Israël et la diaspora ne sont pas deux réalités étrangères, mais deux formes d’existence du peuple juif liées par une solidarité indéfectible. Aux Juifs de diaspora qui demandent : « Suis-je le gardien de mon frère ? » comme Caïn dit à Dieu après avoir tué Abel, nous répondons : oui, nous le sommes. Contrairement à Caïn, nous ne nous enfermons pas dans un déni de responsabilité. Chaque Juif est garant l’un de l’autre.
Dans le contexte actuel de la guerre à Gaza, cette responsabilité se fait particulièrement pressante pour les Juifs de diaspora. Rester silencieux ou détourner le regard reviendrait à répéter la question cynique de Caïn. Car la fraternité n’est pas réductible à un alignement inconditionnel. Être gardien de son frère aujourd’hui, c’est évidemment l’aimer et le soutenir, mais aussi veiller à sa fidélité aux valeurs juives.
Depuis des mois, chaque jour qui passe hypothèque sérieusement le retour en vie des otages, détruit des vies innocentes, ternit la légitimité d’Israël et l’isole de ses alliés. Même lorsqu’il se bat contre un ennemi cruel et sans morale comme le Hamas, un État juif ne peut pas infliger à des populations civiles la désolation et la souffrance. La sécurité d’Israël ne s’obtient pas par la transformation de la bande de Gaza en champ de ruines. « Désormais, la justice exige la fin de la guerre. Sa poursuite est une faute morale », a déclaré dans un entretien accordé au Figaro le 15 septembre dernier le philosophe américain Michael Walzer, un des penseurs majeurs contemporains de l’éthique de la guerre et également un Juif très attaché à Israël. « La reprise de la guerre, la rupture du cessez-le-feu [en mars 2025] par le gouvernement Netanyahou et l’interdiction imposée des approvisionnements pendant trois mois ont changé la nature du conflit. À ce stade, c’est devenu une guerre criminelle, menée par un gouvernement criminel. »
La force militaire seule n’est donc pas une solution. Un point de vue que ne partage pas le Premier ministre Benjamin Netanyahou qui a déclaré le 15 septembre dernier qu’Israël doit « devenir une super Sparte », en référence à cette cité-État hyper militarisée de la Grèce antique alors qu’Israël vit en guerre permanente depuis bientôt deux ans. Fonder la sécurité et l’avenir d’Israël sur l’idée d’une « super Sparte » est une illusion dangereuse. Lorsque le Premier ministre du seul État juif justifie l’isolement croissant de ce dernier en prenant pour modèle une société antique guerrière, inégalitaire et esclavagiste, il choisit un véritable repoussoir que tout démocrate ne peut que rejeter. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que Sparte occupe encore aujourd’hui une place privilégiée dans l’imaginaire des extrêmes droites européennes.
Mais surtout, Benjamin Netanyahou semble oublier que Sparte a disparu, comme d’autres civilisations qui ont cru que la puissance des armes suffisait à défier le temps. Israël, lui, a survécu et a pu renaître parce qu’il a toujours puisé son inspiration dans l’histoire juive et dans les trésors d’intelligence du judaïsme. C’est là, et non dans l’imitation de peuples disparus après un long déclin, qu’il doit chercher ses références. Que Benjamin Netanyahou cesse de loucher sur les exploits de Léonidas ou Lysandre pour se souvenir plutôt des Prophètes du judaïsme et de leurs mises en garde adressées à ses dirigeants à propos des conséquences de leurs choix. Il pourrait notamment s’inspirer de la vision de Sion d’Isaïe : « Ceux-ci mettront en pièces leurs épées pour en faire des fers de charrue, et leurs lances pour en faire des faucilles. Aucune nation ne tirera plus l’épée contre une autre, et l’on n’apprendra plus la guerre » (Isaïe 2,4). Voilà la vocation d’Israël : non pas copier Sparte, mais incarner l’espérance d’un monde plus juste.







