Yaacov Agam, un grand artiste toujours en mouvement

Roland Smit
Précurseur du mouvement cinétique et surtout connu pour avoir conçu la façade de l’hotel Dan de Tel Aviv et la célèbre fontaine du Kikar Dizengoff, le plasticien israélien Yaacov Agam demeure encore parmi les artistes contemporains les plus connus.
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Une chose est claire : quand Yaacov Agam, né en 1928, s’est mis à créer, ce n’était pas simplement parce qu’il avait un don artistique, une facilité à dessiner, peindre et sculpter, mais surtout parce qu’il avait quelque chose à dire.

Il est très vite apparu que Yaacov Agam a voulu briser la tradition de l’art comme représentation de ce que l’on voit, d’une manière somme toute immobile, pour en arriver à interpréter le vécu, le visible dans son cadre réel, c’est à dire en perpétuel mouvement, en perpétuelle transformation et sujette aux variations du temps et de l’espace. Tout cela a été une véritable révolution pour l’art dans une période du XXème siècle déjà fertile, qui avait vu naître un grand nombre de nouveaux courants artistiques.

Précurseur de l’art cinétique dans les années ’50, Agam, arrivé en France en 1951, partageait ses visions avec, entre autres, Victor Vasarely, Alexander Calder et Marcel Duchamp.

Agam fréquentait le milieu artistique, et a connu entre autres Marc Chagall, Fernand Léger et le sculpteur César, avec lequel il se lia d’une amitié durable.

Dans la décennie suivante Agam présenta ses créations cinétiques dans les majeures expositions internationales attirant sur sa personne les louanges du monde de l’art et cumulant reconnaissances officielles et prix internationaux.

Yaacov Agam alla alors outre tout ce qui avait été créé jusque-là en se différenciant totalement de ses pairs, réalisant des œuvres qui se transforment, impliquant les visiteurs de ses expositions, qui étaient priés de déplacer des pièces de ses tableaux. Tout cela n’était nullement improvisé. Agam avait bien pensé, étudié sa vision de l’art pour ensuite l’expliquer clairement dans « Transformable Transformables » (Galerie Denise René. New York, Paris. Mai 1971) et dans « Yaacov Agam » (Galerie Denise René. New York, Paris. Mai 1971). On peut dire que pour la première fois dans l’histoire, un peintre décida de quitter la peinture habituelle à deux dimensions, qui semblait intouchable, pour ouvrir les portes à un monde tridimensionnel, et, plus tard, dans son long parcours artistique, introduisant le temps comme ultérieure dimension, à un monde quadridimensionnel. Par sa conception de l’art cinétique, Agam crée la sollicitation d’un mouvement qui se produit dans l’œil du visiteur durant ses déplacements devant l’œuvre. Évidemment, au tout début, Agam a été incompris. Cela ne l’empêchera pas de poursuivre le chemin qu’il avait entrepris pour se retrouver peu à peu compris, accepté par ses pairs et par la critique, jusqu’en arriver à être considéré sans aucun doute un des plus grands artistes de son temps, à la fois artiste, penseur et philosophe.

Peintures et sculptures transformables se succèdent et donnent au mouvement une place prépondérante. On constate évidemment que ce genre d’expression artistique exclut toute représentation figurative. Fils de rabbin, Agam a été fort influencé dans son œuvre par la religion juive qui prescrit que la réalité ne peut être représentée par une image gravée. Poursuivant sa quête d’innovation, Agam réalise alors des œuvres de grande envergure souvent destinées à décorer d’amples surfaces. Dans les années ’60 on lui doit « Double Métamorphose II » dans le hall d’entrée du Museum of Modern Art de New York ; « Échelle de Jacob », décor du plafond du foyer du National Convention House à Jérusalem ; « Double Métamorphose », une peinture murale de 8 mètres de hauteur, réalisée pour le paquebot israélien « Shalom ». Signalons encore le remarquable mural « La Paix et la Vie » qui orne le Salon des Représentants au Conseil de l’Europe à Strasbourg et qui a la particularité, vu de côté, de reproduire les drapeaux des premiers pays fondateurs du Conseil de l’Europe. Quelques années passent et Agam réalise le « salon Agam à l’Élysée », aménagement de l’antichambre des appartements privés du président au Palais de l’Élysée, commandité en 1972 par Georges Pompidou, salon qui incluait les murs,

© Yossi Alterman

le plafond cinétique ainsi que les portes colorées,mobiles et transparentes. Démonté sur ordre de Valéry Giscard d’Estaing, à qui l’œuvre ne plaisait pas, le salon Agam est exposé depuis l’an 2000 au Centre Pompidou ; il s’en suivra en 1977 la Fontaine monumentale édifiée sur le Parvis de la Défense à Paris, où l’on peut admirer le lancement de 66 jets d’eau verticaux atteignant les 14 mètres.

