La quatrième fenêtre

Florence Lopes Cardozo
Plusieurs fois pressenti pour le prix Nobel de littérature, Amos Oz figure parmi les écrivains les plus lus en Israël et à l’étranger. Séduit par ses facettes emblématiques, le cinéaste Yair Qedar dresse de lui un portrait mosaïque.
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Alors que la fenêtre est grande ouverte sur la rue où circulent aléatoirement voitures et passants, absent de l’image, exilé du monde des vivants, Amos Oz s’invite par la voix : « Ne fais pas une biographie trop longue », intime-t-il à sa biographe Nurith Gertz, « Ne mets pas que les bons côtés. Dis que j’étais un homme avide d’honneurs, quelqu’un qui aimait s’entendre parler. Ecris que ce type était une mascarade ambulante ». Voilà ce que cet enfant qui si tôt vibrait par les mots, conclut au soir de sa vie.

« On devient écrivain à cause d’une blessure subie dans l’enfance ou dans l’adolescence. Tous les meurtris de la terre ne deviennent pas écrivains mais tous les auteurs naissent d’une faille » observe-t-il. De fait, il fut servi avec le suicide de sa mère, quelques mois avant sa bar-mitsvah. Toute sa vie durant, la pointe de son stylo griffonnera rageusement, poétiquement, sans mettre un point final à sa colère fébrile. Le jeune Amos vit son besoin d’écrire comme une source de gêne, une pulsion incontrôlable. A 14 ans, il se rebelle contre son intellectuel de père, change de nom – délaisse Klausner pour Oz qui signifie « force » en hébreu – et part vivre au kibboutz Houlda, en 1953. Son père part s’installer à l’étranger. Ses années d’adolescence sont d’une grande dureté. Il vit dans la précarité. Chétif et pâle au milieu des hâlés et musclés du kibboutz, Amos dessine et compose des poèmes. Dans sa classe, se trouve celle qui deviendra sa femme. Il projette alors une famille aimante et unie. Il aura trois enfants, tous nés au kibboutz. Il aspire l’encre de ses mots dans le bleu ciel : ses heures d’écriture sont prises sur ses nuits. Il négociera une journée d’écriture par semaine. Une première nouvelle publiée dans le magazine Kechet fera office de levier. S’ensuivront une trentaine de nouvelles, romans et essais : Dans « Mon Michaël », surnommé « le Madame Bovary israélien », il se glisse dans la voix d’une narratrice. Il y eut ensuite « La Troisième sphère » ; « la Boîte Noire » ou encore « Une histoire d’amour et de ténèbres » roman éblouissant adapté au cinéma par Nathalie Portman. Tels d’infatigables satellites, ses thèmes de prédilection tournent autour de familles malheureuses : « Une famille est le phénomène le plus mystérieux au monde » constate cet orphelin malmenant sa propre famille. La rupture avec sa fille Galia sera sans retour. Elle fera état des violences psychologiques et physiques infligées par son père dans « Quelque chose qui se déguise en amour », livre publié après le décès de ce dernier.

Prophète laïc

C’est aussi à partir de la guerre des six Jours qu’Amos Oz se révèle en politique. Des premières prises de parole dans le réfectoire du kibboutz aux unes des journaux, le co-fondateur de Shalom Archav met les dirigeants en garde contre les dangers de l’occupation militaire : deux nations habitent Israël rappelle-t-il inlassablement. L’écrivain Etgar Keret 

Documentaire de Yair Qedar (Israël, 2021, 58mn)

A voir sur www.arte.tv jusqu’au 31/10/2024 ou sur la plateforme YouTube jusqu’au 16 juillet 2024

évoque son aura lumineuse, sa place de prophète laïc, de repère moral. Ses discours politiques engagés étaient attendus et cherchés des yeux dans la presse. Le philosophe palestinien Raef Zreik salue celui qui a justifié l’existence d’Israël en 1948 et délégitimé l’occupation depuis 1967. L’éditorialiste du journal The Guardian, Jonathan Freedland, dit d’Amos Oz qu’il fut un interlocuteur idéal : tout le monde se pâmait d’admiration pour lui. Ce détracteur de Netanyahou était en quelque sorte devenu le plus grand défenseur du sionisme !

Mosaïque rythmée autour de la personnalité d’Amos Oz, le documentaire abonde en témoignages, d’amis écrivains, de relations issues du monde de l’édition, de la famille, des politiques.

Les interviews sont entrecoupées de textes lus, d’archives filmées et de la voix profonde de l’auteur, recueillie telle une ultime « confession ». Parce qu’Amos Oz passait son temps à regarder par la fenêtre comme le faisait sa mère, Yair Qedar a invité chaque intervenant(e) à s’exprimer dans leur cadre de vie, à côté…d’une fenêtre. Une fenêtre pour laisser entrer la lumière du jour, une lucarne pour observer le monde, une ouverture pour exprimer son intériorité, laisser les mots s’envoler. Une fenêtre aussi qui, vue de l’extérieur, ne permet jamais de pénétrer la pénombre de l’intimité.

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