Depuis des années, j’assiste aux conférences hebdomadaires de l’Institut d’Études Juives de l’Université d’Anvers (Instituut Joodse Studies), où j’ai poursuivi mes études. L’IJS se présente comme un institut axé sur la recherche et l’enseignement scientifiques, sans s’engager dans des questions de conviction ou de politique. L’un des fondements les plus importants de la science est la recherche constante d’une objectivité maximale, ce qui implique un doute systématique. Les opinions non étayées ont leur place sur les réseaux sociaux, pas dans un cadre académique. Ce qui est encouragé, en revanche, c’est l’échange d’idées dans un débat constructif où les points de vue antagonistes ont tous leur place.
Le 5 mars dernier, il n’était question ni d’objectivité ni de dialogue. Lors de la séance inaugurale de la Chaire UCSIA/IJS en relations judéo-chrétiennes, le directeur de l’UCSIA (Universitair Centrum Sint-Ignatius Antwerpen), Stijn Latré, a prononcé un discours d’introduction avant que le professeur Nadav Shifman Berman de l’Université de Haïfa n’entame sa conférence publique consacrée aux philosophies de l’amour entre le judaïsme et le christianisme. Stijn Latré s’est lancé dans une virulente diatribe : « Il n’est ni compréhensible ni moralement acceptable que le gouvernement d’un peuple qui a souffert des pires atrocités et d’un génocide commette aujourd’hui des actes similaires. Le gouvernement israélien et son Premier ministre refusent tout dialogue et toute démarche vers un cessez-le-feu nécessaire. Aujourd’hui, l’humanité meurt chaque jour à Gaza, tout comme le 7 octobre de l’année dernière. Même les formes les plus élémentaires d’aide humanitaire sont refusées aux habitants de Gaza. » La seule personne dans l’auditoire voulant réagir à ces accusations infondées a été rapidement réduite au silence. Par la suite, la Professeure Viviane Liska, directrice de l’IJS, a pris la parole et a qualifié les propos de Stijn Latré « d’en dessous de tout ». Refusant de rester dans la même pièce que Latré, j’ai quitté la conférence.
Le mot « génocide »
Dans le contexte actuel de rhétorique exacerbée, Latré n’est pas le seul à accuser Israël de commettre un génocide contre les Palestiniens. Cependant, le génocide est un terme juridique. Les politiques et les actions israéliennes ne répondent pas du tout à ce seuil juridique. L’utilisation sensationnaliste de ce terme en relation avec le conflit israélo-palestinien est non seulement inexacte et trompeuse, mais elle vise également à diaboliser l’État juif et à minimiser les cas reconnus de génocide. Le mot « génocide » a été introduit pour la première fois par l’avocat juif polonais Raphaël Lemkin en 1944, à la suite de la Shoah et d’événements antérieurs tels que le génocide des Arméniens. L’Assemblée Générale des Nations Unies a reconnu le génocide comme un crime en droit international en 1946, et il a été codifié dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en 1948. Selon cette convention, le génocide implique des actes spécifiques commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux.
Bien que la critique de certaines décisions du gouvernement israélien concernant les Palestiniens soit légitime, il est essentiel de reconnaître qu’Israël n’a jamais, ni aujourd’hui ni par le passé, engagé d’actions visant à exterminer le peuple palestinien. La Cour internationale de Justice de La Haye a statué que Israël n’est pas coupable de génocide. Qui est Stijn Latré pour contredire ce verdict ? Certes, le nombre de décès à Gaza aujourd’hui dépasse celui du 7 octobre 2023. Tout comme il y a eu plus de pertes allemandes que de pertes anglaises lorsque les alliés ont ordonné le bombardement de Berlin pour vaincre les nazis. L’intention de Winston Churchill n’était pas de massacrer les Allemands, mais de défendre l’Europe. C’était un mal nécessaire pour éradiquer un mal bien plus grand. Aujourd’hui, l’État juif a autant le droit de se défendre que l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale ! D’autant plus que son ennemi a ouvert les hostilités en commettant le plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah. Un ennemi qui a violé les femmes, décapité les hommes, tué des nourrissons, mutilé des cadavres. Un ennemi qui a commis tous ces crimes en se filmant, puis en diffusant ces images atroces sur Internet. Comment Stijn Latré ose-t-il mettre sur un pied d’égalité ces atrocités avec les représailles de Tsahal qui s’efforce d’éviter les pertes civiles, mais qui n’a pas d’autre choix, qui a même l’impératif moral, de défendre son peuple ? Il évoque Auschwitz pour accuser Israël, mais c’est pourtant le Hamas qui a promis de répéter le 7 octobre jusqu’à la réalisation de son objectif ultime. Un objectif qui est d’ailleurs clairement stipulé dans sa Charte que Latré n’a probablement jamais lue : « Le Jour du Jugement dernier n’aura lieu que lorsque les musulmans combattront et tueront les Juifs (…) Israël existera et continuera d’exister jusqu’à ce que l’Islam détruise le pays, tout comme il a effacé les autres auparavant. »
La nécessité de l’élimination d’un groupe terroriste qui rêve d’une théocratie judenrein est donc non négociable. Sans cela, la paix n’est pas incertaine, mais complètement impossible. Une autre condition préalable à la paix est d’ailleurs la libération des otages, mais je n’ai pas entendu Latré exprimer le moindre mot d’empathie pour ces 123 hommes, femmes et enfants, dont un bébé de dix mois, retenus dans l’obscurité des tunnels, affamés, torturés, violées. Celui qui persiste à insister sur un cessez-le-feu sans insister sur la libération des otages, a peut-être d’autres préoccupations que le bien-être du peuple palestinien.
