Étayé de vidéos inédites, le documentaire d’Alexis Bloom, The Bibi Files, explore les pires compromissions dans lesquelles peut sombrer un dirigeant politique pour échapper à ses responsabilités, de la petite corruption à la dérive autoritaire.
Les premiers interrogatoires filmés datent de 2016. Nous sommes dans un bureau sans fenêtres, Benjamin Netanyahou est interrogé par la police pour suspicion de corruption familiale de haut niveau. Il nie en bloc, relativise les faits, se sait enregistré, dénonce mensonges et complots.
Comment cela a-t-il commencé ? Avec des livraisons de caisses de champagne, des boîtes de cigares de luxe puis des bijoux. A priori, les cadeaux devenus privilèges se sont mués en commandes codées. Et puis, une chose a entraîné une autre, comme dans la chanson d’Angelo Branduardi (Had Gadia/A la foire de l’Est), dans une dérive dramatique.
L’enquête sur Netanyahou porte sur trois affaires de corruption distinctes. Dans l’affaire 1.000, il est accusé d’avoir accepté des cadeaux personnels d’une valeur de 300.000 dollars ; dans l’affaire 2.000, il est inculpé d’avoir cherché à négocier un accord de corruption avec l’éditeur du journal israélien Yedioth Ahronoth, limitant la diffusion d’un journal rival. Cet accord non abouti avait fait grand bruit. Et dans l’affaire 4.000, la famille Netanyahou aurait exercé une influence sur le contenu éditorial et sur le personnel du site d’information israélien Walla, rapportant en sus quelque 500 millions de dollars au propriétaire du site, magnat israélien des télécommunications. Après plusieurs reports, le procès s’est ouvert le 24 mai 2020 à Jérusalem et est toujours en cours.
Si les contenus avaient déjà fuité dans la presse écrite et audio, des images d’interrogatoires ont été divulguées lors du procès. Détenteur de 1.000 heures de rushes, le producteur Alex Gibney a convié Alexis Bloom à réduire la durée de ces vidéos irréfutables à feu doux. Et c’est bien un portrait de Bibi et de sa famille qui s’élabore et non celui du conflit au Moyen-Orient. Les comportements, voix et gestuelles du Premier ministre israélien, les intimidations hystériques de sa Peggy-la-cochonne de femme ou le flegme arrogant de leur extrême-droitier de fils, Yaïr, parlent pour eux. Ils ont la peau dure les Netanyahou, ils crient fort, ils aboient. Décrit comme intelligent, paranoïaque, « blessé » et donc « redoutable », Benjamin Netannyahou, le légitime Premier ministre d’il y a trente ans, appuie manifestement sur tous les boutons dilatoires pour échapper à la case prison. Sur son jeu d’échecs, deux « fous » se sont engagés à le protéger au prix fort. Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, respectivement ministres des finances et de la sécurité nationale, sont ses gardes du corps.
Interrogatoires entrecoupés d’interviews
Conçu à l’origine pour montrer le recul de la démocratie en Israël, avec comme fil conducteur l’éviscération de la Cour suprême, le film retrace une dérive politique qui culmine à la tragédie du 7-Octobre. Ces interrogatoires sont entrecoupés d’interviews, d’éminents journalistes, d’hommes d’État israéliens, d’anciens collaborateurs et amis de longue date du Premier ministre, et aussi du vibrant témoignage de Gili Schwartz, une survivante du massacre du kibboute Be’eri qui tient Netannyahou pour responsable du pogrom.
Les langues des courageux qui témoignent à visage découvert se délient. Le journaliste d’investigation Raviv Drucker en est. D’autres voix stratégiques ont préféré éviter les caméras. Pour nombre d’interviewés, la crise politique israélienne de 2018-2022 tout comme l’instrumentalisation de la guerre avec le Hamas, résultent des efforts de Netanyahu pour échapper aux poursuites. Une musique rythmée sous-tend les propos façon thriller.
Il est peu probable que The Bibi Files soit projeté en Israël en vertu de lois restrictives sur la protection de la vie privé. « Il y a peu de chance que Netanyahou donne son autorisation », a glissé ironiquement le producteur Alex Gibney à un journaliste en septembre 2024. « Mais partout ailleurs dans le monde, il n’y a aucune restriction ». L’objectif est donc de diffuser le film à l’international avec une attention particulière pour le marché américain.

Un documentaire d’Alexis Bloom
Durée : 113 minutes
Sortie en salles : le 14 mai 2025






