Raphaël Glucksmann, le combatif

Humaniste, altruiste et de tous les combats du progressisme, Raphaël Glucksmann sort 
en cette rentrée un essai attendu, Les Enfants 
du vide, aux éditions Allary. L’occasion de se pencher sur l’homme et ses engagements.
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Le cheveu coiffé-décoiffé et la barbe de trois jours, voilà Raphaël Glucksmann à l’aise dans ses baskets progressistes, celles d’un intellectuel de la nouvelle génération parmi les plus visibles et les plus combatifs. Son crédo : ne surtout pas laisser le champ libre aux réactionnaires et populistes de tous poils, donner à penser, montrer l’existence d’une voix moderne et supranationale lorsque tout pousse pourtant au repli anxieux. Il faut dire qu’en face, les ennemis (ultra-nationalistes ou ultra-religieux) menacent… « Jusqu’au 7 janvier 2015 », écrivait Glucksmann dans Génération gueule de bois (Allary, 2015), « nous vivions nos libertés, nos mélanges, nos irrévérences comme on respire, sans conscience particulière ni attention spécifique. Nous les pensions naturels, évidents, normaux. Ils ne l’étaient pas et, désormais, nous le savons. Nous sommes une construction idéologique, politique, sociale qui peut se déliter à tout instant si elle n’est pas défendue, cultivée, renforcée. Rien ne nous a préparés au combat et pourtant nous devrons lutter ».

La transmission du flambeau

Une intuition : peut-être est-ce contraint par l’époque que Raphaël Glucksmann combat sans relâche sur le terrain des idées. Peut-être est-ce aussi par tradition familiale. Ou bien par goût personnel ? Reste qu’à l’âge où l’on est encore considéré comme un jeune homme sur le Vieux Continent (38 ans), notre penseur a déjà vécu mille vies. Celles jadis empruntées par son père André, ses combats inlassables contre les tyrannies et les doctrines absolutistes à travers le globe, toutes ces causes reprises, puis transmises à travers les décennies, à la manière d’un flambeau. Et désormais les engagements plus personnels, menés tambour battant : la mémoire du génocide des Tutsi, l’opposition au pouvoir de Poutine, la poursuite de la construction européenne, la lutte contre l’obscurantisme religieux, l’accueil des réfugiés.

On en discute avec ferveur, un espresso au bord des lèvres, à la terrasse d’un café parisien. Au début, il devait se trouver bien seul à défendre ses idées, Raphaël Glucksmann… Peut-être même cruellement isolé, dans un milieu qui déroulait le tapis rouge à Eric Zemmour, Michel Onfray et autres auteurs de best-sellers proposant un effrayant prêt-à-penser truffé de contresens et de raccourcis. Car c’est bien connu : efficaces, les pensées du pire font vendre, elles attirent et permettent parfois même de se faire élire… A chacun son ennemi dans ce petit jeu de réécriture du passé et du présent: le basané, le cosmopolite, le migrant, l’européiste, l’américain, le droit-de-l’hommiste ou le sioniste. Si ce n’est la faute de l’un, ce sera forcément celle de l’autre. Dans ce contexte de méfiance généralisée, quelle place restait-il pour une figure de gauche comme Glucksmann fils, tandis que l’opinion se radicalisait irrémédiablement ? L’office de contradicteur sur quelques plateaux télé, un strapontin théâtralement gauchisant chez Thierry Ardisson ou Laurent Ruquier ? Ce furent longtemps les termes de la difficile équation glucksmanienne. Jusqu’à ce que le penseur trouve la clef : celle de la riposte, argument contre argument, pied à pied !

C’est désormais peu de dire que Raphaël Glucksmann défend une vision de l’Europe cosmopolite, écologique, ouverte sur l’Autre et en quête d’abolition des privilèges. Il nous l’expliquait d’ailleurs, en novembre 2016,
dans  Regards : « J’analyse le triomphe des grilles de lectures réactionnaires, je décortique le discours de Zemmour et appelle à un sursaut. Or, il ne faut pas seulement se contenter de fact-checker ou simplement de dénoncer le discours réactionnaire, il faut également proposer un autre récit. L’enjeu de ce livre, Notre France, Dire et aimer ce que nous sommes, est ainsi d’explorer cet autre récit ».

