Pour Israël, l’affaiblissement de l’Iran est une opportunité historique de frapper fort son programme nucléaire ; pour Trump, le moment idéal de négocier un accord.
Le 7 juin 1981, Israël a surpris le monde entier en bombardant Osirak, le réacteur nucléaire irakien près de Bagdad. L’attaque menée par une escadrille de huit avions de chasse F-16 et six F-15 aura duré moins de deux minutes. Un succès resté dans les annales de l’aviation militaire, malgré les condamnations unanimes de la communauté internationale. Peu importe le prix à payer, justifiera en conférence de presse le Premier ministre Menahem Begin, tous les moyens sont bons pour éviter une autre Shoah : « Plus jamais ! Plus jamais ! (…) Nous ne permettrons à aucun ennemi de développer des armes de destruction massive tournées contre nous. » Au nom de cette « doctrine Begin », Israël devait encore frapper en 2007 pour détruire un réacteur nucléaire syrien.
En octobre 2024, des frappes contre des installations nucléaires iraniennes semblaient à l’ordre du jour en réponse aux tirs de missiles contre Israël, avant que l’administration Biden n’oblige le gouvernement Netanyahou à une riposte limitée. Cependant, ragaillardi par l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, Israël menace désormais ouvertement la République islamique. « Une option militaire crédible » est envisagée, a assuré le chef de la diplomatie Gideon Saar. Et le président américain lui-même promet « l’enfer » en cas d’échec des négociations avec l’Iran qui viennent de s’ouvrir le 12 avril à Oman. « Si cela nécessite des moyens miliaires, nous utiliserons des moyens militaires », a martelé Trump, ajoutant : « Israël sera évidemment très impliqué dans cette affaire, il en sera le leader. »
C’est la première fois qu’on assiste à des négociations publiques sous la menace militaire », nous dit Clément Therme, chargé de cours à l’université Paul Valéry de Montpellier. Certes, il y a déjà eu nombre de menaces de raid israélien. La première remonte à 1994 : le général Uzi Dayan, responsable de la planification à l’état-major, avait déclaré que Tsahal pourrait lancer une attaque préventive contre le programme nucléaire des mollahs, héritier de celui du Shah. La menace se fit plus concrète en 2002 après la découverte de l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz, conduisant Bush à imposer des sanctions contre « l’Etat voyou ». Et de même, l’option militaire a agité le débat public israélien en 2012-2013 alors qu’Américains et Iraniens menaient des négociations secrètes via le canal omanais. Aujourd’hui, elles se tiennent à nouveau avec les Omanais mais cette fois, tout est ouvert : les discussions sur la bombe comme sur les bombardements.
L’Iran au bord du gouffre
En marge des négociations, les Américains ont renforcé leur présence militaire au Moyen-Orient, la plus importante depuis le 7-Octobre, déployant une armada d’avions de chasse F-35, de drones Predator, de bombardiers furtifs B-2, capables de détruire des cibles profondément enterrées tout en restant hors de portée des drones et des missiles balistiques, de 140 avions de transport lourd chargés d’armes, et d’une vingtaine d’avions cargo avec à leur bord des batteries Patriot et THAAD pour compléter le bouclier antimissile israélien. Mi-avril, un second porte-avions américain, l’USS Carl Vinson, est arrivé au Moyen-Orient, où la présence de l’USS Harry S. Truman se prolonge en mer Rouge. De quoi impressionner Téhéran. « La peur de la guerre a convaincu le Guide suprême d’accepter publiquement ces négociations alors qu’il en refusait le principe depuis 2018 », analyse Clément Therme. Il faut dire que Trump avait alors torpillé l’accord nucléaire de 2015 conclu sous Obama et rétabli des sanctions massives contre Téhéran. « Le régime craint un effondrement économique. Il a besoin d’une perspective de levée de sanctions pour faire face au mécontentement politique en interne », poursuit le chercheur, « sans alternative, il est au bord du gouffre. »
Pour Israël, l’affaiblissement du régime iranien offre l’opportunité historique d’en finir avec son projet de bombe, d’autant que la déroute de ses proxies – le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban et en Syrie, les Houthis au Yémen – met à nu sa vulnérabilité. « Nous avons l’occasion d’atteindre notre objectif le plus important : déjouer et éliminer la menace existentielle qui pèse sur l’Etat d’Israël », tweetait le ministre de la Défense Israël Katz en novembre. Dans l’opposition aussi, des faucons se font entendre. Avigdor Liberman est allé jusqu’à écorner la doctrine de « l’ambiguïté nucléaire » en appelant cet été à utiliser « tous les outils » dont dispose Israël : « Il doit être clair qu’à ce stade, il est impossible d’empêcher l’Iran d’obtenir l’arme nucléaire par des moyens conventionnels. »
Les experts israéliens sont loin de tous considérer l’Iran, « État du seuil » depuis des décennies, comme une menace existentielle. Ehoud Barak le réfute, après avoir été avec Netanyahou l’un des plus fervents partisans de frappes lorsqu’il était son ministre de la Défense. Par trois fois, en 2009, 2010 et 2011, Netanyahou et lui ont été bloqués par le Cabinet de sécurité, puis quand une fenêtre de tirs s’est ouverte en 2012, ils ont dû y renoncer pour ne pas gêner les Etats-Unis. Israël s’est alors engagé dans des guerres de l’ombre moins risquées et plutôt efficaces (élimination de savants atomistes, cyberattaques et autres opérations de sabotage). Aujourd’hui, Netanyahou veut croire que le locataire de la Maison Blanche choisira l’option militaire, en soutenant un raid israélien, voire en ordonnant une attaque américaine. C’est, selon le site Axios, ce que le ministre des Affaires stratégiques Ron Dermer avait estimé en novembre au sortir d’une réunion avec Trump.
