Nouvel espoir du centre-gauche, Naftali Bennett incarne un leadership dont Israël manque cruellement, même s’il est loin d’avoir abandonné sa ligne ultranationaliste.
« Naftali, mon frère, prend bien soin de toi. Le peuple d’Israël a besoin de toi. » Le tweet posté par le chef de l’opposition Yaïr Lapid suite à l’hospitalisation de Naftali Bennett pour malaise cardiaque ce 20 avril était, plus qu’un mot de soutien à l’égard de son ancien compagnon de route, un véritable message politique. Car c’est sur Bennett que reposent aujourd’hui les espoirs de l’opposition en Israël. L’ancien leader de Yamina (« à droite »), en retrait depuis son mandat de Premier ministre en 2022, caracole en tête de tous les sondages. Il est non seulement le seul à faire mieux que Benjamin Netanyahou en termes de crédibilité (38% des Israéliens pensent qu’il ferait un bon Premier ministre contre 31% pour Netanyahou), mais en outre, si des élections avaient lieu aujourd’hui, le bloc de l’opposition conduit par Bennett battrait la coalition en remportant 62 sièges sur 120, sans compter le soutien extérieur des partis arabes israéliens.
Porté dans l’opinion, Bennett prépare son retour en politique. Quelques jours avant son hospitalisation, il a discrètement déposé un nom de parti provisoire – « Bennett 2026 » – en prévision des élections prévues en octobre de l’année prochaine. Sans annoncer pour l’instant officiellement sa candidature. Mais l’opposition s’impatiente et les sbires de Netanyahou sont à couteaux tirés. Ils affutent déjà leurs arguments contre les « fausses promesses » de Bennett, homme de droite qui, comble de l’horreur selon Tali Gottlieb, « s’est allié aux Frères musulmans » en obtenant jadis l’appui du parti arabe Raam. « Nous n’avons pas oublié », promet la députée connue pour ses débordements, tout en taisant le fait que pareil projet d’alliance avait d’abord été porté par Netanyahou ! Un autre député du Likoud, Osher Shekalim, a même demandé « comment quelqu’un qui s’effondre à 53 ans après avoir fait de l’exercice peut être capable de gérer une guerre sur plusieurs fronts » en exigeant de rendre public son dossier médical. À croire qu’il ferait pâle figure face à celui de Netanyahou, 75 ans, affaibli par une lourde opération de la prostate en décembre, et à qui on a posé un pacemaker il y a deux ans.
Si Bennett rend fous les partisans de Netanyahou c’est que leur champion souffre de moins en moins la comparaison avec son challenger. Au départ, les deux hommes ont beaucoup en commun : même éducation américaine, même service militaire dans la prestigieuse unité Sayeret Matkal, même valeurs libérales conservatrices avec un engagement en faveur de la « Start up Nation », Netanyahou en fut le grand promoteur au tournant des années 2000 quand Bennett y faisait fortune avec son entreprise de cybersécurité Cyotta, revendue 145 millions de dollars en 2005. Netanyahou est alors un modèle pour Bennett qui, l’année suivante, devient son directeur de cabinet. Puis l’élève décide d’aller faire ses gammes ailleurs, comme président de 2010 à 2012 du conseil de Yésha, l’organisme représentant les colons de Judée-Samarie, qu’il soutient sans en faire partie (il habite la ville huppée de Ra’anana). Son idée de génie sera de reprendre le petit parti Foyer juif, qu’il recompose, puis associe à d’autres micro-partis, pour enfin créer Yamina. En 2013, il revient par la grande porte auprès de son mentor comme ministre de l’Economie, puis à la tête de quatre autres portefeuilles ministériels, le dernier étant celui de la Défense en 2020, où il prouve ses talents de logisticien au plus fort de la crise du Covid.
Faiseur de roi qui finit couronné
Dès lors que Bennett est dépeint en possible héritier de Netanyahou, celui-ci déploie les grands moyens pour s’en débarrasser. Leurs relations s’enveniment, celles avec la Première dame Sara Netanyahou étant déjà acides. Bennett est limogé brutalement en 2019, rappelé au gouvernement, puis à nouveau évincé de façon humiliante en espérant l’enterrer politiquement. Par le jeu des alliances, c’est tout le contraire qui se produit : aux élections de 2021, malgré un faible score Bennett émerge comme un faiseur de roi… qui finit couronné. Ainsi met-il fin à douze ans de règne de Netanyahou. Un crime de lèse-majesté pour les fidèles du roi Bibi qui ne le lui ont jamais pardonné.
