Écrit par : Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris
Frédérique Schillo
07/07/2025
Regards n°1117

Israël-Iran : la guerre des espions

L’infiltration totale du Mossad en Iran, révélée pendant la guerre des Douze jours, a stupéfié le monde entier. Les services secrets iraniens tentent aussi de tisser leur toile en Israël, même s’ils sont loin de combattre à armes égales.

Au Mossad, le secret est un art dont l’ombre est la scène. Réputée parmi les meilleurs services de renseignement au monde, l’agence s’est pourtant mise en lumière au lendemain de la guerre contre l’Iran en publiant un communiqué saluant une opération « historique » menée en coopération avec Tsahal et les Américains, son directeur David Barnea soulignant même dans une vidéo combien ses succès avaient transformé l’Etat juif : « Israël est aujourd’hui un pays différent, plus sûr, plus courageux, et prêt à affronter l’avenir. Des objectifs qui semblaient autrefois hors de portée ont désormais été atteints. » Un message à l’adresse des Israéliens comme de leurs ennemis.

Nul doute que cette blitzkrieg restera dans les annales à l’instar de la guerre des Six Jours, autre opération préventive aux succès foudroyants. Pour la première fois depuis 1973, Israël a affronté un Etat avec tout ce que cela implique de puissance symbolique et militaire, d’autant qu’il soutient un réseau terroriste régional. Du Yémen au Liban, en passant par Gaza, il dessine ce que Téhéran appelle « l’Axe de la Résistance » et que Jérusalem voit comme les tentacules d’une pieuvre qu’il a fallu couper une à une suite au 7 octobre pour rétablir son pouvoir de dissuasion. Après avoir détruit en grande partie le Hamas, défait le Hezbollah, provoquant la chute du régime Assad puis l’affaiblissement des proxies syrien et irakien, et riposté aux Houthis, Israël a donc attaqué la tête de la pieuvre.

Et de quelle manière. Au premier jour de l’opération Rising Lion, le 13 juin, ce ne sont pas moins de 200 avions de la Heyl Ha’Avir qui ont largué plus de 330 munitions contre une centaine de cibles situées à plus de 1500 km du territoire israélien. En ligne de mire : les sites nucléaires et le programme balistique iranien, ainsi que les hauts commandants militaires. Les symboles du pouvoir furent ensuite décimés, notamment le ministère du Renseignement et de la Sécurité, siège de son agence de renseignement, le VAJA (Vezārat-e Ettelā’at va Amniat-e Keshvar). 72 heures plus tard, le porte-parole de Tsahal Effie Devrin déclarait : « Nous sommes maîtres du ciel iranien ». Un succès insolent qui tient à l’effet de surprise, combiné à la puissance aérienne et la précision du renseignement.

Comment le Mossad a infiltré l’Iran

Le Mossad prépare cette opération depuis l’aube des années 1990. « Précisément, après que l’Iran et le Pakistan ont signé en 1987 un accord secret de coopération scientifique pour partager les secrets du Dr Khan, le père de la bombe pakistanaise », nous explique l’ancien député et historien Michel Bar-Zohar, auteur de Mossad, les grandes opérations (Plon). « Puis le Mossad a redoublé d’efforts après la découverte de l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz en 2003. Ariel Sharon avait déjà nommé à sa tête son ami Meir Dagan car il voulait un chef du Mossad avec ‘un couteau entre les dents’ capable d’agir contre l’Iran. C’est à ce moment-là que des agents iraniens ont été employés. »

L’infiltration de l’Iran s’est faite avec un incroyable degré de sophistication. En témoigne en juillet 2024 la façon dont le chef politique du Hamas Ismail Haniyeh a été tué dans la chambre d’une résidence des Gardiens de la Révolution au nord de Téhéran, où il venait assister à l’investiture du président iranien. Pour l’opération Rising Lion, le Mossad a pisté pendant un an plus de 250 cibles, incluant les sites nucléaires et stratégiques, des lanceurs de missiles et des chefs militaires. La première nuit de l’attaque, 30 hauts commandants iraniens furent éliminés. En moins d’une semaine, lsraël réussissait l’exploit de tuer le chef d’état-major de guerre Alam Ali Rashid, puis son successeur Ali Shadmani, proche du guide suprême Ali Khamenei.

« Chacun en Iran, même aux plus hauts échelons, doit se demander s’il est connu des services de renseignement israéliens et n’est pas une cible. »

Dans cette opération d’assassinats ciblés baptisée « Narnia », Israël a aussi éliminé les têtes pensantes du programme nucléaire. Ronen Bergman décrit dans Ynet comment 20 officiers du Mossad et de l’Aman (le renseignement militaire) ont choisi les cibles depuis fin 2022. « Les débats furent houleux », confie Yotam, qui dirigeait ce groupe proclamé ‘Forum de la décapitation’, « aucune décision n’a été prise à la légère ». Neuf savants atomiques considérés comme les successeurs de Mohsen Fakhrizadeh, le père du projet nucléaire iranien éliminé en 2020, ont été tués dans leur sommeil lors de l’attaque surprise, sans doute avec des mini drones, puis cinq autres au cours de la guerre.

