Un matin de novembre, des membres de l’Université de Rochester, près de New York, ont découverts, hébétés, leurs portraits sur des centaines d’affiches placardées sur le campus, surmontées d’un « WANTED » en lettres rouge sang. Leur crime ? « Génocide », « Déplacements de population », « Nettoyage ethnique ». On les accuse d’être complices de la guerre à Gaza en raison de leurs liens supposés avec Israël. Parmi la douzaine de personnes ciblées figurent des professeurs comme Ido Netanyahou, médecin à l’hôpital universitaire et frère du Premier ministre israélien, la directrice de l’association Hillel ainsi que des dirigeants de l’université, auxquels on reproche le partenariat de Rochester avec la ville israélienne de Modiin, décrite abusivement comme une colonie de Cisjordanie.
L’affaire ressemble furieusement aux actions anti-israéliennes qui mettent le feu aux campus en Europe et aux États-Unis depuis le 7 octobre. Tout y est : l’infamie et l’ignorance, l’outrance et l’approximation, la violence décomplexée au nom du Bien, et un discours antisioniste qui peine à cacher la haine des Juifs. Toutes les universités ne comptent pas un Netanyahou parmi leurs membres. Toutes ne font pas non plus face à une telle chasse à l’homme. Précisément, Rochester avec ses attaques ad hominem comme autant de cibles collées sur le front des universitaires, est peut-être un prélude aux violences à venir. Avec partout le même objectif : silencier les soutiens à Israël, et rompre tout lien avec l’État juif.
Entre attaques voilées et punitions collectives
Le boycott universitaire ne date pas du 7 octobre. Il a été initié par deux chercheurs britanniques, Steven et Hilary Rose, qui en avaient lancé l’idée dans une tribune publiée en 2002 dans The Guardian. On est alors en pleine Intifada, une vague d’attentats-suicides secoue Israël, et Ariel Sharon se montre intraitable. Pour le faire plier, le couple en appelle à un boycott des institutions israéliennes calqué sur celui utilisé contre l’Apartheid en Afrique du Sud, qu’ils présentent comme « une arme non-violente dont dispose la société civile pour exprimer son indignation morale ». L’idée va faire son chemin, jusqu’à figurer dans l’éventail des mesures prônées contre Israël par la campagne Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).
Son pouvoir de nuisance était jusqu’alors contenu. Mais depuis les massacres du Hamas et la guerre à Gaza, le boycott académique est devenu une arme de premier plan. Plus de 300 cas ont été recensés par les universités israéliennes. Et la palme de ce sinistre palmarès revient à la Belgique, devant les États-Unis, l’Espagne et l’Angleterre. « L’état d’esprit y est plus anti-israélien qu’ailleurs, avec un monde politique belge qui joue le jeu de l’électoralisme à outrance envers les musulmans. Les universités, qui y ont plus d’autonomie qu’en France, par exemple, font de la surenchère pour se présenter dans le camp du bien », nous explique Emmanuel Nahshon, ancien ambassadeur d’Israël à Bruxelles, chargé aujourd’hui par l’Association des universités israéliennes de la lutte contre le boycott académique. Aucune discipline n’échappe aux attaques. Avec des degrés de sophistication divers. Cela va du boycott voilé au boycott revendiqué, du boycott partiel au boycott total, dirigé contre une institution et même un individu, en violation de la liberté académique. Ici, un chercheur israélien se voit refuser la publication d’un article ; là, un professeur étranger annule sa participation à un colloque en Israël ; ailleurs c’est l’arrêt d’un programme de recherches conjoint ; dans d’autres cas, la suppression d’accords entre universités. En juin, Sciences-Po Strasbourg a ainsi suspendu ses liens avec l’Université Reichman d’Herzliya, à la suite de l’adoption d’une motion soumise par des étudiants en solidarité avec Gaza. Mais souvent les censeurs avancent masqués, et l’on ne parle pas ici des keffiehs des manifestants. Combien de conférences sont annulées, non pas pour censurer, assurent les organisateurs la main sur le cœur, mais « protéger les intervenants » de débordements ?
Quand ils sont revendiqués, les boycotts stupéfient par leur caractère arbitraire. « Arrêtez le génocide ! », disait le flyer distribué en amphithéâtre, qui a convaincu un chercheur en littérature de l’UCLouvain à abandonner son projet avec l’université hébraïque de Jérusalem. « Je vous tiens en grande estime mais je ne souhaite plus jamais travailler avec vous. Vous commettez un génocide à Gaza », a assené un enseignant d’Irlande du Nord, cité par Haaretz, à sa collègue Ravit Alfandari de l’Université de Haïfa. Et qu’importe si le terme de génocide n’est pas reconnu en droit international pour Gaza : la morale dispense ici les scientifiques de la rigueur qu’ils exigent habituellement dans leurs travaux. Qu’importe si l’université a comme seul lien avec Tsahal la présence d’étudiants réservistes, lesquels n’ont guère le choix. Qu’importe enfin si l’universitaire israélien condamné soutient ou non son gouvernement, sa nationalité tient lieu de chef d’accusation.
