Vous avez vécu le confinement comme une parenthèse enchantée. Comment cet album est-il né ?
Michel kichka J’avais l’idée d’un troisième album où je reviendrais sur ma trajectoire quand est arrivée la pandémie. Le calme et le temps qui s’offraient à moi ont été propices à l’écriture. Mais cet album est différent des deux autres. Cette fois, j’ai décidé de partir à l’aventure et j’ai voulu que le lecteur m’accompagne dans Jérusalem et qu’il se balade avec moi dans ma tête.
Ces deux années de pandémie correspondent aussi à un moment charnière de votre vie.
M.K. Oui, beaucoup de choses se sont passées. J’ai perdu mon père, qui était très présent dans mon œuvre et dans ma vie. Je suis arrivé aussi à l’âge où l’on doit prendre sa retraite. Or je ne me sens pas prêt, je n’ai pas l’âme d’un retraité. Pour toutes ces raisons, j’ai mis dans cette BD un regard beaucoup plus personnel.
C’est l’une des premières BD consacrées à la pandémie. Avec votre œil de caricaturiste, vous faites la chronique sociale, souvent hilarante, d’une période qui a bouleversé nos vies.
M.K. Mon père a été enterré en Israël. À ce moment, seules 20 personnes étaient autorisées à assister à des funérailles mais, par le plus grand des hasards, il se trouve que nous étions 20 membres de la famille en Israël. Les autres ont suivi la cérémonie en Zoom ! Puis la Shiv’ah s’est faite sur Face Time. L’épidémie a aussi révolutionné ma vie d’enseignant puisque tous les cours étaient donnés à distance. Avec mes étudiants, nous avons vécu une expérience humaine très forte.
Vous embarquez le lecteur dans une Jérusalem méconnue. Ceux qui, comme moi, ont la chance d’habiter le quartier de la German Colony le redécouvrent magnifié dans vos splendides aquarelles. D’ailleurs, vous n’avez dessiné aucune case. Une façon de se libérer des carcans en plein confinement ?
M.K. Hormis la dernière page, de facture classique, il n’y a pas de case. Toutes sont des aquarelles libres. Quand j’ai commencé à dessiner, je savais que j’allais laisser parler les paysages plus que les gens. Le quartier était tellement magnifique, vide, sans bruit, sans pollution. J’ai voulu donner au roman graphique une allure de promeneur avec son chevalet.
C’est un album tout en délicatesse. Mais comme une sorte d’image inversée du Sabra, on vous découvre piquant sous votre douceur, jamais méchant mais avec de petites piques bien senties contre Netanyahou, par exemple.
M.K. J’ai voulu que mes dessins soient plein de tendresse et que l’écrit surprenne le lecteur. Ce n’est pas juste une balade pastorale. Lors de cette pandémie, on a vu les prémices des manifestations contre Netanyahou. Elles ont pris une ampleur aujourd’hui qui justifie mes positions. Je les affiche clairement. Avant j’étais toujours trop bienveillant, même dans ma virulence. Mais comment l’être avec les ultranationalistes et les religieux messianiques au pouvoir ? Je ne les aime pas ! Cette fois, je suis allé plus loin que je ne vais d’habitude.
Comme lorsque vous affirmez être « un mauvais juif », au sens où l’entendent les religieux !
M.K. J’effleurais à peine le sujet
de la religion dans les deux autres BD. Mais en Israël, il y a depuis plusieurs
années une scission entre ceux qui se sentent juifs avant tout et ceux qui se
sentent Israéliens avant tout ; j’appartiens à la seconde catégorie.
Israël est la rencontre entre toutes les diasporas et quand tu y viens, c’est
pour être plus Israélien. Ceux qui veulent n’être que juifs ne construisent pas
Israël, ils le détruisent. Il fallait que les choses soient dites.
En bref
Quand la pandémie de Covid-19 l’a assigné à résidence en mars 2020, avec pour seule dérogation des déplacements dans une zone d’un kilomètre autour de chez lui, Michel Kichka en a profité pour faire de longues balades dans son quartier de Jérusalem. L’occasion de repenser à sa vocation de dessinateur, son métier d’enseignant à l’École des Beaux-Arts de Bezalel, ses choix de vie, sa famille, son engagement pour Cartooning for Peace avec Plantu, et ce que signifie être dessinateur de presse depuis Charlie Hebdo. Ainsi est née L’autre Jérusalem, qui boucle sa trilogie autobiographique après Deuxième génération et Falafel, sauce piquante. Une BD d’une grande tendresse, pleine de poésie, qui ne craint pas d’aborder de front, mais toujours avec malice, les débats politiques et religieux qui secouent Israël aujourd’hui.