Entre rires et larmes, soulagement et frustration, le retour des otages marque pour Israël la première étape de son relèvement national. Mais comment après avoir vécu le plus grand cataclysme de son histoire passer du traumatisme à la résilience ?
« Tu rentres à la maison ! La guerre est finie, la guerre est finie ! » annonce en pleurs Einav Zangauker à son fils Matan avec lequel elle échange pour la première fois par téléphone après 738 jours de captivité. Peu après, elle pourra enfin prendre dans ses bras, tendrement, sans le brusquer, celui qu’elle appelle « haïm sheli » (« ma vie »).
S’il devait y avoir une image de victoire pour Israël au terme de cette longue guerre, ce serait celle-là : le retour des vingt derniers otages vivants auprès de leurs familles, le 13 octobre, après deux ans de supplice. Omri Miran enlaçant ses deux fillettes, dont la plus petite Alma n’avait que six mois au moment de son enlèvement, le jeune Alon Ohel dont le corps vieilli par la détention bascule en arrière, étonné de découvrir combien ses frère et sœur ont grandi en son absence, les frères Cunio surgissant dans le couloir de l’hôpital pour surprendre leurs compagnes, anciennes otages elles-aussi, Rom Braslavski enveloppé du drapeau d’Israël, les yeux tournés vers le ciel et ce soleil dont il a été privé pendant deux ans, ou encore Eviatar David, apparu squelettique dans une vidéo en train de creuser sa propre tombe dans les tunnels du Hamas, et qui se tient aujourd’hui miraculeusement debout. Tous ont connu la douleur, l’effroi, le doute. Ce sont des survivants.
Des scènes de liesse ont salué leur retour en Israël. A Tel-Aviv, une foule immense s’est rassemblée pour dire sa joie, chanter et pleurer d’émotion dans un moment de communion rare. Un bonheur intense, mais fugace. Car à l’image des otages, la nation a été meurtrie, arrachée à elle-même. Elle reste endeuillée de la pire catastrophe de son histoire : plus de 2.000 personnes, civils et soldats, ont été tuées pendant la guerre, dont 1.221 uniquement lors du 7-Octobre. Alors après deux ans en quasi-apnée, les Israéliens peuvent pousser un soupir de soulagement. Mais il leur faut désormais réapprendre à vivre.
Un lent processus de reconstruction
La première étape passe par le retour des otages ; les vivants comme les morts. « Si les personnes enlevées ne reviennent pas, notre nation ne pourra pas se relever. La guerre ne concernait pas seulement le retour des enfants, mais aussi les valeurs qui nous ont été transmises », souligne Michel Illouz. Son fils Guy, kidnappé au festival Nova, a succombé à ses blessures durant sa captivité. Michel et sa famille ont finalement pu récupérer sa dépouille et lui offrir une sépulture digne en Israël. Il faut saisir la force symbolique que cette mise en terre signifie pour la famille et le pays tout entier. « Le retour des otages est un impératif moral universel », rappelait le président de l’Etat Isaac Herzog au printemps dernier lors de la Marche des Vivants organisée depuis le camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau. Pour le peuple juif, dont l’histoire est une succession de traumatismes et de réhabilitations, la responsabilité collective est érigée en devoir sacré : « Tous les Juifs sont responsables les uns des autres » dit le Talmud.
Cette fraternité, les familles des otages l’ont éprouvée tout le long. Jon Polin et Rachel Golberg, les parents du jeune Hersh, tué en captivité avec cinq autres otages, n’ont cessé, même après les funérailles de leur fils, de porter un ruban adhésif sur lequel ils écrivent le nombre de jour écoulés depuis la prise d’otages – « jusqu’à la libération du dernier ». De même, on a vu des parents d’otages libérés accompagner ceux dont les proches avaient péri entre les mains de leurs geôliers. Trois jours seulement après sa libération, Matan Angrest s’est rendu à l’enterrement de Daniel Peretz, son capitaine de char tué le 7-Octobre, et a même demandé à retourner à Gaza pour ramener le corps d’un autre camarade. Le samedi soir suivant le retour de son fils, au lieu de profiter du bonheur retrouvé en famille, Einav Zangauker est repartie au combat en délivrant un discours combattif place des otages contre la faillite de l’Etat : « Au moment le plus terrible de notre histoire, nous avons été abandonnés… Il n’y avait plus de gouvernement. En son absence, le peuple d’Israël, dans sa diversité, s’est relevé et a passé deux ans à apporter une réponse. »
Les citoyens ont été de toutes les batailles dès le premier jour. Ils ont défendu les kibboutzim quand l’armée tardait à venir. Ils se sont mobilisés en masse après que le renseignement et la technologie censée les protéger derrière la barrière de sécurité hypermoderne se sont effondrés. Quand les services de l’Etat étaient aux abonnés absents, ce sont encore eux qui ont pris soin des 200 à 500 000 personnes évacuées du pourtour de Gaza et de Galilée. Leur retour dans des foyers sûrs constitue la deuxième étape du processus de relèvement national.
