Avec Sous tes pierres, Jérusalem (Éditions Plon, 2025), Marius Schattner et Frédérique Schillo proposent une histoire dépassionnée d’un sujet particulièrement brûlant : l’archéologie à Jérusalem, en Israël et en Territoires palestiniens. Rencontre avec les auteurs. Ils présenteront leur livre le 6 mars 2025 au CCLJ.
Dans quelle mesure l’archéologie n’est pas une science neutre à Jérusalem ?
Frédérique Schillo : L’archéologie n’a jamais été une science neutre. Dès son émergence au milieu du XIXe siècle, elle a été mise au service des nations et de la foi. C’est encore plus vrai à Jérusalem qu’ailleurs. Fouiller dans la Ville sainte, au risque de détruire, c’est toucher au sacré. Cela éveille naturellement les passions. Avec les premières fouilles au Tombeau des Rois en 1863 ont émergé les premières polémiques, reflétant à la fois les rivalités internationales dans cette ville-monde, et aussi des sensibilités religieuses exacerbées dans une ville trois fois sainte. Cela ne s’est plus démenti jusqu’à nos jours.
Vous soulignez toutefois qu’en dépit de leurs présupposés idéologiques, les différentes écoles archéologiques qui se sont succédées dans cette région ont obtenu des résultats remarquables, qui font qu’on ne peut réduire l’archéologie à Jérusalem et en Terre sainte à un seul usage politique ou religieux. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Marius Schattner : C’est en effet un paradoxe ; nous parlons dans le livre d’une « ruse de l’archéologie ». Ainsi, l’archéologie, en particulier protestante, destinée au départ à prouver la véracité historique de la Bible, a abouti dans une large mesure à son contraire : des pans entiers du récit biblique des origines jusqu’à la conquête de Canaan sont considérés de nos jours comme mythiques par la majorité des archéologues. Cependant, l’existence d’un Royaume d’Israël dès le IXe siècle avant notre ère, puis celle du royaume de Juda jusqu’à sa destruction au VIe siècle ne font plus de doute. On a retrouvé des sceaux, des bulles, des inscriptions qui en témoignent. Même si, à ce jour, aucune trace n’a été trouvée du premier Temple de Salomon, alors que l’enceinte du second Temple rebâti par le roi Hérode est clairement visible. Autre paradoxe, c’est l’occupation par Israël de la Cisjordanie en 1967 et les fouilles qui ont suivi, qui ont finalement apporté le plus grand démenti au récit biblique d’une conquête violente de Canaan par Josué à la tête des tribus venues d’Égypte.
Une nouvelle école israélienne d’archéologie ne s’est-elle pas émancipée de ces considérations idéologiques ?
F.S. : Dans une large mesure, oui, l’image de l’archéologue fouillant la pioche dans une main, la Bible dans l’autre est dépassée. Les archéologues israéliens suivent ici la tendance générale. Ils ont recours à des technologies ultramodernes qui permettent d’affiner la chronologie. L’Université de Tel-Aviv joue un rôle pionnier en la matière. Cependant, le poids idéologique, encore fort, se manifeste chez certains chercheurs dans la volonté de privilégier le passé juif. L’archéologie sert encore trop souvent de titre de propriété sur une terre disputée. Cela est encore plus vrai en ce qui concerne les donateurs, que ce soit l’État d’Israël ou des organismes privés financés par des donateurs juifs ou évangéliques, les deux ayant d’ailleurs pour même dessein de renforcer la colonisation juive. C’est particulièrement frappant dans la cité de David, à Silwan, où les fouilles et des projets spectaculaires sont financés par l’association ultranationaliste Elad.
Bien qu’elles aient servi à légitimer la présence juive, des collaborations scientifiques existent-elles entre archéologues israéliens et palestiniens ?
M.S. : Il n’y a, hélas, aucune coopération. À vrai dire, l’archéologie palestinienne peine à exister. Comment fouiller sans terre ? Il y a bien des chantiers de fouilles, des universités donnent des cours, mais avec très peu de moyens. L’archéologie palestinienne elle-même a beaucoup de mal à s’émanciper de considérations idéologiques. Elle met en avant une soi-disant antériorité cananéenne et minimise tout ce qui a trait au passé hébreu, au nom duquel, en Israël, les ultranationalistes vont jusqu’à dénier l’existence d’un peuple palestinien.