07/10/2025
Regards n°1119

Deux ans après le 7-Octobre, Israël, surpuissant et isolé

Deux ans après les massacres du 7-Octobre, Israël a opéré un retournement majeur en multipliant les succès militaires au Moyen-Orient. Mais au prix d’un splendide et dangereux isolement.

Le président égyptien avait fait le déplacement en personne. Le 15 septembre, à Doha, au sommet d’urgence des pays arabo-musulmans organisé par le Qatar suite à la frappe israélienne contre les chefs du Hamas, Abdel Fattah al-Sissi a proposé de rassembler les 22 pays de la Ligue arabe dans une organisation militaire. Avec des moyens mutualisés, une direction tournante et pour principe la défense mutuelle en cas d’agression contre l’un des Etats-membres. Autrement dit, une sorte d’« OTAN arabe » tournée contre Israël. Ce n’est pas la première fois que ce projet de force multinationale arabe est sur la table. À l’origine, Sissi l’avait porté pour lutter contre les groupes terroristes liés à Daesh, puis en 2014 dans le contexte de la guerre civile au Yémen. Cette fois encore, il a échoué à le mettre en forme. Mais le fait que ce projet soit à nouveau débattu, et surtout vise désormais expressément Israël en étant porté par l’Egypte, première nation à avoir signé la paix avec l’État juif en 1979, devrait inquiéter au plus haut point les Israéliens.

Certes, l’Egypte a toujours entretenu une « paix froide » avec Israël sans jamais rompre les liens. L’escalade verbale à laquelle se livre le maréchal Sissi ces derniers mois n’a pas entamé leur relation. Le 5 août, Sissi accusait Israël de commettre « une guerre de famine » et un « génocide systémique » dans le but « d’éradiquer la cause palestinienne ». Deux jours plus tard, il signait un accord avec le champ gazier de Léviathan d’une valeur de 35 milliards de dollars, soit le plus gros contrat d’exportation de l’histoire d’Israël.

Son projet d’OTAN arabe en dit long sur son exaspération après deux ans de guerre destructrice à Gaza. Une guerre aux portes de l’Egypte qui risque de la déstabiliser. Environ 100.000 réfugiés palestiniens ont déjà trouvé refuge au Caire, où ils recréent une « Little Gaza » malgré les obstacles de l’administration égyptienne. Alors que l’offensive sur Gaza-Ville jette 700.000 Gazaouis sur les routes, le maréchal Sissi renforce ses troupes dans le Sinaï et y construit un aérodrome militaire. Faut-il craindre un conflit israélo-égyptien 52 ans après la guerre de Kippour ? On en est loin. Cependant, cette démonstration de force inquiète suffisamment Netanyahou pour qu’il ait demandé à Trump de faire pression sur Sissi afin qu’il réduise sa présence militaire en bordure de Gaza.

La Jordanie au bord de la rupture

L’Egypte n’est pas la seule à être en crise ouverte avec Israël. La Jordanie, autre allié historique, est également au bord de la rupture du fait de la guerre à Gaza et des menaces d’annexion de la Cisjordanie. Plusieurs décisions diplomatiques en témoignent : retrait en novembre 2023 de l’accord sur l’énergie et l’eau conclu avec Israël et les Emirats ; rappel de l’ambassadeur jordanien en Israël, puis expulsion de l’ambassadeur israélien à Amman en mai 2024 ou encore appels à un embargo sur les armes. A la tête d’un Royaume où 60% de la population est d’origine palestinienne, dont sa propre épouse, Abdallah II peine à contenir la colère de la rue. Il a autorisé plusieurs manifestations en soutien aux Gazaouis appelant à rompre tout lien avec l’Etat juif. Rien qui n’altérait la coopération entre services de sécurité, poursuivie en coulisses. Ce n’est plus le cas depuis le 18 septembre : un attentat sanglant perpétré au pont d’Allenby par le conducteur jordanien d’un camion humanitaire destiné à Gaza a entraîné la fermeture temporaire du poste-frontière et une suspension de l’aide jordanienne à Gaza. Au sommet de Doha, Abdallah II a porté l’une des voix les plus dures contre Israël, exhortant ses partenaires arabo-musulmans « à revoir tous nos outils d’action commune pour faire face à la menace de ce gouvernement extrémiste ». Et à l’ONU, fin septembre, il a consacré l’essentiel de son discours à critiquer les projets de « Grand Israël » du gouvernement Netanyahou, qualifié de « non-partenaire pour la paix ».

Autre sujet d’inquiétude pour les Israéliens : la frappe ratée contre les chefs du Hamas à Doha a rapproché les frères ennemis du Golfe. Les Emirats arabes unis et Bahreïn, deux signataires des Accords d’Abraham, une alliance tournée contre l’axe d’influence iranien dont fait partie le Qatar, n’ont pas hésité à se joindre au Sommet de Doha pour condamner « l’agression israélienne brutale contre l’État frère du Qatar, et la poursuite des pratiques agressives d’Israël – y compris les crimes de génocide, le nettoyage ethnique, la famine et le blocus, ainsi que les activités de colonisation et la politique expansionniste – [qui] compromettent toute perspective de paix dans la région. » Le ministre émirati des Affaires étrangères Cheikh Abdullah bin Zayed l’a dit à Netanyahou en marge de l’Assemblée générale de l’ONU pour le convaincre de renoncer à l’annexion. Un coup de semonce au moment où les Accords d’Abraham fêtent leur cinquième anniversaire, et que son architecte Trump rêve de les élargir à l’Arabie saoudite.

