Israël, nouveau paradis des oligarques russes ?

Frédérique Schillo
Fuyant les sanctions internationales, plusieurs oligarques proches de Poutine ont trouvé refuge en Israël, où pour l’instant ils ne sont pas inquiétés financièrement. Leur aliyah dorée pourrait même bénéficier à la société israélienne, se réjouissent certains.
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Pendant les premières heures de la guerre en Ukraine, un vent de panique a soufflé depuis la Russie vers Israël, où l’aéroport Ben Gourion a été la scène d’un étrange ballet aérien. En 10 jours, 14 jets privés y ont atterri en provenance de Moscou. Leur point commun : tous appartiennent à des oligarques, cette clique de multimilliardaires proches de Vladimir Poutine, qui ont fait fortune dans l’ombre du Kremlin. Certains sont descendus de leurs jets pour s’installer dans leur résidence de Césarée ou Herzliya ; d’autres y ont seulement fait atterrir leur avion pour le mettre à l’abri sur le sol israélien.
Car ce n’est pas tant la brutalité de l’invasion russe qui les a amenés à se réfugier en Terre promise que les sanctions sévères prises par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Union Européenne, le Canada et l’Australie à leur encontre. Entre le gel de leurs avoirs et la saisie de leurs biens, leurs pertes s’élèvent à 73 milliards d’euros rien que pour la première semaine du conflit. Roman Abramovitch, le plus célèbre d’entre eux, a ainsi vu sa fortune fondre subitement et a dû renoncer à la présidence du club de football anglais de Chelsea. Son Gulfstream G650 a été le premier à se poser à Tel-Aviv peu après le déclenchement de la guerre.

Israël, refuge doré

Si les oligarques juifs ont fui vers Israël comme dans un réflexe de survie, c’est qu’ils avaient prévu ce scénario. Après la guerre de Crimée en 2014, une trentaine d’entre eux ont pris la citoyenneté israélienne afin d’échapper à de possibles sanctions et une extradition vers les Etats-Unis. L’autre intérêt d’un passeport israélien est de pouvoir entrer sans visa dans l’Union européenne. En 2018, suite à l’empoisonnement de l’ex-espion russe Sergueï Skripal et de sa fille dans la paisible ville de Salisbury, le gouvernement de Theresa May a tenté de faire craquer le clan Poutine. Voyant que son visa britannique n’était pas renouvelé, Abramovitch s’est alors décidé à faire son aliyah (immigration en Israël). En 2021, il a aussi acquis la nationalité portugaise, ouverte d’ordinaire aux seuls descendants de Juifs séfarades. Une enquête vient d’être ouverte contre le rabbin de la communauté de Porto qui lui a fourni les papiers.
Israël n’est pas la seule destination pour milliardaires en cavale. Leurs yachts somptueux battant pavillon bermudien mouillent aux Maldives ou à Saint-Barth, îles à la fiscalité de rêve. A Dubaï sont domiciliés une trentaine d’entre eux comme le magnat du gaz Arkady Rotenberg, ami d’enfance de Poutine et son ancien sparring partner en judo. Mais à vrai dire, l’Etat juif n’a pas à rougir devant ces paradis fiscaux. Depuis 2018, en vertu de la « loi Milchan » du nom du milliardaire Arnon Milchan, un proche de Netanyahou qui fut le premier à en bénéficier, les nouveaux immigrants sont exemptés de taxes pendant dix ans. Depuis, les demandes pour des biens de luxe explosent. Valery Kogan, propriétaire de l’aéroport Domodedovo à Moscou, a investi plus de 100 millions de dollars dans l’immobilier israélien. On lui doit la construction de la plus grande demeure privée du pays : un palais à Césarée, bâti sur le modèle de la Maison Blanche. L’intérieur, qui se découvre derrière une lourde porte en or massif, est entièrement recouvert de marbre, dorures et miroirs dans un style baroque et rococo chargé à souhait. Avis aux amateurs : la villa est mise en vente pour 250 millions d’euros.
Jusqu’à présent, ces nouveaux israéliens concevaient l’Etat juif comme une de leurs bases arrière mais, entre chalet suisse, villa provençale et penthouse à Manhattan, ils choisissaient de résider la plupart du temps à Londres. Ils y ont leurs habitudes. Ces messieurs fréquentent les Gentlemen’s Club, les enfants sont scolarisés dans les écoles de l’élite anglaise et les épouses et maîtresses font leur shopping chez Harrods. Las, les sanctions ont dispersé tout ce beau monde. Seul le richissime Mickaël Fridman, membre historique des Semibankirchtchina (les sept oligarques autour de Boris Elstine) n’a pas déserté. Naturalisé israélien mais sans bien immobilier dans l’Etat juif, il est resté dans sa maison victorienne d’Athlone House, où il dit vivre aujourd’hui « comme un prisonnier ».
 

