Je lis, tu lis, ils écrivent… Le Château des Rentiers, Agnès Desarthe, Éditions de l’Olivier 215 p.

Henri Raczymow
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La rue du Château des Rentiers, au nom si étrange, est celle, dans le XIIIe arrondissement de Paris, où vécurent les grands-parents de la narratrice (en l’occurrence l’auteure), Boris et Tsila Jampolski, au 194 exactement. À cette adresse, du temps où Agnès était enfant, ses grands-parents formaient avec leurs voisins une espèce de colonie, de kibboutz, de kolkhoze, de phalanstère composé de Juifs communistes originaires de Bessarabie. Agnès se souvient de certains d’entre eux. Sa mémoire est parcellaire bien sûr, et tous ces gens qui avaient connu des pogroms et avaient traversé la guerre ont disparu depuis longtemps. À qui, aujourd’hui, poser des questions quand on est enfant, qu’on croit qu’on a l’éternité devant soi ? Dès lors, on suppose qu’Agnès Desarthe va nous parler plus avant de ses grands-parents. Mais non. C’est simplement leur exemple de vie quasi collective qui la fascine. Et pourquoi ne pas imaginer, pour elle et ses amis, ici et maintenant, une telle vie partagée, où l’on pourrait se rendre visite, comme les vieux, en chaussons ? Une sorte d’hospice autogéré, une utopie à la Charles Fourier. Puis viennent, à la queue-leu-leu, en courts chapitres, des anecdotes parfois cocasses dont une vie d’écrivaine est parsemée et dont chacune pourrait être une nouvelle. Des rencontres avec des lecteurs, en province ou à l’étranger, qui tournent à l’absurde, au saugrenu.

Des évocations de sa mère, qui fut une enfant cachée (dans une ferme en Normandie) et qui témoigna pour la Fondation Spielberg, tentant, devant la caméra, de formuler l’attente (déraisonnable) qui fut la sienne d’un père, Haïm Sudac, mort en déportation. « Elle faisait partie », dit Agnès Desarthe, « de ces milliers de personnes qui, comme elle, considérèrent, un temps, que leurs proches étaient à la fois vivants et morts ». C’est un curieux livre que ce livre-là. Ce n’est pas un roman, ce n’est pas une autobiographie (même si c’est à la première personne), ce n’est pas un essai. C’est peut-être une conversation intime avec un proche, à bâtons rompus, sans chichi. Où il serait question d’un deuil à faire, celui d’un proche qu’on a longtemps côtoyé, ou celui d’un être, tout aussi essentiel, mort avant notre naissance, sans sépulture. Une réflexion, au passage, sur la vieillesse, quand on atteint l‘âge où notre peau ne suscite plus guère l’envie qu’on la touche. Agnès Desarthe ou l’art de nous entretenir de sujets graves, voire accablants, mais avec une sérénité salutaire. Comment le lui reprocher ?

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