Antisémitisme, l’efficacité et la limite de la réponse judiciaire en France

Bien que la France et la Belgique aient hérité du Code pénal napoléonien de 1810 et connu des évolutions similaires en matière de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, ces deux pays ont toutefois connu des particularités qui les distinguent en matière de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Gilbert Flam, magistrat et président de la commission internationale de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) nous dresse un tableau de la situation française.

Etes-vous satisfait du dispositif légal en matière répression du racisme et de l’antisémitisme ?
Gilbert Flam La Licra se félicite d’abord de l’évolution positive de la législation française dans ces deux domaines au cours des dernières années. Les discours et les actes racistes et antisémites sont saisis de deux façons par le droit pénal français. S’agissant de la lutte contre les propos racistes et antisémites, la loi sur la presse du 29 juillet 1881 prévoit un certain nombre d’incriminations spéciales qui nous permettent d’appréhender et de réprimer l’ensemble de ces discours haineux : l’injure publique, la diffamation publique et la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence en raison de l’appartenance ou de la non appartenance, réelle ou supposée à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, la contestation de crimes contre l’humanité, l’apologie des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, crimes ou délits de collaboration avec l’ennemi et des crimes de réduction en esclavage. S’agissant de la répression des actes racistes, antisémites et homophobes, elle repose aujourd’hui essentiellement sur l’instauration de circonstances aggravantes à d’autres délits ou crimes du Code pénal.

Plusieurs textes de loi importants adoptés au cours de l’actuelle législature ont fait évoluer de manière positive le cadre juridique de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme en facilitant la poursuite de ces infractions, notamment pour la lutte et la prévention des discours de haine en ligne. En revanche, nous pensons qu’aujourd’hui il faut rompre avec les demi-mesures et sortir les délits racistes, antisémites et xénophobes de la loi sur la presse La LICRA a fait le constat que la loi sur la liberté de la presse n’est plus le bon véhicule pour faire reculer le racisme et l’antisémitisme. Il n’y a rien de pire que le spectacle d’une grande loi devenue impuissante et inappliquée. Nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion sur la nécessité d’inscrire nos lois antiracistes dans le Code Pénal.

Les nombreuses condamnations prononcées pour racisme et antisémitisme n’empêchent pas les récidives. Ces condamnations manquent-elles d’impact social ?
G. F. C’est bien la limite de l’exercice. Il existe effectivement des professionnels du racisme et de l’antisémitisme, qui restent actifs en dépit des nombreuses condamnations pénales dont ils ont fait l’objet. Les réseaux sociaux leur donnent une audience considérable et leur permettent de s’enrichir. Certains même se présentent aux élections présidentielles… Sans doute, faudrait-il que les juges décident plus souvent de prononcer une mesure temporaire d’inéligibilité lors de condamnation pour provocation à la discrimination ou à la haine en raison de la race, de la religion, du sexe ou de l’orientation sexuelle. En même temps, nous devons rappeler que les multiples actions judiciaires intentées contre Soral et Dieudonné ont eu des conséquences importantes sur leurs ressources financières et leur ont rendu plus difficile l’accès aux réseaux sociaux.

La réponse judiciaire est-elle la solution la plus adéquate ?
G. F. Elle est incontournable même si elle a ses limites La Licra constate que les Gardes des Sceaux (ministres de la Justice) successifs demandent de façon récurrente aux procureurs de la République d’être proactifs et de s’assurer que les services d’enquête accueillent les victimes dans de bonnes conditions et qu’ils veillent à la qualité des prises de plainte. La Licra constate en pratique que ces « incitations » ne sont pas toujours suivies d’effet. Les magistrats du parquet « référents », souvent les procureurs de la République eux-mêmes, n’ont pas la disponibilité suffisante et ils s’impliquent peu dans la mise en œuvre des instructions des Gardes des Sceaux, notamment vis à vis des victimes et des associations antiracistes avec lesquelles le dialogue pourrait être très largement amélioré. À la difficulté liée à la faiblesse du nombre de déclarations faites par les victimes d’actes de racisme et d’antisémitisme, il faut ajouter une autre difficulté liée aux « réticences » que nous observons, au niveau des services de police et au niveau des magistrats, notamment des magistrats instructeurs, lorsqu’il s’agit de retenir la circonstance aggravantes d’acte de racisme ou d’antisémitisme. Nous sommes dans une situation comparable par certains égards à la situation que nous avons connu dans le domaine de la lutte contre les violences faites aux femmes avec un certain nombre de dysfonctionnements et de blocages culturels au niveau du recueil des plaintes et au niveau des organes de poursuite. Sans doute la formation des professionnels concernés doit être renforcée et la Licra, à son niveau, y participe parce qu’il nous apparaît essentiel de réfléchir avec ces professionnels sur une dure réalité : le faible taux de signalement des faits de racisme et d’antisémitisme et l’insuffisance de la réponse judiciaire.

Écrit par : Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef
22 bis

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