« Extermination d’Israël »
Le boycott universitaire est ainsi devenu le huitième front pour Israël, après Gaza, le Liban, la Cisjordanie, la Syrie, l’Irak, le Yémen et l’Iran. « C’est même le plus dangereux de tous, car c’est un travail de sape à long terme, à la fois pour isoler les universités israéliennes, mais aussi éduquer toute une génération de jeunes à haïr Israël », analyse Nahshon. « Si l’on avait encore l’illusion il y a 20 ans que le but du BDS était d’aboutir à une solution pacifique, ce n’est plus le cas. Le but est l’extermination d’Israël. » Nahshon fustige le discours du BDS, « alliance malsaine entre les rouges et les islamistes », qui puise aux sources de la lutte anticoloniale des années 1950 et dans l’idéologie woke où les Juifs, dépeints en blancs privilégiés, doivent être combattus. « Je le dis catégoriquement, cet islamo-gauchisme est le nouveau nazisme : violent, antidémocratique, raciste et antisémite. Il n’est d’ailleurs pas dirigé seulement contre Israël et les Juifs, mais contre les Occidentaux ».
Maître de conférences en sciences politiques à l’Université Reichman, Shany Mor n’a pas eu à subir personnellement le boycott. En revanche, il a pu observer, sur les campus anglo-américains, combien l’antisionisme masquait un autre enjeu, de nature économique : « L’Université est un marché du travail très compétitif où une grande partie des postes, notamment en sciences humaines, se trouvent être occupés par des Juifs. Ils constituent la cible principale. » Et Mor de théoriser un triple antisionisme dirigé contre l’État d’Israël, contre la présence juive au Moyen-Orient, et contre ce qui serait « le péché originel » d’un État colonial né après la Shoah. « Un an avant le 7 octobre », nous confie-t-il, « j’avais prédit dans une conférence sur l’antisémitisme que les Israéliens, accusés de tous les maux, seraient au final accusés de celui-là : le génocide. »
Dès lors, comment combattre le boycott académique ? L’arme juridique s’avère la plus efficace, nombreuses étant les discriminations flagrantes punies par la loi. Au niveau politique, les universités israéliennes s’activent pour dénoncer les censures et épauler les actions locales. L’Association des recteurs d’université des Pays-Bas a ainsi publié une objection au boycott d’Israël, signée par certains qui l’avaient autrefois soutenu. Après le tollé suscité par sa décision, Sciences Po Strasbourg va soumettre à un nouveau vote son accord avec l’Université Reichman. À peine élu, Trump quant à lui a déjà prévenu les présidents d’université que « s’ils ne mettent pas fin à la propagande antisémite, ils perdront leur accréditation et le financement des contribuables fédéraux ».
Cachez cette diversité que je ne saurais voir
Sur le plan moral, les arguments d’Israël doivent être entendus. « Il faut dire la contribution du monde académique israélien à l’humanité : inventions, prix Nobel… Israël est un petit pays, mais il a tant à donner », déclare Emmanuel Nahshon. Surtout, les universités y sont un modèle de tolérance. On raille souvent le slogan « From the River to the Sea », les propalestiniens ne connaissant ni de quelle rivière ni de quelle mer il s’agit. Mais savent-ils seulement que les campus israéliens comptent en moyenne 20 à 30 % d’étudiants arabes ? Que l’université de Haïfa (45 % d’étudiants arabes) a comme rectrice la neuroscientifique d’origine chrétienne Mouna Maroun, pur produit de la méritocratie, dont les parents n’ont pas fait l’école primaire ? Ou plutôt : veulent-ils le savoir ? Quand l’ami Élie Barnavi, grande voix de la paix et opposant farouche au gouvernement Netanyahou, a finalement pu participer à un débat organisé par l’ULB, c’était sous escorte policière et en dehors du campus. Lorsque Mona Khoury, vice-présidente de l’Université hébraïque de Jérusalem, et première femme arabe doyen en Israël, a présenté le mois dernier à l’UCLA un projet de partenariat entre 30.000 Juifs et Arabes israéliens, elle a dû braver des hordes de manifestants armés de pancartes prônant un boycott qu’elle réprouve catégoriquement.
De toutes les attaques visant Israël, le boycott académique est l’un des plus redoutables. C’est le plus malhonnête aussi. Les universités israéliennes, loin d’être des bastions élitistes soumis au pouvoir, renvoient au contraire une image de diversité, de liberté et d’ouverture d’esprit ; soit le reflet inverse de ce que deviennent les campus où l’on appelle à la ségrégation, la censure et l’exclusion. Elles exposent une réalité insupportable à accepter, tant elle bouscule leurs préjugés. Et c’est bien pour cela qu’il nous faut chérir cette diversité, soutenir les esprits libres et les voix dissidentes en Israël, et défendre plus que jamais l’Université dans le combat des idées.