En 1984 Agam exécute « Cœur battant », sculpture quadridimensionnelle, pour l’Hôpital Hadassah de Jérusalem.

En 1986 Yaacov Agam installe sa magnifique et désormais célèbre Fontaine en design « art cinétique » du square Dizengoff à Tel-Aviv. Il lui aura fallu dix ans pour la réaliser.

En 1991, à la « Tampa Convention Center » Agam inaugure sa monumentale fontaine « Firewater ».

En décembre 2012, Agam ouvre au public la plus grande Menorah de Hanukkah au monde, d’une hauteur de 32 pieds (9,75 mètres), qui est la dimension maximale autorisée par la loi hébraïque. Pour la décoration de cette immense sculpture, Agam s’est inspiré d’un dessin de Maimonide dit Rambam, qui représente : fermé (boutons) et ouvert (fleurs). On doit utiliser une grue pour monter ceux qui doivent procéder à l’allumage des bougies. Chaque année la Menorah est démontée après la fête de Hanukkah.

En septembre 2016 s’ouvre au public le Yaacov Agam Museum of Art à Rishon LeZion. Pour l’entrée du musée, Yaacov Agam a imaginé une petite « forêt » de plus ou moins 36 colonnes colorées de plusieurs facettes et dédiées à la mémoire de son épouse décédée Amoudeï Klila. Ces colonnes accompagnent les visiteurs à l’intérieur du musée, où l’image perçue change selon l’angle d’où on l’observe. Il a fallu près de six ans à l’artiste pour réaliser cette « forêt ». Dans une des salles du musée on peut, entre autres, observer une œuvre qui s’intitule « Échelle de Jacob » ; c’est un jeu de miroirs qui nous relie à l’infini.

Bien que pour parler de ce géant de l’art cinétique et de son Œuvre il faudrait un livre, informons toutefois que le 28 septembre 2022 Yaakov Agam a reçu, « pour 69 ans de services », le grade de Chevalier de la Légion d’honneur des mains de l’Ambassadeur de France en Israël, Monsieur Eric Danon. La cérémonie a eu lieu dans le musée de l’artiste à Rishon Le Zion, et c’est la première fois que l’ambassadeur de France remettait une décoration en dehors de l’Ambassade. Signalons également qu’une de ses œuvres fait toujours partie des cent chefs d’œuvres du 20ème siècle selon un palmarès français.

« J’aimerais préciser l’importance de trois facteurs qui sont à la base de toute ma recherche et de toute mon œuvre », explique Yaacov Agam » (Éditions du Griffon. Neuchâtel, Suisse, 1962): « le fait d’avoir grandi sur le sol d’Israël, cette terre pleine de traditions, mais qui toutes ont dû être recréées d’une façon nouvelle pour trouver leur place dans la vie moderne ; le fait d’être le fils d’un rabbin qui a tenté toute sa vie de dissocier l’esprit de la matière ; le fait d’avoir pris connaissance de la Kabbale et d’avoir par elle jugé nécessaire la recherche d’une vérité intérieure ».

Rencontre avec Yaacov Agam

© Ran Arda

Pourriez-vous m’expliquer en quoi consiste la méthode Agam pour l’éducation visive des enfants (langage visuel) ?

Elle consiste à mieux connaître le langage du créateur qui s’exprime tout autour de nous par des formes, des couleurs et des mouvements. L’apprentissage et la connaissance du langage visuel est en même temps un code compris par tous les êtres humains sur terre, sans besoin d’être traduit. La méthode est conçue pour voir pénétrer et comprendre ce langage non-verbal qui est le langage du grand créateur. Ce langage nous ouvre l’esprit et la connaissance du langage divin qui s’exprime par des formes visuelles conçues comme un vocabulaire visuel. D’abord les formes très répandues et connues : c’est la symétrie. Une feuille est divisée en 2 parties ressemblantes qui lui donnent une forme complète. Ce principe de la symétrie, 2 formes ressemblantes qui créent une forme plus grande, est répandu partout dans la nature. Même le soleil est symétrique, toute la création, que ce soit une feuille, une fleur, un arbre, obéit à cette loi de symétrie. En apprenant aux enfants les formes et les couleurs, ils sont mieux adaptés à découvrir la création.

Étudiant vous avez été emprisonné par les Britanniques. Cette expérience a-t-elle eu une influence sur votre façon de voir l’art ou votre désir d’en créer un nouveau ?

