Expliquez-nous quel a été votre parcours au sein de la communauté juive de Bruxelles ?
Emmanuelle Einhorn J’ai suivi ma scolarité primaire à l’école Beth Aviv, en y rencontrant Annie Szwertag, une professeure fantastique qui m’a fait prendre conscience de l’importance de la transmission du judaïsme. J’ai fait ma bat-mitzva avec le rabbin Dahan qui m’a énormément appris sur le plan philosophique notamment. Je lui dois mon rapport actuel au Shabbat, avec ses interrogations sur le sens des choses. J’ai fréquenté l’Hashomer Hatzaïr également comme mouvement de jeunesse. Après avoir baigné dans ce qui constituait mes racines, mes parents ont souhaité que je fasse mes secondaires au Lycée Dachsbeck, une école de la ville, neutre, qui a réussi le pari de la mixité et de l’égalité des chances. J’avais personnellement besoin de découvrir le monde et cela m’a donné l’accès aux autres cultures de façon naturelle. Ce n’est que plus tard, avec mes propres enfants, que je suis retournée dans la communauté juive. Ils sont allés à la crèche Nitzanim-Rachel Kemp et ma fille a fait cette année sa bat-mitzva au CCLJ. C’est reparti pour un tour !
Votre identité juive a, dites-vous, toujours été au centre d’un questionnement personnel ?
E.E. Je suis issue d’un couple mixte, de père juif et de mère non juive, d’une famille paternelle plutôt réfractaire à la religion. Très jeune, j’ai été considérée par d’autres enfants comme n’étant pas juive, et cette réflexion s’est logiquement creusée à l’adolescence. Qu’est-ce finalement qu’être juif, quand on n’est pas croyante, pas pratiquante et pas très communautaire ? Mon père, libre-penseur, proche des idéaux du CCLJ, m’a transmis un judaïsme plutôt défini par le sionisme et le lien avec Israël, la transmission de la mémoire de la Shoah et la lutte contre l’antisémitisme. Dans le cadre d’un master en Histoire de l’art et d’archéologie à l’ULB, j’ai eu la chance de suivre les cours de philo de Jacques Sojcher et j’ai découvert Levinas et surtout Edmond Jabès. Quand j’ai vu que mon grand-père possédait justement Le livre des questions dans sa bibliothèque, ça a été un déclic. J’ai compris que ma filiation au judaïsme relevait de la question du sens, de la transmission du Livre. Toutes ces questions qui m’habitaient depuis l’enfance, c’était peut-être cela l’essence du judaïsme.
Vous venez d’une famille d’entrepreneurs qui vous a élevée avec cette volonté d’être votre propre patron, qu’importe le domaine ?
E.E. Effectivement. En sortant de l’université, je ne savais pas ce que je voulais faire, mais je savais que je voulais être indépendante ! J’ai commencé un peu par hasard avec l’achat et la revente de vieux papiers, d’archives, grâce à un ami de la famille numismate, devenu mon mentor, qui m’a formée sur le contenu. J’achetais d’abord sans trop d’ambition, mais j’ai vite compris le potentiel de cette activité. Je me suis spécialisée dans le design historique du 20e siècle, de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre. J’ai ouvert un point de vente et un site 20emesiecle.be, avant de compléter ma formation à Solvay Entrepreneurs pour avoir les acquis en business. Très tributaires des marchés, on a décidé avec mon mari de fermer le point de vente pour se concentrer sur le site. Depuis trois ans, je travaille par ailleurs chez BECI qui fédère la Chambre de Commerce et l’Union des entreprises, comme responsable du département Starters, engagée notamment sur les questions de diversité.
Comment êtes-vous arrivée au CCLJ et dans quel état d’esprit prenez-vous ces nouvelles fonctions à la direction générale ?
E.E. Continuer ou non dans le secteur marchand était une question que je m’étais déjà posée, et quand Benjamin Beeckmans, le nouveau président, m’a parlé de ce poste, cela m’est apparu comme une évidence par rapport à mon judaïsme. J’ai cette curiosité, cette soif d’apprendre. On sait les combats qui nous attendent vu l’importance du CCLJ dans et en dehors de la communauté, et c’est peut-être le bon moment pour moi de pouvoir y apporter quelque chose. C’est peut-être aussi un bon moment pour le CCLJ. On est à 60 ans, et on a dit jusque 120, n’est-ce pas ? Il est important de se renouveler au vu des changements sociétaux, en gardant bien sûr ce qui a animé le CCLJ toutes ces années. Je ne suis pas là pour changer le monde, mais pour le faire avancer comme je peux, pour refédérer le CCLJ autour de son ADN de base et trouver notamment du liant entre tous ceux qui font le CCLJ d’aujourd’hui.