Le Mossad a d’ailleurs stupéfié le monde en installant lui-même une base de drones près de Téhéran. Fait rare, il a publié une vidéo où l’on voit deux de ses agents activer des drones de nuit en territoire iranien. Pour Sima Shine, ancienne officier de renseignement citée par le Wall Street Journal, cela participe de la guerre psychologique : « Chacun en Iran, même aux plus hauts échelons, doit se demander s’il est connu des services de renseignement israéliens et n’est pas une cible. »

Un combat asymétrique

Rien ni personne n’est censé échapper au Mossad, pas même au plus haut niveau de l’Etat. L’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad a révélé en septembre 2024 sur CNN que Téhéran avait créé trois ans plus tôt une unité pour contrecarrer les opérations israéliennes ; il s’est avéré que le chef de l’unité et 20 de ses membres étaient des agents doubles au service du Mossad.

« Beaucoup d’Iraniens sont opposés au régime et peuvent être mobilisés. En outre, l’Iran est un pays de minorités, les Perses représentant 40% de la population. Le Mossad s’appuie ainsi sur les Azéris, les Kurdes, les Turkmènes. Il y a très peu d’agents qui viennent d’Israël », souligne Michel Bar-Zohar. En 2018, parmi les deux douzaines d’agents du Mossad qui ont infiltré un dépôt secret près de Téhéran, volé 100 000 archives nucléaires et exfiltré le trésor via l’Azerbaïdjan, aucun n’était Israélien, ni dans l’équipe d’exfiltration, ni dans celle chargée de faire diversion pour tromper la sécurité iranienne.

De son côté, le régime des Mollahs tente de tisser sa toile en Israël. Depuis plus d’un an, les arrestations pour « aide à l’ennemi » se multiplient, à raison d’au moins deux par mois. Les affaires vont de la petite tâche anodine à l’espionnage de personnalités politiques ou militaires et des collectes d’informations sur des sites stratégiques en Israël. En octobre dernier, sept résidents arabes de Jérusalem-Est qui projetant l’assassinat d’un scientifique israélien ont été arrêtés. Au même moment, à Haïfa, sept Israéliens d’origine azérie étaient soupçonnés d’avoir mené plus de 600 missions depuis deux ans pour le compte du VAJA.

En majorité juifs, souvent déclassés et amers à l’égard d’Israël, le mobile des espions reste cependant moins l’idéologie que la promesse d’argent facile. Les petites sommes en jeu, la jeunesse des agents recrutés sur les réseaux sociaux et leur amateurisme trahissent aussi l’improvisation des Iraniens. En mars dernier, un jeune technicien de Beersheba, qui avait lui-même initié le contact avec un agent iranien en lui promettant un accès à la centrale nucléaire de Dimona, lui a d’abord envoyé une photo de Google Map, puis l’a effacée, avant d’en envoyer une de son employeur, l’usine d’ammoniac qui sert à former l’eau lourde du réacteur. Le VAJA l’a payé 60 euros. En mai, deux jeunes de 16 et 18 ans ont été arrêtés dans deux affaires distinctes et le 10 juin, c’est un ado de 13 ans à qui le VAJA avait demandé d’écrire des graffitis sur les murs de Tel-Aviv, puis de photographier une batterie du dôme de fer (ce qu’il n’a pas fait), qui a été appréhendé. Des campagnes de désinformation en ligne ont aussi été menées depuis Téhéran, décidant la police et le Shin Bet à communiquer début 2025 sur « les dangers de collaborer avec l’ennemi iranien La peine pour un traître est la mort ou la prison à vie. Ne détruisez pas vos vies. »

En pleine guerre des Douze Jours, une vingtaine d’espions ont été arrêtés. Un phénomène inquiétant mais sans commune mesure avec la pénétration israélienne en Iran. « Sans compter que le Mossad pourrait déjà avoir en sa possession la liste complète des espions iraniens en Israël » suggère Michel Bar-Zohar. « Au lieu de les arrêter en une fois et de prendre le risque que les Iraniens comprennent qu’une taupe du Mossad a mis la main sur cette liste, Israël en arrête toutes les deux semaines. »

Chasse aux espions

En Iran, ce sont 700 personnes qui ont été arrêtées pendant la guerre, accusées de « coopération avec le régime sioniste ». Ebranlé par la précision de l’opération israélienne et craignant un soulèvement populaire, Téhéran procède depuis à une vague d’arrestations et d’exécutions. Trois hommes ont ainsi été pendus le 25 juin à Ournia, dans le sud-ouest de l’Iran, après un procès expéditif basé sur des aveux obtenus sous la torture. Deux d’entre eux étaient des gardes-frontières issus de la minorité kurde, d’abord accusés de fraude sur l’alcool puis d’être liés au Mossad. Des « espions occidentaux » entrés comme touristes auraient également été arrêtés.

Pour Téhéran, la répression est devenue le moyen de masquer sa défaite militaire contre Israël. C’est aussi le symptôme d’un régime paranoïaque à la dérive. « Deux millions de personnes sont liés directement ou indirectement aux services secrets iraniens et à la machine répressive depuis les Gardes révolutionnaires jusqu’à ceux qui procèdent aux exécutions au bout des grues » souligne Michel Bar-Zohar, « mais aucun n’est capable de savoir qui agit pour Israël. Et ça rend fou le régime iranien. » Il sait trop bien que cessez-le-feu ou pas, le Mossad poursuit sa guerre de l’ombre.

Écrit par : Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris
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