C’est la rentrée et Woody Allen, réglé comme du papier à musique, a un nouveau film à nous proposer. Les œuvres du cinéaste new-yorkais ont leur marque de fabrique. Elles se reconnaissent au premier coup d’œil et à l’oreille : la même typographie blanche élégante sur fond noir dévale immuablement tandis que les notes de jazz viennent titiller notre curiosité et se répandre sur les premières images, ici, celles de la ville lumière parée de ses plus beaux atours, or et rouille. Woody Allen semble avoir opéré un travelling atlantique de Central Park aux élégants jardins parisiens, avec leurs pelouses soignées et parterres de fleurs colorés, leurs bancs qui invitent à la conversation.
Comme toujours, on retrouvera son irréductible milieu bourgeois, cosmopolite, qui se rend de New York à Paris, comme nous des étangs d’Ixelles au Bois de la Cambre, eux avec des escales à Tokyo, Barcelone ou Venise, nous, disons, place Brugmann. Tous les lieux du film -des appartements somptueux aux maisons de campagne ornées de lierre, des vastes bureaux épurés aux restaurants guindés- dégagent un parfum de luxe. Woody Allen projette-t-il son propre environnement et/ou s’amuse-t-il à dépeindre ce théâtre mondain ? Mais voilà, that’s the (match) point : dans ces milieux où, du brushing parfait de madame au costume tiré à quatre épingles de monsieur, tout est maîtrisé, tout peut aussi basculer : « Je suis convaincu que la chance joue un bien plus grand rôle que ce qu’en pensent la plupart des gens : ils estiment qu’avec de la discipline, du travail et de la concentration, ils peuvent maîtriser le cours de leur existence. Mais ce n’est que partiellement vrai, même si c’est une perspective assez troublante », remarque le cinéaste dont les vies personnelles et professionnelles ont été particulièrement traversées de nombreux hasards et rencontres, un réalisateur aussi qui, dans ses films, laisse beaucoup de libertés à ses collaborateurs et interprètes.
À la merci du destin
Nous avons abordé le choix des décors extérieurs, les aménagements intérieurs huppés, un jazz moderne en hommage au cinéma français des années 50, 60 ; il faudra s’y résoudre : même les acteurs sont beaux. Melvil Poupaud, Lou de Lââge et Niels Schneider, ont des « gueules » d’anges. Tous trois évoluent gracieusement dans l’espace. Dans cet ordre : Jean campe un mari riche, amoureux et possessif ; Fanny est sa femme radieuse et aimante ; quant à Alain, un ami de classe que Fanny retrouve par hasard, il est un écrivain, romantique et sans attaches. Voilà pour le trio de base. Valérie Lemercier est convaincante en mère de Fanny et Guillaume de Tonquédec, Elsa Zylberstein ou Gregory Gadebois font eux aussi des apparitions lumineuses dans l’univers du réalisateur. Si les acteurs ont suivi le scénario à la lettre, chacun a pu s’approprier son rôle et trouver son phrasé pour plus de fluidité. Woody Allen, qui ne parle pas suffisamment bien le français, s’est laissé guider par la musicalité de la langue : « Woody dirige uniquement sur le rythme, sur le timbre, c’est une direction absolument musicale », confirme Niels Schneider.
Et donc, côté impression, ça donne cela : après avoir baigné dans une installation pépère des personnages -le début du film est ronronnant, on hallucine de voir l’ambiance de New-York reproduite à Paris, tout ça pour ça- le récit décolle crescendo : les lieux se diversifient, les échanges s’accélèrent pour nous projeter vers de belles tensions psychologiques. Et c’est là que Woody vient nous cueillir, nous captiver et s’amuser de nous : « J’ai été surpris par le dénouement qui exprime la conception qu’a Woody Allen de l’existence, à savoir que la vie est un coup de dés et qu’on est tous à la merci du destin. La construction du scénario, dont la mécanique est implacable sous des dehors de conte, m’a rappelé Éric Rohmer », évoque Melvil Poupaud. Coup de Chance s’avère être aussi un très bon titre, à considérer sous divers angles et degrés, de l’anecdotique au tragique en passant par le magique. Le hasard interpelle, la chance et la malchance convoquent des souvenirs, elles nourrissent l’Histoire et apostrophent la philosophie mais le film est surtout jubilatoire, grave et léger comme la vie. Et vous, si vous tentiez votre chance d’aller le voir.
Coup de Chance
Un film écrit et réalisé par Woody Allen, avec Lou de Laâge, Melvil Poupaud, Niels Schneider, Valérie Lemercier
Sélectionné à la Mostra de Venise 2023 (hors compétition) Sortie en salles le 27 septembre 2023