Le 4 mai 2025, au Mémorial de Dachau (KZ-Gedenkstätte Dachau) une émouvante cérémonie commémorait le 80e anniversaire de la libération de ce camp de concentration nazi, ouvert le 22 mars 1933, le « camp modèle ».
Seul libérateur présent, Lockered « Bud » Gahs (né en 1923), soldat de la 42e division d’infanterie (“Rainbow”) qui, le 29 avril 1945, libéra le camp, aux côtés d’unités des 45e et 20e divisions, déclare : « C’est quand nous avons ouvert les portes de Dachau, que nous avons vraiment compris pourquoi nous nous battions. » Parmi les survivants présents, Jean Lafaurie, 101 ans, résistant français, transporté à Dachau en juin 1944, et Mario Candotto, 98 ans, victime avec sa famille de la répression nazie contre les partisans italiens et déporté en mai 1944.
Abba Naor, né le 21 mars 1928 à Kovno (Kaunas), témoigne également. En juillet 1944, les Juifs survivants du ghetto de Kovno sont déportés au camp du Stutthof : Abba et son père sont envoyés dans des sous-camps de Dachau pour des travaux forcés ; sa mère et son frère cadet périssent à Auschwitz. Détenu au camp de Kaufering I, Abba est libéré par les américains au terme d’une « marche de la mort ». Il retrouve son père dans un camp de personnes déplacées à Munich. Ils vont en Pologne, puis émigrent en Israël, après avoir été internés à Chypre par les Britanniques. Abba fait la guerre d’indépendance, puis travaille pour les services secrets israéliens. Depuis 1965, il partage sa vie entre Rehovot et Munich. Vice-président du Comité international de Dachau (CID) et membre de la Fondation des lieux de mémoire bavarois, c’est un témoin inlassable dans les écoles et universités allemandes : « La rencontre avec un témoin, comme je l’ai vécu moi-même au cours de 30 années de dialogues avec des milliers d’enfants et de jeunes, est la meilleure prévention contre le poison de l’antisémitisme. » Le projet LediZ (Lernen mit digitalen Zeugnissen), lancé par l’université Ludwig-Maximilians de Munich, préserve les témoignages de survivants de la Shoah, dont Abba Naor, sous forme numérique interactive pour les transmettre aux jeunes.

« Oublier, c’est répéter ! ».
Fils unique, Erich Richard Finsches naît le 11 septembre 1927 à Vienne. Son père emprisonné à Dachau, puis exilé, est interné en France et périt en 1942, tout comme sa mère, déportée et assassinée près de Minsk. Détenu après la Nuit de Cristal, Erich s’enfuit et survit dans la clandestinité à Vienne, puis à Budapest. Résistant, arrêté après un sabotage, il est déporté à Auschwitz l’été 44, puis à Mühldorf am Inn, à l’Est de Munich, un camp satellite de Dachau dont les détenus juifs construisent d’énormes bunkers pour une usine d’avions à réaction Messerschmitt Me 262. Transféré à Kaufering IV, le camp des malades, Erich pèse 29 kilos à sa libération, le 27 avril 1945. Il retourne à Vienne, invalidé par les camps. Alerte sur ses béquilles, à 97 ans, il dénonce la résurgence de l’antisémitisme, appelle à la vigilance : « oublier, c’est répéter ! ».
Leslie (Laci) Rosenthal, 80 ans, est à la fois le plus jeune des survivants et un des plus âgés descendants venus commémorer le 80e anniversaire de la libération du camp. Ses parents, Bela Rosenthal et Miriam Schwarcz, se marient le 5 avril 1944 en Hongrie. Peu après, Bela est déporté au travail dans les Carpathes. Transportée à Auschwitz avec sa belle-famille, Miriam survit à plusieurs sélections, détenue à Plaszow, de nouveau à Auschwitz, puis à l’usine Messerschmitt d’Augsbourg. Sa grossesse découverte, elle est envoyée à Kaufering I, au
Schwanger Kommando, groupe de jeunes mères affectées au lavoir du camp. Kaufering compte 11 camps créés l’été 44, autour de Landsberg am Lech, pour la main-d’œuvre juive des chantiers d’usines souterraines de Me 262. Les conditions de vie y sont effroyables. Cet hiver-là, sept enfants juifs naissent à Kaufering I, avec l’aide du médecin juif hongrois Erno Vadasz et sont libérés par les Américains avec leurs mamans. Miriam et son bébé retrouvent Bela. Ils finissent par s’établir à Toronto. Né le 28 février 1945, Leslie est le plus jeune des « bébés de Kaufering ». Présent cette année à Dachau, pour le tournage d’un documentaire brésilien, George (Gyuri) Legmann est né le 8 décembre 1944. Après la guerre lui et sa mère émigrent de Roumanie à São Paulo. Il est très engagé dans la transmission de la mémoire de la Shoah au Brésil.
