21/09/2021
Regards n°1078

Mendès France, une gauche de l’espérance

En 2021, Pierre Mendès France fait office de mythe politique. Son action et ses prises de position en font un phare pour tous les progressistes. Où réside donc sa modernité ?

On résume un peu trop rapidement Pierre Mendès France (PMF) à un moraliste républicain austère des années 1950. Il y a chez lui évidemment un attachement viscéral à une éthique de la démocratie et de la République, structurée autour de valeurs (la vérité, la liberté, l’honnêteté), mais sa pensée va bien au-delà. Sa foi démocratique, que j’analyse dans mon livre, est à la source de conceptions politiques audacieuses, que ce soit sur le plan des institutions, de l’économie ou encore des relations internationales. Tous ceux qui se réclament du progressisme, du socialisme ou de la gauche démocratique devraient relire ses discours sur l’Europe ou sur l’éducation. De même, il a vu loin et avant tout le monde, sur la décolonisation en essayant de promouvoir une approche graduée et libérale, là où la plupart des dirigeants politiques cédèrent à des politiques purement répressives, en particulier s’agissant de l’Algérie. Mendès France, c’est une gauche de l’espérance, issue de la philosophie des Lumières et de la Révolution française, profondément humaniste et attachée à la raison. Une gauche qui refuse le messianisme marxiste et le ressentiment. Une gauche qui comprend l’économie moderne, qui croit à l’action publique, à l’Etat, à la possibilité d’agir en faveur du progrès social.

À gauche, on a souvent opposé Mitterrand et Mendès France, en considérant le premier comme un intrigant capable de tous les reniements, l’autre en icône intègre… Dans les années 1950, les deux hommes sont très proches. Mitterrand est même ministre de l’Intérieur de Mendès France en 1954 et partage avec lui une vision réformiste de ce qu’on n’appelle pas encore la décolonisation. A partir de 1958 et du retour du Général de Gaulle, Pierre Mendès France et François Mitterrand sont poussés dans l’opposition et incarnent deux stratégies politiques divergentes. Le premier entend construire une alternative au gaullisme sur la base d’un travail idéologique et programmatique rigoureux, s’opposant frontalement au communisme, tandis que le second privilégie la dynamique des accords partisans avec le Parti communiste français pour parvenir au rassemblement de la gauche, quitte à faire des concessions à l’image du programme commun de 1972. C’est aussi une pratique du pouvoir diamétralement antinomique : transparente et ascétique pour l’un ; florentine et romanesque pour l’autre. En raison de la conception qu’il se fait de la démocratie, Pierre Mendès France refuse de participer à l’élection présidentielle et devient très isolé. Adulé, mais isolé. Mitterrand, en revanche, tisse sa toile patiemment, réunit les socialistes puis la gauche et se coule parfaitement, à partir de 1981, dans le moule des institutions de la Monarchie républicaine française. Au fond, PMF est un peu la mauvaise conscience de François Mitterrand.

Très discret sur sa judéité dans la sphère publique, Mendès France a pourtant fait l’objet d’attaques antisémites très virulentes… Pierre Mendès France a reçu une éducation religieuse, mais n’était pas croyant. Il était par ailleurs très attaché à la laïcité. Son rapport au judaïsme est plutôt distancié dans la mesure où il se définit d’abord et avant tout comme Français et patriote et que la religion ne joue pratiquement aucun rôle dans sa vie personnelle. Il appartient à cette catégorie que l’historien Pierre Birnbaum nomme les « Juifs d’Etat », c’est-à-dire les Français juifs parfaitement intégrés dans la société française et qui jouent un rôle majeur dans les institutions publiques. Cependant, tout au long de sa vie il sera poursuivi par l’antisémitisme de ses adversaires. Pendant la guerre, il est même présenté comme le « Juif » par le régime de Vichy dans une grande exposition qui se tient à Paris. Par la suite, il se montrera très attaché à Israël… mais plutôt pour des raisons historiques (permettre aux survivants de la Shoah de construire un foyer national) ou politiques (le droit international) et non pas religieuses.

Écrit par : Laurent-David Samama

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