Sauf que Trump compte bien profiter de la faiblesse de l’Iran pour signer un deal. Il promet de déclencher les foudres de l’enfer et donne un délai de deux mois à Téhéran pour parvenir à un accord dans sa lettre transmise le 12 mars, mais se montre ouvert au dialogue. L’accord de 2015 n’évoquait ni démantèlement des sites, ni interdiction d’enrichissement d’uranium, ni fin du programme des missiles balistiques ou du soutien aux proxies. L’envoyé de Trump Steve Witkoff parle d’inspection de l’AIEA et veut aborder les dossiers des proxies et des missiles (une ligne rouge pour Téhéran), mais apparemment pas celui de l’enrichissement d’uranium ni le démantèlement des installations.
D’où la position maximaliste d’Israël qui réclame la dénucléarisation de l’Iran comme la Libye de Kadhafi en 2003. « Il y a un consensus en Israël, surtout depuis le 7-Octobre soutenu par l’Iran, que ce régime doit être défait au maximum », nous explique Dr. Javedanfar, qui enseigne la politique iranienne à l’université Reichman. « Les Israéliens exigent le modèle libyen car cela devrait miner le régime de l’intérieur, et donc bénéficier à Israël mais aussi à ceux en Iran qui souhaitent la chute du régime. » Khamenei est-il prêt à pareille reddition ? Il pourrait préférer des frappes à un diktat. « La possibilité d’appliquer le modèle libyen est haute car l’Iran joue sa survie. Mais tout dépend de Trump. Il pourrait se satisfaire d’un accord qui ne soit qu’une partie du celui de 2015 », note Meir Javedanfar.
Les dilemmes de Netanyahou
Pressé de trouver un accord en deux mois, quand le JCPoA avait nécessité douze ans d’âpres négociations, Trump pourrait signer un accord intérimaire. Derrière le « madman » se trouve en réalité un protectionniste soucieux de se délester des problèmes du Moyen-Orient pour se concentrer sur sa rivalité avec la Chine. Fait notable, l’échéance de son ultimatum à la mi-mai coïncide avec son premier voyage d’Etat à l’étranger : une visite à Riyad. Difficile d’imaginer une attaque alors que l’Arabie saoudite, le Qatar et le Koweït auraient informé Téhéran qu’ils ne laisseraient pas les Américains utiliser leurs bases pour frapper l’Iran.
L’angoisse grandit en Israël d’être relégué par son meilleur allié au rang de spectateur d’une mascarade. « La dernière chose que veut Trump est d’être comparé à Obama » voulait croire le 10 avril dans le Jerusalem Post Jacob Nagel, chef du conseil national de sécurité israélien. On pourrait en dire autant de Netanyahou. « M. Iran » a bâti sa carrière sur la lutte contre la bombe iranienne. Comme Zelensky humilié sur sa chaise dans le Bureau ovale, il a déjà dû encaisser sans broncher l’annonce des négociations irano-américaines. Comment pourrait-il se satisfaire d’un accord bancal ? S’il l’accepte, il sera vu comme un munichois. S’il le combat, comme un adversaire de Trump.
« Israël doit se préparer à une campagne à grande échelle pour neutraliser la menace nucléaire iranienne, idéalement avec les États-Unis, mais indépendamment si nécessaire », écrit Nagel. Israël a déjà agi seul. En octobre, Tsahal a frappé des cibles militaires, dont un site de recherche nucléaire à Parchin. Surtout, elle s’est ouvert un couloir d’attaque en détruisant des systèmes antimissiles. Reste que l’opération serait plus ardue qu’en 1981. Le raid contre Osirak avait duré deux minutes ; il pourrait nécessiter plusieurs passages sur plusieurs jours tant Natanz, Fordow et les autres sites nucléaires sont disséminés et profondément enfouis sur le territoire iranien. L’opération en Irak avait fait une victime civile ; celle en Iran toucherait des installations au cœur de populations comme à Ispahan. Israël devrait bien mesurer le risque qu’elle ne dégénère en guerre ouverte.