Citons ici un autre « rescapé de l’impossible » : Moisej Beniaminowitsch Temkin (1917–2006), officier juif de l’Armée rouge. Capturé en juillet 1941 en Lettonie et visé par le Kommissarbefehl qui ordonne la mise à mort des fonctionnaires et intellectuels soviétiques, il doit être exécuté près du camp de Dachau, sur le site de tir SS d’Herbertshausen, où sont tués plus de 4.000 prisonniers soviétiques. Retiré au dernier moment du rang des condamnés, il survit à Dachau, Mauthausen, Friedrichshafen, Mittelbau-Dora et Bergen-Belsen, où le libèrent les Britanniques. Rapatrié en URSS, il échappe au châtiment des prisonniers de guerre, vus comme des traîtres, et mène une carrière d’ingénieur. Il décrit son parcours dans Aux frontières de la vie[1]. En 1993, il émigre en Israël.
Au-delà de l'enfer
Le Forum international des descendants organisé les 2 et 3 mai 2025 in situ par le Mémorial de Dachau fait découvrir les histoires d’autres miraculés, aujourd’hui disparus, tel Sylvain Kaufmann (1914-1996) militaire juif français, évadé d’un camp de prisonniers en 1940. Arrêté sur dénonciation, il s’échappe du convoi n°53 de Drancy à Sobibor fin mars 1943. Repris, il survit à Auschwitz, puis aux camps de concentration de Varsovie et de Mühldorf. Il relate son expérience dans Au-delà de l’enfer (1987) et Le Livre de la mémoire (1992), témoigne dans de nombreuses émissions TV et radio. Il accompagne le premier voyage scolaire français à Auschwitz-Birkenau.
Médecin radiologue à l’hôpital universitaire de Kovno, Zalman Grinberg[2] (1912–1983), travaille au sein des services médicaux du ghetto jusqu’à l’été 1944, et déporté à Kaufering, y établit un poste de secours pour les malades, surtout des typhiques. Dès la libération, à son initiative, avec l’appui de l’autorité militaire américaine, le monastère de Saint Ottilien devient l’hôpital d’accueil de centaines de déportés juifs, atteints de typhus, tuberculose, dysenterie… Élu président du Comité central des Juifs libérés en zone américaine, il lutte pour leurs droits et leur émigration vers la Palestine mandataire. Fin 1945, Grinberg témoigne aux procès de Dachau, ouverts par les Américains pour juger les criminels de guerre nazis. En avril 1946 il émigre en Palestine, puis, en 1955, aux États-Unis.
Haut lieu de la mémoire concentrationnaire, le Mémorial du camp de Dachau est inauguré le 9 mai 1965. Le Monument international, œuvre du sculpteur juif Nándor Glid, date de 1968. L’exposition permanente actuelle, ouverte en 2003, documente les étapes du martyr juif à Dachau, du meurtre de prisonniers politiques juifs, dès la prise en main du camp par la SS en avril 1933, jusqu’à l’arrivée massive de travailleurs forcés juifs dans les camps satellites à l’été 1944, et ce « train de la mort » venu de Buchenwald, dont la plupart des détenus juifs périssent durant le transport, et que découvrent avec horreur les militaires américains, le 29 avril 1945, à l’entrée du camp.
[1] Témoignage traduit en allemand et édité par l’historien Reinhard Otto : Moisej Beniaminowitsch Temkin, Am Rande des Lebens. Erinnerungen eines Häftlings der nationalsozialistischen Konzentrationslager, Berlin, Metropol, 2017.
[2] Yair Grinberg a édité la version anglaise du témoignage de son père, publié en 1947 en hébreu : Zalman Grinberg, Our Liberation from Dachau. Memories of a Survivor, éd. EOS, 2024.