Michaïl Fridman, membre historique des Semibankirchtchina / Roman Yanushevsky - Shutterstock.com

Poupées russes

En réalité, les oligarques qui se sont fait la belle se retrouvent eux-aussi dans le viseur. Israël, pressé par Washington de sortir de sa neutralité pour condamner l’invasion de l’Ukraine, est désormais appelé à sanctionner Moscou. « Vous ne voulez pas devenir le dernier refuge pour l’argent sale qui alimente les guerres de Poutine », s’est indignée la sous-secrétaire d’Etat pour les Affaires politiques Victoria Nuland. Ce à quoi le chef de la diplomatie Yaïr Lapid a répondu qu’« Israël ne servira pas d’échappatoire pour contourner les sanctions ». Un comité interministériel vient d’être formé en lien avec la Banque d’Israël. Mais il y a peu à en attendre sachant qu’il est légalement impossible de saisir les biens de ressortissants d’un Etat non déclaré comme pays ennemi.
La mesure est-elle seulement utile politiquement ? « Si les responsables de l’Union européenne croient qu’à cause des sanctions, je vais approcher Poutine et lui demander d’arrêter la guerre, et que cela va marcher, je crains que nous ayons de gros problèmes », ironise Fridman. « Dire quelque chose à Poutine contre la guerre serait, pour n’importe qui, une forme de suicide ». Un suicide assisté, oserait-on ajouter, si l’on en croit les menaces du maître du Kremlin. Le 16 mars, dans un discours télévisé face au gouvernement, Poutine a appelé à une « autoépuration naturelle » : « le peuple russe est capable de distinguer les vrais patriotes des salopards et des traîtres, et de les recracher comme on recracherait un moucheron entré dans la bouche. » Terrorisés, les oligarques se taisent. Aucun n’ose défier le Parrain. Seul Leonid Nevzlin a le cran de dénoncer son règne mafieux – « Tout ce que touche Poutine meurt », écrit-il – et dans un geste ultime a renoncé à sa citoyenneté russe. Mais il faut dire que Nevzlin est un opposant de longue date, réfugié en Israël depuis 2000. Les autres, marionnettes d’un pouvoir qui les a faits, et peut tout aussi facilement les défaire, craignent moins l’opprobre international que la fureur du Kremlin.
Finalement, dans l’hypothèse où Israël prendrait des sanctions contre les oligarques, il serait sans doute possible de suivre leurs transferts d’argent, mais pas de geler leurs biens. Leur fortune est dissimulée derrière un système complexe de sociétés-écrans, basées dans des paradis fiscaux qui rivalisent de créativité pour abriter fraudes, blanchiment d’argent et biens mal acquis ; le tout sur le modèle des matriochkas (poupées russes).

Une chance pour Israël ?