Être prisonnier des Britanniques dans le camp de Latrun où ils ont voulu arrêter les membres de la résistance juive de tous les horizons, signifiait être éloigné de sa famille, dépourvu de liberté, et surtout de devoir subir la brutalité des geôliers, ainsi que la rigueur de la détention. Les détenus pensaient tout le temps à leurs chères familles, et leur moral en était fort affecté. Voyant les soucis et les difficultés des prisonniers, j’ai ouvert des cours d’enseignement et de création artistiques. À ma grande surprise, cela a eu du succès, cela les a libérés de leurs soucis. Ils sont arrivés à façonner des objets artistiques et à les envoyer à leurs familles. Dans le Musée de la Résistance à Jérusalem on peut trouver beaucoup de ces objets. Mais ce que j’ai découvert lors de ma détention, c’est que des personnes n’ayant eu auparavant aucun contact avec l’art, ont acquis, malgré les conditions de l’emprisonnement, un esprit de liberté et de joie de créer et de réaliser des œuvres, des objets utiles ou décoratifs, qu’ils ont pu envoyer à leurs familles. C’est grâce à cette expérience, que plus tard, j’ai été encouragé, dans mon travail, à faire du dialogue artistique avec le spectateur une de mes priorités.

Avez-vous subi l’influence d’autres artistes ? Lesquels ?

J’ai suivi l’influence du grand créateur, YHWH, en étudiant la beauté des formes, des couleurs et des mouvements de la nature, et cela, à différentes échelles.

Malgré votre conception révolutionnaire de l’art, quel est votre sentiment par rapport à l’art classique ? Pouvez-vous apprécier les artistes des siècles passés ? Si oui, également de toutes les écoles ?

L’art classique s’exprime par des formes figées, or la chose la plus constante de la réalité c’est le changement. J’ai donc cherché à briser cette condition de figé en introduisant le mouvement et la transformation dans l’art. Pour répondre, à savoir si j’apprécie les artistes des siècles passés, il faudrait connaître la motivation qui est à l’origine de leur création, de leur forme de peindre. Les moyens d’expression sont limités par les valeurs de leur époque, et ce, malgré leurs efforts d’aller au-delà. Il faut comprendre leur langage. Il y a des valeurs qu’ils essayent d’exprimer, mais ils n’y réussissent pas toujours. Quand on comprend leur volonté, on a trouvé l’explication.

Que veut dire Günter Metken dans le livre « Yaacov Agam », (Éditions de Messine, 1978) lors qu’il écrit que ce qu’il manque aux autres artistes de l’art cinétique mais que vous possédez, « c’est l’unité des éléments » ?

Les éléments différents gardent leurs identités mais multiplient leurs diversités d’expression suivant la position et le rapport de l’un à l’autre.

Vous avez donné le nom à une technique révolutionnaire, qui permet de voir une image différente selon l’angle d’où l’on observe l’œuvre : l’Agamographe. Êtes-vous satisfait ou contrarié que beaucoup de peintres utilisent, je dirais plutôt imitent ce style ?

Il y a différentes personnes qui ont essayé de m’imiter mais elles n’ont pas pu exprimer le rapport intérieur entre les formes.

Pouvez-vous me parler de vos sculptures transformables ?

La sculpture était considérée comme une expression statique et figée, et ma tentative était d’apporter par la transformation un rayonnement d’expression artistique au-delà de l’état figé, et ainsi de laisser un sens plus profond.

Pouvez-vous me parler de votre musée (Yaacov Agam Museum of Art) à Rishon LeZion en Israël ?

Il faut venir le voir ; il y a des gens qui m’ont dit qu’ils sont venus, qu’ils sont sortis et ont découvert leur âme.

Quelles recommandations aimeriez-vous donner aux générations d’artistes à venir ?

Depuis toujours, je prie sans arrêt le bon Dieu pour qu’il m’ouvre les yeux, pour que je puisse comprendre la vie et les formes, car TOUT a une raison d’être. La forme particulière est due à Sa raison. Je me demande toujours quel est le langage de Dieu. La vie est son langage, et nous devons lire son langage. Je vous donne un exemple : regardez une image, regardez votre image dans le miroir. Qu’est-ce qu’on y voit ? On peut y voir deux profils qui s’enlacent : notre père et notre mère qui s’embrassent. A face is a kiss ! Si père et mère ne s’étaient pas embrassés, l’être que nous sommes n’aurait pas vu le jour. Il y a une raison intérieure dans la nature qui fait naître les formes. Les images cachent des vérités plus profondes. Tout ce que je viens de décrire est à la source de mon œuvre ; les arbres, les fleurs, les nuages, les personnes, ont une raison d’être. Il y a là un secret qui est profond, c’est bien plus que la seule apparence. Aux jeunes générations d’artistes je recommande de voir au-delà du visible.

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