A contrario pour les opposants au Likoud, le fait que Bennett ait réussi une fois à renverser la statue du commandeur leur fait dire qu’il pourrait clore pour de bon l’ère Netanyahou. Une grande majorité d’Israéliens souhaite aujourd’hui son départ ; un sentiment qui transcende les clivages partisans. Aussi Bennett, nationaliste de droite mais aussi ouvert au dialogue, fait-il figure de rassembleur. Sa popularité actuelle en dit long sur la médiocrité de l’opposition actuelle. Elle doit aussi beaucoup à la nostalgie qui étreint les Israéliens au souvenir de cette période calme et tranquille où il était au pouvoir, entre la crise du covid et la guerre à Gaza. Après l’hystérisation quotidienne de la vie politique sous Netanyahou, Bennett avait conduit la coalition la plus diversifiée, féministe et inclusive de l’Histoire d’Israël, d’abord comme Premier ministre de juin 2021 à juin 2022, puis Premier ministre alternatif avec Lapid aux manettes de juillet à novembre 2022. Une mosaïque fragile et éphémère avec à sa tête un duo baroque resté pourtant loyal et fidèle : d’un côté Bennett, sioniste religieux et premier Premier ministre à porter une kippa ; de l’autre le centriste de gauche Lapid, chantre de la laïcité.
Bennett a encore renforcé cette image d’anti-Netanyahou après le 7-Octobre, en s’imposant avec d’autres, notamment le chef de file travailliste Yaïr Golan, comme le leader dont manque cruellement Israël. Aux premières heures du massacre, il a activé ses réseaux pour acheminer des troupes dans le Sud et a failli être réserviste si le Shin Bet ne lui avait interdit de participer aux combats sur le terrain. Il a trouvé les mots justes pour consoler les victimes et encourager les soldats, visitant chacun partout, alors que Netanyahou n’a toujours pas mis les pieds à Kfar Azza ! Bennett sait être empathique là où Bibi reste un monstre politique froid. Quand l’un se dérobe sans arrêt, l’autre assume et s’engage. « Est-ce que j’ai une part de responsabilité ? Assurément », a admis Bennett, qui a pourtant critiqué la stratégie de Netanyahou pour apaiser le Hamas avec les fonds du Qatar. Il fustige la loi permettant aux ultra-orthodoxes d’échapper à la conscription et appelle à la création d’une commission d’enquête d’Etat. Le peuple vaut mieux que ses dirigeants, répète-t-il dans une formule aux allures de slogan : « une nation de lions, un leadership pathétique ».
Un ultranationaliste repenti ?
Reste que Bennett n’est ni un Golan ni un Lapid. Si une partie de la droite le considère comme un remplaçant à la hauteur de Netanyahou, c’est bien qu’ils y voient son digne successeur. Sur certains points, Bennett se situe même à la droite de Netanyahou. N’a-t-il pas appelé à l’annexion de toute la zone C, sous souveraineté israélienne, et pas uniquement les colonies ? N’a-t-il pas banni des écoles des organisations comme Breaking the Silence qui dénoncent les abus de Tsahal en Cisjordanie, lorsqu’il était ministre de l’Education ? N’est-il pas le seul Premier ministre à n’avoir jamais soutenu la solution à deux États (même Netanyahou l’a évoqué dans un discours à Bar-Ilan en 2009) ? A plusieurs reprises, ce faucon qui se vantait en 2013 d’avoir « tué beaucoup d’Arabes » lors d’une discussion de cabinet retranscrite par Yedioth Ahraronoth a appelé à s’affranchir des règles : « Si vous prenez des terroristes, il faut simplement les tuer ». Les libéraux de gauche ont-ils oublié ses sorties contre la Cour suprême, dignes des artisans du coup d’État judiciaire ? En 2019 sa colistière Ayelet Shaked, avec laquelle il a fondé Yamina, vantait dans un clip de campagne la fragrance « Fascisme : pour moi, ça a le parfum de la démocratie ». Difficile de voir en lui l’homme providentiel du centre-gauche.
A moins que Bennett ne soit l’archétype du nationaliste populiste, provocateur et radical en campagne, mais policé et modéré quand il arrive au pouvoir. « Dès son accession au poste de Premier ministre, Bennett a adopté une approche d’homme d’État, avec une rhétorique totalement différente », écrit l’historien Guy Ziv, professeur associé à l’American University’s Shool of International Service, dans une analyse récemment publiée dans Israel Studies Review. « Il a défendu ses différents partenaires de coalition, a tempéré son discours et fait de nombreux gestes de bonne volonté envers les Palestiniens et les Bédouins. » Non seulement il a fait alliance avec Mansour Abbas, qu’il a qualifié de « courageux leader » après l’avoir décrit comme « un soutien du terrorisme », mais il a renoncé à annexer les territoires et interdit toute construction de colonie.
Bennett sait qu’il sera jugé sur le dossier palestinien. Il craint moins tant l’électorat de centre-gauche, qui s’est endurci depuis le 7 octobre, que ses anciens compagnons de droite. A un groupe d’étudiants américains il aurait déclaré exclure une nouvelle alliance avec les partis arabes. Pour l’instant, moins il en dit, plus il est assuré de rester haut dans les sondages. Mais il lui faudra bientôt se dévoiler.