Ville de Magnésie, dans l’ancienne Thessalie, au fond du golfe Pagasétique, Volos s’étend au pied du mont Pélion, la montagne des Centaures. C’est de là que, selon la mythhologie, l’expédition de Jason et des
Argonautes aurait pris la mer. La région compte de nombreux sites archéologiques, remontant au néolithique. En 294 av. J.-C., le roi de Macédoine y fonde Démétrias. Prospère ville romaine depuis la fin du
IIe siècle av. J.-C., puis siège épiscopal sous l’empereur Constantin, Démétrias est désertée au VIe siècle, lorsque les Byzantins construisent à proximité une place forte, le « château », à l’emplacement de la vieille ville de Volos (Palia Volos).
La présence juive en Magnésie remonterait à plus de deux millénaires. Selon une tradition romaniote, les premiers Juifs s’y installèrent après la destruction du Second Temple de Jérusalem. Des sources mentionnent une communauté établie dès le Ier siècle. Des pierres tombales datées entre 325 et 641, et découvertes à Néa Anchialos, au sud de Volos, témoignent d’une présence continue. Les Romaniotes, Juifs hellénophones, constituent une communauté bien intégrée dans le tissu culturel local de l’Empire byzantin. Au XIIe siècle, Benjamin de Tudèle, voyageur juif de Navarre, décrit une communauté juive prospère, près d’Almyros. Sous l’Empire ottoman, le château de Volos sert de centre administratif et économique. Les Juifs y participent activement au commerce du grain de Thessalie, ainsi qu’à celui de la soie et des cotonnades produites dans les villages chrétiens du Pélion. Concentrés autour du château, ils bénéficient d’une certaine autonomie religieuse et culturelle. Des documents diplomatiques du XVIe siècle attestent l’existence d’une synagogue et d’un bain rituel dans l’enceinte du château.
Après 1830, une ville nouvelle, à vocation commerçante, se développe à l’est du château de Volos. L’indépendance grecque, puis l’intégration de la Thessalie à la Grèce en 1881, accélèrent le développement urbain. Le port de Volos devient un carrefour commercial majeur entre les Balkans, l’Asie Mineure et l’Europe de l’Ouest. L’arrivée du chemin de fer (en 1886) renforce cet essor, de même que la modernisation du port. Les Juifs jouent un rôle majeur dans ce développement économique, s’impliquant dans les industries florissantes du textile et du tabac. Des familles juives, comme les Mourtzoukos et les Levis, dirigent de grandes usines textiles, tandis que les Saportas domine le commerce du tabac. La banque Varouch finance nombre de projets qui accélèrent l’industrialisation locale. En 1865, l’Alliance Israélite Universelle ouvre une école à Volos. Une synagogue est construite en 1870 au centre du quartier juif de la ville nouvelle, à l’intersection des rues Xénophon, Platon et Moïse. Devenu grand rabbin de Volos en 1892, Moshe Pessah (1869-1955), y crée une école rabbinique en 1894. La communauté se distingue par la vitalité et le dynamisme de ses associations culturelles, sociales et politiques. En 1928, la communauté compte 1071 membres sur une population totale de 50.000 habitants à Volos.
Le sauvetage de 75 % des Juifs de Volos
Pendant la guerre italo-grecque de 1940, 71 Juifs de Volos sont mobilisés et envoyés au front. L’armée italienne occupe la ville de 1941 à 1943. Après la capitulation italienne, les Allemands prennent le contrôle de Volos. Le 30 septembre 1943, le commandant Kurt Rikert exige du rabbin Pessah une liste des Juifs et
de leurs biens. Le consul allemand Helmut Scheffel, bien que représentant le régime nazi, avertit discrètement les autorités locales de l’imminence de déportations, incitant les Juifs à agir au plus vite. Le rabbin Pessah, en collaboration avec la résistance EAM-ELAS, incite alors les Juifs à fuir vers les villages du Pélion et des régions rurales voisines. L’archevêque Joachim Alexopoulos, métropolite de Dimitriados, utilise son influence pour que les villageois accueillent les réfugiés et pour cacher des familles juives dans des monastères et des églises. En quelques jours, quelque 700 Juifs de Volos se réfugient dans les villages de montagne, où ils survivent, protégés par les partisans de l’ELAS et les habitants. 130 Juifs, en majorité des personnes âgées ou malades, restés à Volos, sont arrêtés lors d’une rafle en mars 1944 et déportés à Auschwitz ; seuls neuf survivent. Le sauvetage de 75 % des Juifs de Volos témoigne d’une solidarité exemplaire entre Juifs et non-Juifs face à l’oppression nazie.
Lieu de rassemblement des Juifs avant leur déportation, « l’Entrepôt Jaune », construit en 1926 au centre-ville pour stocker le tabac, est utilisé par les Allemands et leurs collaborateurs grecs comme centre de détention, de torture et d’exécution. De nombreux résistants, chrétiens et juifs, y subissent l’horreur avant d’être déportés ou mis à mort. Classé monument historique en 1993, ce lieu de mémoire est aujourd’hui en péril. Des travaux de rénovation, entamés en 2019, ont été interrompus faute de financement, laissant le bâtiment exposé aux intempéries et menaçant son effondrement. L’Université de Thessalie veut y créer un centre d’innovation technologique, suscitant les critiques d’associations de résistants qui plaident pour en faire un musée dédié à la Résistance nationale.
La Grèce à peine libérée devient le théâtre de nouveaux conflits, opposant les troupes britanniques aux résistants de l’EAM-ELAS à Athènes en décembre 1944 (Dekemvrianá), et suivis d’une terreur blanche qui, à travers le pays, frappe les partisans de l’EAM-ELAS, tous suspectés de communisme. Ces convulsions aboutissent à une guerre civile qui dévaste la Grèce jusqu’en 1949, et se conclut par la défaite des partisans. De nombreux jeunes Juifs, entrés dans les rangs de la résistance, sont des suspects pour le régime royaliste restauré par les Britanniques, et qui recycle nombre d’anciens collaborateurs nazis, tandis qu’une répression féroce s’abat sur les anciens résistants. Cette nouvelle tragédie incite à l’exil la plupart des survivants de la Shoah. En 1948, la communauté juive compte encore 645 membres, mais les émigrations vers Israël et les États-Unis réduisent vite ce chiffre.
Rassemblant aujourd’hui moins d’une centaine de résidents, la communauté juive de Volos reste active, organisant des services religieux réguliers et des événements culturels. Un mémorial de l’Holocauste, inauguré en 1998 sur la place Riga Fereou, près de la mairie, rend hommage aux Juifs de Volos assassinés pendant la Shoah. En 2023, une exposition temporaire organisée par le musée municipal de Volos a mis en valeur l’histoire de la communauté juive de la ville. Soulignons que la collection permanente de ce musée intègre pleinement l’histoire juive à l’histoire locale, illustrant à la fois un modèle d’intégration et une solidarité exemplaire, afin d’inspirer les jeunes visiteurs, notamment les nombreux groupes scolaires, auxquels cette institution s’adresse particulièrement.