Selon Latré, Israël bloquerait l’aide humanitaire. Est-ce une méconnaissance des faits ou encore un mensonge délibéré ? Il y a certes des manifestants d’extrême droite qui tentent d’empêcher l’entrée de convois, mais chaque jour, il y a des dizaines de camions qui entrent à Gaza avec des vivres, de l’eau et des médicaments par les points de passage israéliens. C’est certes insuffisant mais tout cela est quotidiennement documenté par le Coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT), cette unité du ministère israélien de la Défense qui coordonne les questions civiles entre le gouvernement israélien, les Forces de défense israéliennes, les organisations internationales, les diplomates, l’Autorité palestinienne et la bande de Gaza. C’est la présentation chroniquement biaisée du conflit, truffée de désinformation, par des individus comme Latré, mais aussi par de nombreuses sources d’informations traditionnelles et virtuelles, qui alimente la haine envers l’État juif et qui jette de l’huile sur le feu de l’antisémitisme à travers le monde.
Caricatures de Charlie Hebdo assimilées à des brimades
Cela n’est d’ailleurs pas la première fois que les déclarations de Latré laissent transparaître sa boussole morale défaillante. À la lumière de l’attaque terroriste perpétrée en 2015 contre la rédaction du magazine français Charlie Hebdo, au cours de laquelle douze journalistes ont été abattus un par un par des djihadistes, il a écrit le 15 janvier 2015 dans VRT NWS une tribune intitulée « Quand l’ironie mordante devient une brimade » (Als bijtende spot pestgedrag wordt) dans laquelle il soulignait que : « Dans la presse, les actes de terreur à Paris sont présentés comme une attaque contre les valeurs fondamentales de la République française, et par extension de la démocratie occidentale : liberté, égalité et fraternité. La remarque critique selon laquelle les caricatures de Charlie Hebdo ont probablement peu contribué à l’égalité et certainement pas à la fraternité est rarement formulée (…) Je cherche fiévreusement la différence entre la satire de Charlie Hebdo et le comportement de harcèlement des enfants dans la cour de récréation, mais je n’en trouve pas. Pourtant, il y a un large consensus pour dire que ce dernier n’est pas acceptable. » L’insinuation selon laquelle les victimes auraient provoqué leur meurtre est évidente. Il n’est guère étonnant qu’un homme qui fasse l’apologie de djihadistes qui assassinent des caricaturistes pour un simple dessin, ne puisse éprouver aucune sympathie pour leur ennemi ancestral. D’autant plus déplorable est le fait qu’une personne comme Stijn Latré obtienne une tribune dans l’un des rares endroits où la communauté juive espérait encore se réunir sans être confrontée à l’antisémitisme latent.
Les lâches montrent leur vrai visage lorsqu’ils se sentent renforcés dans leurs préjugés inavouables sinon. Je doute que M. Latré ait seulement pensé faire la moindre critique vis-à-vis du Hamas. Il a trop peur des conséquences.
Il vaut mieux taper sur Israël, il sait qu’il n’y aura aucune rétorsion en se réfugiant derrière la liberté d’expression.
Comme il est étrange de constater la similitude de comportement entre ce faux intellectuel, et la prise de prise en otage des sociétés palestiniennes et israéliennes par le Hamas. Détourner les règles de la décence pour en rendre coupable l’autre.