La parenthèse des Trente glorieuses juives

Nicolas Zomersztajn
L'éditorial de NIcolas Zomersztajn
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L’antisémitisme étant l’une des principales matrices de l’extrême droite, il est en effet difficile pour les Juifs de considérer que les déclarations d’amour adressées par ce courant idéologique soient sincères. D’autant plus qu’elles ne sont suivies d’aucune preuve concrète d’amour. Cette preuve devrait prendre la forme d’un aggiornamento ou d’une clarification qui établirait que l’extrême droite ne s’abreuve plus à la haine des Juifs. Jusqu’à présent, ni le Rassemblement national en France ni le Vlaams Belang en Belgique n’ont officiellement acté la moindre rupture avec l’antisémitisme ni la moindre dénonciation de leurs crimes liés à la collaboration avec l’Allemagne nazie.

Stratégiquement mis en sourdine, l’antisémitisme est encore très présent parmi les militants et les sympathisants de l’extrême droite. Toutes les enquêtes récentes sur l’antisémitisme montrent qu’ils sont plus antisémites que les militants et les sympathisants de tous les autres partis. Loin d’être le sparadrap du capitaine Haddock dont elle veut se débarrasser, l’extrême droite ne fait rien pour rompre réellement avec une tradition d’antisémitisme à laquelle elle est encore attachée. De vieux préjugés associant les Juifs au pouvoir et à l’argent résistent au temps et sont recyclés chaque fois que le contexte s’y prête. Des antivax et des Gilets jaunes ont souvent puisé dans le registre antisémite de l’extrême droite pour exprimer leur rejet du « système ».

Cette façon douteuse dont l’extrême droite se présente comme le bouclier des Juifs ne pourrait que prêter à sourire si l’antisémitisme n’avait pas trouvé un souffle nouveau au sein la gauche radicale. Il s’y exprime à travers l’antisionisme, la lutte contre les dominations et, bien souvent, au nom d’un antiracisme complètement dévoyé. Aujourd’hui, la tragédie des Juifs ne réside pas seulement dans la vague antisémite mondialement répandue et extrêmement virulente, mais aussi dans la difficulté, et parfois même l’impossibilité de pouvoir compter sur le soutien de l’ensemble des forces de progrès et des mouvements antiracistes. Quand certains s’obstinent à ne pas voir le problème, considérant que les Juifs ne forment pas une minorité véritablement racisée, d’autres vont jusqu’à attribuer à Israël et aux Juifs les caractéristiques que l’extrême droite antisémite attribue traditionnellement aux Juifs. « Pourquoi ceux-là mêmes qui demeurent infaillibles dans leur lutte contre l’extrême droite ferment-ils les yeux sur l’antisémitisme de gauche ? Pourquoi le considèrent-ils comme un détail négociable ? », s’interroge Dominique Schnapper, sociologue et Présidente du Conseil des sages de la laïcité, dans une tribune publiée le 26 juin 2024 dans Le Figaro. « L’antisémitisme discrédite l’extrême gauche pour les mêmes raisons qu’il discrédite l’extrême droite. Aucun ‘‘contexte’’ (pour reprendre un mot tristement populaire dans cette gauche compromise) ne saurait excuser la blessure infligée au corps politique que constituent les atteintes aux Juifs. L’antisémitisme de gauche ne vaut pas mieux que l’antisémitisme de droite : il est à combattre, inconditionnellement. Un point c’est tout. »

Cette confusion tragique est lourde de conséquences. Nous avions en effet la conviction inébranlable que depuis 1945 l’antisémitisme était banni à jamais, qu’il ne pouvait plus s’exprimer avec la même légitimité ni le même aplomb qu’avant la Shoah. Nous nous sommes trompés. Ces « Trente glorieuses juives » (1945-2000) n’étaient en réalité qu’une parenthèse dans notre longue histoire. Toutes les flambées d’antisémitisme auxquelles nous sommes confrontés depuis 2001 ne font que le confirmer. Nous allons donc devoir apprendre à renouer avec la vulnérabilité et la solitude d’une condition juive ancestrale à laquelle nous avions pu échapper durant ce second XXe siècle. L’ironie de cette histoire est qu’elle s’impose à nous alors même que nous vivons dans des sociétés démocratiques aujourd’hui plus ouvertes que jamais au pluralisme religieux et culturel qui nous fut refusé avec acharnement pendant des siècles.

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