On y croise des juges fantasques et lubriques, des assassins mélancoliques, un greffier en révolte, une paranoïaque héroïque, un braqueur de banque philosophe et même une jambe de femme inconnue. Certains de ces récits relèvent de la satire sociale, offrant une peinture souvent hilarante des travers et faiblesses des gens de justice. D’autres tournent autour du passage à l’acte, ce moment fascinant de basculement dans une autre réalité, sans retour en arrière possible. Certaines nouvelles avaient déjà été publiées dans des revues et d’autres sont inédites. A travers ces récits où les personnages sont croqués avec un humour féroce et cru, Foulek Ringelheim poursuit sous une forme littéraire sa critique l’institution judiciaire.
Elles traitent toutes du crime en se plaçant à chaque fois du point de vue de la victime. Il y a pourtant une nouvelle qui ne porte pas sur l’univers judiciaire. Intitulée La montre, la casquette et le taliss, elle évoque la disparition du père de Foulek Ringelheim déporté à Auschwitz et assassiné en Allemagne lors des marches de la mort. Ce très beau texte sur la mémoire est plutôt le témoignage d’un enfant qui n’a pas eu le temps de connaitre son père à cause des circonstances tragiques de l’Histoire. Si ce texte éloigne le lecteur des salles d’audience de palais de justice, il apporte toutefois un éclairage sur la quête de justice qui a animé Foulek Ringelheim tout au long de sa vie. « L’absence de son père fut la grande injustice de sa vie. Après la guerre, il ne retrouve que sa mère. Et son père, qui aurait dû être son héros, son rêve d’enfant, n’est pas là. S’il a choisi le droit, la profession d’avocat et enfin la fonction de magistrat, c’est parce que sa propre histoire lui a révélé le caractère douloureux et injuste de la société », explique Danielle Nees, éditrice et fondatrice de Genèse Edition.
Attaché à la justice avec un grand « J »
A l’instar de Foulek Ringelheim, beaucoup d’écrivains exercent une profession parallèlement à leur activité littéraire. Comme s’ils avaient bâti une double vie où l’écriture apparait en contrepoint de leur métier d’avocat ou de juge. C’est peut-être une autre manière pour eux d’aborder la réalité qu’ils traitent quotidiennement dans le cadre de leur métier. Car la plupart des écrits de Foulek Ringelheim portent sur la justice et l’institution judiciaire. « Foulek était profondément et indéfectiblement attaché à la justice avec un grand “J”. Cette vieille obsession très juive l’a accompagné durant toute sa carrière d’avocat et ensuite de magistrat », se souvient Alain Berenboom, avocat et écrivain.
Mais chez Foulek Ringelheim, le combat pour la justice a toujours revêtu une dimension littéraire et poétique. « Déjà comme juriste, Foulek avait beaucoup de style », souligne Alain Berenboom. « Je pense que le droit en tant que tel l’emmerdait profondément. Il n’était d’ailleurs pas un spécialiste d’une matière en particulier. Au départ, il publiait surtout des réflexions sur la justice ». Foulek Ringelheim a effectivement écrit de nombreux articles et des essais très critiques à l’égard du système judiciaire dans lesquels il remettait en question les pesanteurs hiérarchiques, les restrictions excessives à la liberté d’expression des magistrats mais aussi des avocats au sein d’un ordre encore très poussiéreux et corporatiste. Mais sa richesse poétique l’a évidemment conduit à passer plus tard à la fiction. A part Le Juge Goth, il n’a écrit qu’un seul roman : La seconde vie d’Abram Potz. C’est avec ce roman que Foulek Ringelheim a connu le succès auprès des lecteurs et l’estime de la critique. « On reste un peu frustré qu’il n’ait pas écrit plus tôt ni publié davantage », regrette Alain Berenboom. « Je pense que l’écriture était un exercice difficile pour lui. Très perfectionniste, il accordait tellement d’importance à la page qu’il pouvait tourner autour de celle-ci longtemps. Mais le résultat était excellent ».