Iannis Roder, professeur courage

Laurent-David Samama
Directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean Jaurès et responsable des formations au Mémorial de la Shoah de Paris, Iannis Roder connaît bien les dérives communautaristes et antisémites auxquelles sont confrontées les écoles dans les quartiers populaires en France. Une réalité qu’il connait en tant qu’enseignant et en tant que spécialiste de l’enseignement de la Shoah.
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Il a le regard déterminé de ceux qui agissent sans s’arrêter au premier obstacle barrant le chemin. Iannis Roder, fringant quinquagénaire, se fait désormais entendre par le grand public. Le voilà « bon client » médiatique, jonglant entre les plateaux de télévision et de radio, tantôt sur France Inter et Quotidien, tantôt auprès de la Fondation Jean-Jaurès pour laquelle il officie en qualité de directeur de l’Observatoire de l’éducation. Son directeur des études, Jérémie Peltier, dresse un élogieux portait : « Iannis, c’est un érudit. Un prof en première ligne qui a la passion de ses élèves et de l’Histoire. Quelqu’un qui ne compte pas ses heures pour former, expliquer, défendre la laïcité et la République. Un fidèle parmi les fidèles, fiable et loyal ». Ceux qui croisent la route de Roder dressent unanimement le même éloge, soulignent des valeurs héritées du rugby, « un sport qu’il pratique et qu’il adore ».

Agrégé d’Histoire, enseignant depuis 1999 dans un collège de Zone d’Education Prioritaire (ZEP) du 9-3, Roder ne tarde pas à se spécialiser dans l’Histoire du génocide des Juifs, jusqu’à devenir responsable des formations au Mémorial de la Shoah. C’est à cette passion de la transmission et des origines, à cette double casquette de prof et de chercheur, qu’il consacre les premiers mots de son essai, Sortir de l’ère victimaire, publié en 2020 aux éditions Odile Jacob. « Il y a vingt ans, écrit-il, fraîchement nommé dans mon collège de Saint-Denis, je me lançai dans l’enseignement de l’histoire de la Shoah avec une passion teintée d’enthousiasme. Je parlais à mes élèves des victimes, évoquais avec gravité le drame absolu que représentait à mes yeux cet événement historique. J’organisais des rencontres avec des survivants, je faisais lire à mes élèves des témoignages émouvants et insistais sur l’horreur que furent les ghettos et Auschwitz. Mais une partie de ces derniers ne supportait pas mon discours. Ils en avaient assez de la souffrance des Juifs, me disaient-ils, car ‘’d’autres peuples ont souffert et on n’en parle jamais !’’ Certains affichaient même leur admiration pour Hitler ‘’qui n’avait pas fini le boulot » ou « qui aurait fait un bon musulman’’. Ces jeunes adolescents exprimaient un antisémitisme violent et décomplexé ». Naitra de cette expérience un trouble puis une prise de conscience : dans sa forme initiale, l’enseignement de la Shoah devenait moins évident et surtout de plus en plus contre-productif. Roder décidait donc de le ré-envisager. De le remettre au goût du jour pour qu’il reprenne de sa force, de son intérêt premier. Sa méthode : une nouvelle approche, moins axée sur les victimes et leurs souffrances mais sur les mécanismes de la montée en puissance de la bête immonde. En somme, remplacer l’émotion par la raison.

Moteur d’une nouvelle pédagogie

La méthode fonctionne ! Plébiscité de toutes parts, voilà Iannis Roder moteur d’une nouvelle pédagogie. Demeure pourtant une angoisse qui monte : comment enseigner à l’époque de la décapitation de Samuel Paty, de la montée en puissance de l’idéologie victimaire et de la prégnance de l’islamisme ? « Cela fait 20 ans que nous avons écrit un livre qui s’appelle Les territoires perdus de la République. Cela fait 20 ans que nous tirons le signal d’alarme », clame Roder. « L’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty le 16 octobre 2020 par un terroriste islamiste à Conflans-Sainte-Honorine a remis en lumière de façon macabre la réalité que vit une partie des enseignants de France depuis plusieurs années maintenant, faite de violence, d’autocensure, de situations de conflit dans les classes liées à l’enseignement de certaines matières ou le traitement de certains sujets », poursuit-il. Pour mesurer la gravité de la situation, Roder a mis en place avec la Fondation Jean-Jaurès*, l’Ifop, Jérôme Fourquet et François Kraus un dispositif d’enquête ambitieux, l’Observatoire des enseignants. Comme un thermomètre pour éviter, comme le titrait récemment Charlie Hebdo, « que Dieu ne barre la route à un prof sur deux ».

https://jean-jaures.org/nos-productions/les-enseignants-de-france-face-a…

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