Andrée Geulen, beaucoup plus qu’un simple maillon

Nicolas Zomersztajn
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En rejoignant les rangs de la résistance au sein du Comité de défense des Juifs (CDJ), cette jeune enseignante bruxelloise d’à peine 21 ans contribuera au sauvetage de plus de 300 enfants juifs entre le printemps 1943 et la libération de Bruxelles en septembre 1944.

L’action qu’a menée Andrée Geulen dans la résistance en Belgique renvoie à la singularité du projet génocidaire nazi. Pour la première fois dans leur histoire pourtant jalonnée de massacres, les Juifs sont la cible d’une politique d’extermination totale. Un projet génocidaire où les enfants occupent une place centrale, comme en témoigne précisément le discours que prononce le 6 octobre 1943 l’architecte du génocide, Heinrich Himmler, devant des hauts dignitaires du 3e Reich. « Que fait-on des femmes et des enfants ? », se demande Himmler. « Je ne me sentais en effet pas le droit d’exterminer les hommes et de laisser grandir les enfants qui se vengeraient sur nos enfants et nos descendants. Il a fallu prendre la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre ».

Bien qu’Himmler ne se soit jamais adressé aux Juifs en ces termes explicites, ils ont pourtant vite compris le sort inimaginable qu’il leur réserve dès l’automne 1941. « Si l’on excepte le pharaon qui ordonna de jeter dans le Nil les nouveau-nés hébreux, cela est sans précédent dans l’histoire juive », note en juin 1942 l’historien et archiviste Emmanuel Ringelblum dans son journal du ghetto de Varsovie lorsqu’affluent des quatre coins d’Europe des nouvelles de l’assassinat d’enfants juifs. « Au contraire, dans le passé, […] même dans les temps les plus barbares, une étincelle humaine luisait dans les cœurs les plus durs, et les enfants étaient épargnés. Toute autre est la bête hitlérienne. Elle dévore ceux qui nous sont le plus chers, ceux qui sont le plus dignes de pitié : nos enfants innocents ».

Face à cette situation sans précédent, les Juifs doivent déployer des modes de résistance inédits dont la finalité est d’assurer le salut des Juifs, pour reprendre l’expression de l’historienne française Annie Kriegel. Ainsi, en Belgique occupée, le Comité de défense des Juifs fera du sauvetage des enfants la priorité de son action de résistance. Ce sauvetage ne peut évidemment se concevoir sans un mouvement de solidarité active de la part de la population belge, du moins d’une partie d’entre elle. Le Comité de défense des Juifs a notamment besoin d’institutions et de personnes pour cacher ces enfants mais aussi pour les accompagner jusque dans leurs caches. C’est cette dernière tâche qu’accomplira Andrée Geulen au sein de la section « enfance » du Comité de défense des Juifs.

Loin d’être un simple maillon d’une chaine de solidarité, Andrée Geulen est une véritable combattante de l’ombre. Chaque enfant juif qu’elle sauve est autant de défaites qu’elle inflige aux Allemands dans la guerre exterminatrice qu’ils mènent contre le peuple juif. Pour remplir sa mission, il lui a fallu autant de courage et de détermination que n’importe quel résistant armé. Elle a surtout dû surmonter une contrainte supplémentaire terrible : dissimuler ses sentiments et faire preuve d’insensibilité lorsqu’elle arrache ces enfants de leurs parents sans pouvoir leur révéler où ils sont cachés.

Alors qu’ils étaient traqués comme du gibier par les Allemands dans une indifférence quasi générale, les Juifs de Belgique n’oublieront jamais qu’il y a eu des femmes aussi exceptionnelles qu’Andrée Geulen pour refuser l’idée ignoble qu’on fasse la guerre à des enfants pour les faire disparaître de la terre. C’est dans ce refus évident mais peu partagé par ses contemporains que le mot résistance prend tout son sens

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