Le cessez-le-feu et le retour des otages, c’est encore la victoire du peuple, assure Rachel Goldberg : « Quand nous étions dehors dans les rues avec des pancartes ‘‘Bring Them Home Now’’, les gens se demandaient si cela servait à quelque chose. Eh bien ça a fait la différence. Vous savez comment je le sais ?», demande-t-elle à la journaliste Yonit Levy dans son podcast. « Je le sais parce que le président Trump me l’a dit. On est personne, de complets inconnus. Mais tous ensemble, on est le peuple. Et la voix du peuple a été entendue par le plus puissant décideur de la planète. »
Reste que cette défaillance des autorités laissera des traces. Le 7-Octobre, l’Etat a rompu le contrat social avec ses citoyens et, au-delà, c’est une partie de l’idéal sioniste qui s’est brisée. Peu à peu la confiance a repris dans les institutions, à l’exception du gouvernement, et l’économie a bien tenu le choc. Mais la population reste marquée à vif. Après deux ans de guerre, un tiers des Israéliens souffrent de stress post-traumatique, de dépression et d’anxiété selon un rapport du contrôleur de l’Etat. Les femmes sont parmi les plus vulnérables, qui endossent le rôle de cheffes de famille en l’absence de leurs époux réservistes. Or « le système de santé mentale est mal équipé pour faire face à cette forte demande », déploraient déjà des spécialistes de la résilience réunis dans un séminaire de l’INSS en 2024.
La crainte des suicides des soldats
S’ajoutent 20.000 soldats blessés, parfois avec de lourdes séquelles, dont la moitié au moins présentent des troubles psychologiques. D’autres vont bientôt rentrer, certes sans « gueules cassées » mais brisés de l’intérieur par les horreurs de la guerre. Tsahal craint une vague de suicides ; un sujet qui n’est plus tabou en Israël où plusieurs cas ont défrayé la chronique, notamment la mort cet été de Roï Wasserstein après plus de 300 jours de réserve, que l’armée a fini par reconnaître comme soldat tombé au combat. Tsahal enquête aujourd’hui sur 37 cas de suicides depuis le 7-Octobre, soit trois fois plus que lors de la dernière offensive sur Gaza en 2014 qui avait duré moins de deux mois. Pour la première fois, elle a déployé des thérapeutes sur le terrain à Gaza et met en ligne des services d’assistance psychologique. S’ils veulent se reconstruire, les soldats devront raconter ce qu’ils ont vu et ce qu’ils ont fait. Et il faudra les écouter.
Plus largement, c’est à la société tout entière de mener un travail d’introspection. Puisque la guérison commence par le fait de regarder ses maux en face, la création d’une commission d’enquête d’Etat sur la faillite du 7-Octobre s’impose comme une étape essentielle à son relèvement. Selon une enquête récente de l’IDI, ils sont une majorité écrasante d’Israéliens à le souhaiter à gauche (97%), au centre (85,5%), mais aussi à droite (68%). Cependant, c’est sans compter les efforts de Netanyahou pour empêcher ce qui contribuerait à coup sûr à sa mise en cause. Plus de deux ans après le 7-Octobre, la Cour suprême est obligée de le rappeler à ses obligations, quand il avait fallu à Israël moins de deux mois après la fin de la guerre de Kippour pour créer une commission d’enquête d’Etat et quatre jours seulement après l’assassinat de Rabin.
« Nous atteindrons nos buts uniquement par une cohésion interne et une responsabilité mutuelle, en renforçant ce que nous avons en commun sur ce qui nous divise », plaide le Premier ministre pour mieux diluer sa propre responsabilité. Dans la même veine, il tente de réécrire l’histoire en renommant l’opération « Epées de fer » en « guerre de la Résurrection ». « Vous pouvez changer le nom autant de fois que vous voulez », a réagi le leader de l’opposition Yaïr Lapid sur X, « vous ne changerez rien au fait que, sous votre autorité, la catastrophe la plus terrible depuis la création du pays est arrivée au peuple d’Israël. »
D’un côté Netanyahou se pose en Père la victoire et garant de l’unité nationale en vue des prochaines élections ; de l’autre il s’emploie à diviser en poursuivant ses attaques contre l’opposition, les médias, les juges et tous ceux qui ont le tort de ne pas le flatter. Après avoir blâmé Tsahal et les services de sécurité, Netanyahou s’en prend désormais au peuple : il accuse les manifestants contre sa réforme judiciaire d’avoir permis l’attaque du 7-Octobre. Rien d’étonnant pour celui qui est allé jusqu’à comparer les familles des otages et leurs soutiens qui battaient le pavé à des « milices fascistes ». Israël devrait s’en souvenir si – ultime étape de sa résilience – il entend se relever en conservant ses valeurs d’Etat juif et démocratique : les vingt derniers otages vivants revenus ensemble le 13 octobre comptaient aussi bien les enfants des familles qui avaient manifesté que ceux des familles n’avaient pas voulu ni osé protester. Aux yeux de l’ennemi, ils sont tous les enfants d’une seule et même nation.