Avance rapide. Depuis fin 2017, Raphaël Glucksmann possède un outil digne de ce nom pour diffuser ses idées : il officie en qualité de directeur du Nouveau Magazine Littéraire (NML), magazine qu’il a dépoussiéré, rajeuni et doté d’une forte conscience politique. « Pendant de trop longues années », nous explique-t-il, « les “intellectuels-(dits)-de-gauche” -ce qui semblait être un pléonasme il y a quarante ans est presque devenu une contradiction- ont cédé du terrain, abandonné des mots, délaissé des causes, opté pour le nombrilisme et le défaitisme. Il est temps de tourner cette page ! Temps de retrouver le goût de l’aventure intellectuelle collective. Temps de renouer avec l’empathie qui est au cœur de la création littéraire comme de l’esprit humaniste ».

De la Géorgie aux faubourgs d’Alger, de Paris à Tel-Aviv, le néo-directeur du NML s’est ainsi forgé une solide conviction : il est urgent de se remobiliser. Arrêter d’être spectateurs des périls qui montent. Si l’on veut que la situation évolue positivement, il faut donc reprendre le chemin du combat intellectuel, c’est-à-dire, résumé en une formule : « parler, penser, oser ». Pour ce faire, Glucksmann a établi un mode d’action. D’abord quelques interventions télévisées savamment choisies, dont le plateau prisé de Yann Barthès. Ensuite, la radio où l’on entend Glucksmann débattre sur les ondes de France Inter, face à un chantre du « camp d’en face » -souvent Natacha Polony-, ou un idéologue ultra-libéral. C’est ainsi que le métier rentre. Et force est de constater qu’avec le temps et l’habitude, les arguments glucksmaniens ont gagné à la fois en efficacité et en concision.

Il n’aura ainsi fallu qu’une poignée d’année à Raphaël G. pour se faire un prénom. Aujourd’hui propulsé dans les hautes sphères du Paris des idées, prenant désormais la relève de cette espèce promise à l’extinction -les intellectuels de gauche-, le penseur poursuit son chemin, convaincu que l’Histoire lui donnera raison.

Des solutions pratiques aux maux de l’époque

Europe, 2018. Conte et Salvini sont aux manettes de l’Italie. Leur pays part en miettes. L’Angleterre paie doucement, mais sûrement les conséquences annoncées de son Brexit suicidaire. La France voit son opposition phagocytée par une Insoumission aux méthodes toujours plus populistes. Partout ailleurs, en Suède, en Autriche ou en Allemagne, les extrêmes se radicalisent. Leurs théories se servent de la désespérance pour gagner du terrain. Que faire ? Poursuivre son œuvre théorique et offrir des solutions pratiques aux maux de l’époque, répond Glucksmann ! En cette rentrée littéraire, ce dernier est donc de 
retour en librairie. Avec le très attendu Les Enfants du vide, il signe un essai appelant les générations de l’après Mai-68 à inventer « de nouveaux liens sociaux, cette fois-ci libérateurs, dans une société où les seules alternatives à l’individualisme semblent venir des réactionnaires ». En somme, une invitation -mieux une exhortation !- à recréer des horizons collectifs, une « maison commune » ouverte sur le monde. En cela, Les Enfants du vide se situe dans la droite lignée de Génération gueule de bois. Raphaël Glucksmann y interroge l’absence d’horizon collectif pour les générations élevées dans des sociétés individualistes. Un plongeon grandeur nature dans l’esprit d’une époque nourrie par Uber, Instagram et la doctrine du chacun pour soi. « Nous sommes libres, sommes-nous pour autant heureux ? », s’interroge l’auteur. « La sourde inquiétude qui nous tenaille vient de l’absence d’horizon collectif, de la crise des récits et des structures qui inscrivaient hier encore l’individu dans un tout. Nos parents ont déconstruit ces récits qui étaient des mythes aliénants, et ils ont eu raison. Mais nous ne pouvons nous contenter du rien qui prit leur place ». Se pose dès lors plusieurs questions urgentes : comment faire face au grand vide ? Et surtout, puisque les idéologies du 20e siècle ont conduit l’Humanité au bord du précipice, par quel modèle les remplacer ? Glucksmann détaille : « Si nos aînés sont 
arrivés au monde dans une société saturée de sens, nous sommes nés dans le vide. Leur mission était de briser des chaînes, la nôtre sera de retisser des liens. Car si nous ne le faisons pas, les forces les plus autoritaires le feront à notre place ».

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