L’antisémitisme est un phénomène opaque et riche d’énigmes. L’essayiste Brigitte Stora se lance, après bien d’autres, dans son exploration. Avec une conviction, une énergie qu’il faut saluer. « Pourquoi diable », se demande Brigitte Stora, « un seul peuple au monde, fort de quatorze millions d’âmes, continue d’occuper une place clairement privilégiée au hit-parade de la haine planétaire ? » Et cela fait deux mille ans que ce phénomène social, politique, métaphysique même, sévit ! L’autrice dresse ici le portrait de l’antisémite, portrait mental et culturel. Le Juif prendrait trop de place et même toute la place. Économique, politique, médiatique. Les nazis voyaient en eux à la fois les agents de la ploutocratie et du bolchévisme. On connaît l’antienne : ils se tiennent les coudes, ils sont partout, ils complotent, ils conspirent. Ce dernier point est ici essentiel. Cette accusation de complotisme figure non seulement dans Les Protocoles des Sages de Sion, ce trop fameux faux texte établi par la police secrète du tsar, mais aussi, nous apprend Brigitte Stora, dans la charte du Hamas. Le succès durable de cet ouvrage russe, aujourd’hui offert au chaland dans de nombreux pays arabo-musulmans, nous dit tout sur ce fantasme séculaire.
L’autrice passe en revue tous les lieux où l’antisémitisme a surgi, le Moyen-Age européen, l’Allemagne hitlérienne bien sûr, mais aussi le stalinisme et enfin l’islamisme, un fascisme qui « a fait des Juifs et de leur supposée domination le symbole même de leur haine de la démocratie et de la modernité ». Échec du monde arabe, dont Israël est le nom propre. Brigitte Stora n’omet pas dans son approche les fondements religieux du phénomène. « L’accusation de déicide », écrit-elle, « est la matrice théologique du mythe de la conspiration juive. » Le christianisme tout entier s’est fondé « sur la dénonciation de sa propre origine et sur l’adoration de la mort d’un Juif ». Depuis la Shoah, nous fûmes les témoins de la nocivité croissante du négationnisme, souvent dans les rangs de l’ultragauche. Mais il est un autre courant, nullement négationniste quant à lui, qui, pour des raisons « morales » ou politiques, conteste l’usage que les Juifs font de la Shoah. Ce serait pour eux un « monopole », une « nouvelle religion », une ruse pour asseoir leurs privilèges, notamment par le truchement de l’État d’Israël. Leurs prétentions, là encore, sont abusives : ils prennent toute la mémoire des malheurs des peuples. Et si, au total, le Juif et l’antisémite étaient plus proches qu’on ne le croit. Si la haine du Juif chez le second était aussi une haine de soi, cette part de soi, qui est l’altérité même, qui empêcherait qu’on colle trop à soi-même ?