Des Israéliens dopés à la force brute

On ne saurait mieux mesurer que dans cette séquence à Doha et New-York le double basculement opéré par Israël depuis deux ans. D’un côté, l’État juif est parvenu à se relever de la tragédie du 7-Octobre et à remporter des victoires décisives pour éliminer les menaces à ses frontières. Dans une mise en scène théâtrale, Netanyahou a rayé leurs noms sur une carte à la tribune de l’ONU : « La moitié des dirigeants houthis au Yémen – disparus. Yahya Sinwar à Gaza – disparu. Hassan Nasrallah au Liban – disparu. Le régime d’Assad en Syrie – disparu. Ces milices en Irak ? Elles sont toujours dissuadées. Et leurs chefs, s’ils attaquent Israël, disparaîtront également. Et les principaux commandants militaires et les plus grands scientifiques nucléaires iraniens… Disparus aussi ». Cependant, le Premier ministre fanfaronnait ainsi devant une salle quasiment vide où il était entré sous les sifflets.

Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane rencontre le roi Abdallah de Jordanie après un sommet d'urgence des dirigeants arabes et islamiques convoqué le 15 septembre 2025 au Qatar pour discuter de l'attaque israélienne du 9 septembre contre le Hamas à Doha. ©Reuters/Saudi Press Agency

Car, c’est le second retournement : à mesure qu’Israël renforçait sa dissuasion en multipliant les coups d’éclat bluffants (affaire des bipeurs, assassinats ciblés au cœur des capitales arabes, attaque de l’Iran), il a suscité le respect, mais surtout la crainte. « Il apparait aujourd’hui comme une puissance déstabilisatrice au Moyen-Orient, un Etat dont même ses partenaires arabes pensent qu’il est préférable de s’éloigner », explique Ethan Ishaï à la conférence organisée fin septembre par le think tank israélien Mitvim.

Or ce rejet suscité par Israël est parfaitement ignoré de l’opinion publique. Pour les Israéliens, le Moyen-Orient est une jungle où seul compte le langage de la force. Le dialogue importe moins que l’intimidation, la diplomatie que la brutalité, la négociation que le fait accompli. Selon l’enquête de Mitvim, si 40% des Israéliens jugent que le conflit à Gaza détériore la position d’Israël dans la région, ils sont autant à croire que la guerre des Douze Jours a renforcé la volonté arabe de normalisation avec l’État juif. 57% sont même favorables à une nouvelle opération contre l’Iran ; un scénario catastrophe pour les alliés des Accords d’Abraham. « Le public israélien doit comprendre qu’on ne peut se reposer exclusivement sur la force sans diplomatie, car l’outil militaire seul va finir par ne plus servir nos intérêts », prévient Ethan Ishaï.

Mais le gouvernement lui-même est sourd aux avertissements. Intervenant lors d’un forum économique à Tel-Aviv au moment de lancer l’offensive sur Gaza-Ville, Netanyahou a prédit qu’Israël allait devenir une « sorte de Super Sparte » ; c’est-à-dire une société ultra-militarisée vivant en autarcie. Une façon de légitimer sa guerre sans fin à Gaza et de préparer l’opinion à de lourdes sanctions. Parmi celles-ci, la reconnaissance par la France et une dizaine de pays occidentaux de l’Etat de Palestine isole encore davantage Israël. Défiant, Netanyahou promet de tout mettre en œuvre pour l’empêcher. Parallèlement, il l’a affirmé à la tribune de l’ONU : « la paix avec le Liban et la Syrie est possible. » Il s’agit en réalité d’accords de sécurité avec Beyrouth et Damas qui seraient de véritables avancées, gages de stabilité régionale, mais certes pas des traités de paix. Qu’importe, Netanyahou entend montrer que seule la force permet d’obtenir la sécurité.

État paria

Cependant, le message ne passe plus. La perspective funèbre d’une « Super Sparte », en contradiction totale avec l’esprit de l’État juif, pensé par Ben Gourion comme « une lumière pour les nations », a provoqué un tollé en Israël et fait dévisser la bourse de Tel-Aviv. Même confiants en Tsahal, même grisés par ses succès militaires, les Israéliens sont épuisés par la guerre à Gaza et las des critiques. La menace sur les accords d’Abraham a convaincu Netanyahou de renoncer à l’annexion de la Cisjordanie. Celle de sanctions économiques, notamment bancaires, et de l’exclusion d’organisations internationales devrait pousser l’opinion à exiger de Netanyahou qu’il accepte le plan en 21 points de Trump pour mettre fin à la guerre à Gaza et libérer les otages. D’autant qu’il rassurera les alliés d’Israël et ouvrira un nouvel horizon avec l’Arabie saoudite. Aucun Israélien n’est prêt à vivre dans un État paria.

Écrit par : Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris
Frédérique Schillo

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