de « terroriste » et de « tête du serpent de l’incitation » – et castré la société civile palestinienne, son gouvernement implore la communauté internationale de sauver l’Autorité palestinienne de la faillite. Ce fut le message de la délégation israélienne aux travaux du Comité de liaison ad hoc des pays donateurs réuni à la mi-novembre à Oslo, délégation dirigée par le ministre de la Coopération internationale Issawi Frej, un Arabe membre du Meretz. On comprend le gouvernement de Jérusalem : l’effondrement de l’AP, qui fonctionne comme une sorte de sous-traitant de l’Occupation, serait une très mauvaise affaire pour Israël. Mais le Comité de liaison, créé dans le cadre des accords d’Oslo, était censé aider Israéliens et Palestiniens à régler leur conflit. Maintenant que Bennett proclame urbi et orbi qu’il n’a pas la moindre intention de négocier quelque solution que ce soit, et certainement pas la création d’un « Etat terroriste au cœur d’Eretz-Israël », la seule fonction dudit Comité est de financer l’Occupation. Ne pourrait-on pas au moins suggérer aux généreux donateurs de demander à Israël, en échange de l’argent de leurs contribuables, quelque geste de bonne volonté ? Par exemple, abroger le décret scélérat du ministre Gantz.

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Nourit
Nourit
2 années il y a

Monsieur l’ambassadeur,
Vu vos analyses si pointues et justes je ne comprends pas que vous n’ayez pas encore été appelé aux fonctions de ministre des affaires étrangères.
J’ai eu l’honneur d’être assis à la même table que vous à un dîner du CRIF et je regrette vivement le temps où vous représentiez votre pays en France car celles et ceux qui vous ont suivi, toutes et tous sans exception, ne vous arrivaient pas à la cheville à l’exception peut-être de Monsieur Saada que j’ai eu l’occasion de voir de temps à temps dans les médias lors des attaques terroristes sur Israël en mai dernier et qui, sommes toutes, ne se défendait pas si mal.
Je travaille actuellement à Anvers et j’espère qu’un jour vous serez nommé en Belgique ce qui me donnera le plaisir de vous revoir.
Je vous souhaite une bonne année 2022
Nourit
Ancienne membre de la Wizo de Paris
Actuellement Consultante Diététicienne

i.levon@yahoo.fr
2 années il y a

Monsieur l’Ambassadeur Saada n’arrivait pas à la cheville de Monsieur Barnavi.
Isaac

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Elie Barnavi
Elie Barnavi
Historien, professeur émérite de l’Université de Tel-Aviv et ancien ambassadeur d’Israël