Pour Me Pinhas Rubin, l’un des concepteurs de la loi Milchan, il serait vain de sanctionner les milliardaires russes. Au contraire, « c’est notre chance de les accueillir. C’est une immigration bienvenue et de qualité avec un potentiel de capital considérable », plaide-t-il dans Globes. Il vrai que leur influence dans l’économie israélienne est phénoménale. Tous ont investi dans l’immobilier et la high-tech, mais aussi le secteur de la Défense ou encore les médias, ce qui soulève la question du conflit d’intérêt. Le magnat du gaz Viktor Vekselberg a investi dans Fifth Dimension, la société de cybersécurité de l’actuel ministre de la Défense Benny Gantz. Le repenti Nevzlin détient 20% du journal Haaretz, Len Blavatnik est propriétaire de la populaire chaîne 13 et Mikhael Mirilashvili, proche de Netanyahou, de la conservatrice 14e chaîne, qui reprend la propagande russe.
Leur imbrication dans la politique israélienne est d’ailleurs si forte qu’on n’ose imaginer le législateur chercher querelle à ces généreux donateurs. Le ministre des Finances Avigdor Liberman a des liens biens connus avec les banquiers russes et c’est le ministre de la Justice Gideon Saar, dont la campagne au Likoud fut financée par Vladimir Gusinsky, qui lui a personnellement obtenu un passeport israélien.
Conscients de sentir le soufre, les oligarques tentent de se racheter une réputation à travers les institutions sionistes et des œuvres caritatives. « Ce sont des philanthropes juifs non pas du fond du cœur, mais pour la protection internationale », tranche Nevzlin. Moshe Kantor est président du Congrès juif européen, Mirilashvili du Congrès juif euro-asiatique. Le Mémorial de Yad Vashem est si dépendant d’Abramovitch (donateur d’un chèque « à 10 chiffres ») qu’il a prié l’Ambassadeur américain de l’exclure des sanctions avant de se résigner à « suspendre leur partenariat ». Fridman, German Khan et Petr Aven ont préféré prendre les devants en démissionnant du Conseil du Prix Genesis, le « Nobel juif » qu’ils ont fondé. D’autres pourraient les imiter et rester en Israël en faisant profil bas, du moins le temps que passe la tempête.

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Amos Zot
Amos Zot
2 années il y a

Pour info : tous les oligarques russes ne sont pas Juif ; tous les oligarques ne sont pas russes ; tous les oligarques ont des conseillers fiscaux , des résidences somptueuses et beaucoup d’argent.
Les plus gros financements de la guerre au profit de la Russie viennent de l’Europe qui achète du gaz, pétrole et charbon russes. Les grands responsables de cette manne financière ne sont pas les oligarques mais en premier lieu les Verts allemands, Madame Merkel,….

Demain
Demain
2 années il y a

Bonjour,
J’ai pris connaissance comme nombre de vos lecteurs sans doute de l’interview de Monsieur le Président Markiewicz dans le journal “Le Soir”
Je ne porterai aucun jugement sur le fond de l’affaire Kantor parce que ne suis pas suffisamment au courant que pour le faire.
Ce que je regrette par contre c’est l’utilisation d’un média déjà suffisamment anti-israélien et donc quelque part antisémite pour afficher les divergences de vues existant au sein de votre communauté.
N’existe-t-il pas un ou une “sage” parmi vous qui réunirait tout ce bon monde et conviendrait que le linge sale se lave en famille et pas sur la place publique ?
Votre belle communauté mérite mieux que ce triste déballage.

Louise
Louise
2 années il y a
Répondre à  Demain

Un minimum de dignité imposerait de faire un pas de côté de la présidence de la synagogue non pas pour ce qui est du contenu de l’article comme le note très justement Monsieur ou Madame Demain mais, sur la forme à savoir faire état de son hostilité à Monsieur Cantor sur la voie publique.

Louise
Louise
2 années il y a

Dans sa livraison d’aujourd’hui, le quotidien “Le Soir” publie une carte blanche signée pour des responsables communautaires en réponse à l’interview du président du consistoire Maître Philippe Markiewicz.
La carte blanche est signée pour la quasi totalité de personnes représentants légitimement la communauté même si quelques noms sont inconnus ou ne représentent en rien notre communauté mais un parti politique israélien et aurait donc avoir eu la décence de ne pas se mêler à un débat qui ne les concerne pas.
Preuve à suffisance que le Président Markiewicz avait, une fois de plus, tort et qu’il est temps maintenant qu’il prenne la seule décision qui s’impose à savoir remettre son mandat.
Aura-t-il ce minimum de dignité ? L’avenir nous le dira.
Louise

Yona
Yona
2 années il y a
Répondre à  Louise

Louise,
Comme vous j’ai constaté que le président du consistoire n’a pas eu le minimum de dignité que l’on est en droit d’attendre d’un responsable.
Qu’attendent les administrateurs du consistoire et les représentants des différentes synagogues membres du consistoire pour lui indiquer le chemin qui mène à la porte de sortie ?
Ou, peut-être, conditionnent ils eux aussi les propos déplacés de leur président (le minuscule est employé volontairement)
Yona

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Frédérique Schillo
Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris