A l’heure où les médias crient à la sinistrose, Jean Birnbaum ose brandir « Le Monde des livres » comme « un miracle de la presse française ». Pouvoir concevoir, toutes les semaines, un cahier littéraire au sein de ce grand quotidien français relève d’une exception culturelle. Une exception à laquelle le jeune rédacteur en chef donne une teinte personnelle. Il nous reçoit dans la cafétéria du journal pour en parler à livre ouvert, autour d’un gâteau fait maison par son fiston. Curieux de tout, le journaliste s’enquiert de notre parcours avant d’évoquer le sien.
Jean voit le jour en 1974. S’il grandit parmi les livres et les piles du Monde, c’est parce qu’il est issu d’une famille d’intellectuels, « pour qui les textes et les idées occupent une place centrale dans la vie. Je me revois, assis sur les genoux de mon père, tapant sur sa machine à écrire ». Pierre Birnbaum est historien, sociologue et professeur à la Sorbonne.
Au fil des années, cet essayiste -spécialiste de la sociologie de l’Etat- se distingue pour ses recherches sur l’histoire des Juifs de France. Il étudie l’affaire Dreyfus, l’antisémitisme ou la façon de concilier judéité et identité républicaine. Une question qu’il prolonge à la maison « sur un mode universaliste progressiste ». Jean se souvient que « la transmission de cette culture compliquée passait par le silence. Quand j’étais petit, le mot “juif” était peu prononcé, mais il était présent à travers le goût des textes et l’obsession de la transmission. A l’instar de Derrida, je revendique mon identité juive, mais je refuse de me laisser enfermer dans un “NOUS” communautaire ».
Le futur journaliste évolue entre un père qui fut enfant caché et une mère agrégée de lettres classiques ayant perdu sa famille dans les camps. « La Shoah constituait une toile de fond qui n’avait pas besoin d’être nommée. Cette conscience impliquait une attention à la souffrance humaine, à l’oppression dans le monde et donc à sa remise en question ». Le jeune homme plonge dans les ouvrages politiques, avant de découvrir la littérature romanesque, « une autre façon d’éclairer nos vies et l’Histoire ». Pas étonnant qu’il s’oriente vers des études d’histoire.
Birnbaum publie deux essais sur la transmission intergénérationnelle de l’espérance politique et un livre d’entretien avec Derrida, Apprendre à vivre enfin. Il fait son entrée au Monde en 1999, rayon non-fiction, puis chargé des idées et des sciences sociales. L’union de ses passions va éclore lors de sa nomination à la tête du supplément littéraire. « Explorer et renouveler un rapport au monde passe par un débat d’idées, où les livres sont omniprésents ». Le regard vert pétillant, Jean Birnbaum y mêle les univers, les savoirs et les plumes. Il a ouvert les colonnes à des signatures extérieures (auteurs, penseurs, chercheurs ou artistes), « afin de varier les tons, les sensibilités et la façon de faire rayonner les textes ».
Se réinventer, le vrai défi
Une ligne critiquée, largement imitée depuis. L’excellence est le maître mot de ce rédacteur en chef, qui prône le nivellement par le haut et « la pédagogie dans le journalisme culturel ». Encore un héritage de son père, qui lui avait offert la New York Review of Books pour ses 20 ans. Une référence qui va à l’encontre du pessimisme ambiant. Jean évolue avec son temps, il décline « Le Monde des Livres » sur internet et les tablettes. « Il s’agit d’un laboratoire expérimental pour sauvegarder le lien entre la pensée écrite et quelque chose qu’on nommera encore le livre. N’avons-nous pas cessé de nous réinventer ? » Le défi est de taille, mais il se bat avec son équipe pour ne pas se laisser intimider par la médiocrité ou le mépris. « Le vrai pouvoir est dans les livres, c’est là que j’ai tout appris. Ils restent un objet de détestation pour ceux qui en veulent à la liberté et au sens critique. Voilà pourquoi il vaut la peine de continuer à les défendre. Optimiste, voire serein, je suis persuadé que les gens qui restent fidèles au livre formeront une belle alliance ».