L’âge venant, le célèbre sociologue Michel Wieviorka (frère aîné de l’historienne Annette) en vient, comme c’est parfois le cas, à se retourner avec nostalgie sur le monde juif qu’il a côtoyé jadis, celui de ses parents, d’obédience bundiste (anticommunistes, antisionistes, antireligieux), et aussi sur son côté paternel. Son père, Aby Wieviorka, fils d’un écrivain yiddish mort en déportation, Wolf, tint à transmettre à ses enfants la mémoire de la yiddishkayt, à défaut du yiddish proprement dit. Wieviorka étoffe, accompagne le parcours de son itinéraire juif au moyen de ces fameuses histoires juives qui firent jadis, comme on sait, les délices du grand Freud. Elles naquirent dans le shtetl, gagnèrent les grandes villes, Varsovie, Berlin, Paris, traversèrent l’Atlantique, se retrouvèrent, entre autres, chez Woody Allen. Le sociologue prend soin de nous rappeler la différence entre Ashkénazes et Sépharades, précaution un peu inutile, car, il le reconnaît lui-même, ces différences aujourd’hui s’estompent, en diaspora comme en Israël. C’est une (vieille) histoire juive, dont le comique semble révolu. Curieusement, l’auteur insiste pour faire remonter les « histoires juives » aux années 60, alors qu’elles ont plus d’un siècle d’âge, qu’il existait au début du XXe siècle des recueils de telles histoires, que Freud, dès 1896, les compilait avec délectation et qu’on se racontait les histoires des « malins » de Chelm, ce shtetl où Dieu, disait-on, avait déversé les plus stupides des Juifs.
Mais il explique qu’il ne retient que celles, d’histoires juives, qu’il a entendues dans sa propre existence pour étayer une vision de la société où le multiculturalisme est une valeur revendiquée. Il nous livre parallèlement une réflexion subjective sur sa propre démarche professionnelle, sur son background familial, sur l’évolution des « histoires juives » en occident, et enfin sur le destin, en quelques décennies, des communautés juives, notamment en France. Dans la dernière partie du livre, plus polémique, Michel Wieviorka s’en prend à ce qu’il appelle des « orientations hyper républicaines » qui, sous couvert de défendre une laïcité intransigeante, seraient l’œuvre de l’extrême droite. Et de vouer aux gémonies Manuel Valls, Alain Finkielkraut ou Pierre-André Taguieff. Se dire de gauche, comme on sait, vous prémunirait de toutes dérives. L’actualité, jour après jour, nous dit pourtant le contraire.