Ils sont devenus nombreux à penser que la gauche doit construire son image sur une ligne antisystème en usant et abusant d’une rhétorique populiste. C’est le cas du PTB en Belgique et de LFI de Jean-Luc Mélenchon en France. Cette orientation assumée sans le moindre scrupule va à l’encontre de gauche de la raison et de l’espérance incarnée par Pierre Mendès France dont on a commémoré le mois dernier les 40 ans de sa mort.
Jamais un homme politique français n’aura gouverné aussi peu de temps (sept mois et 17 jours entre juin 1954 et février 1955) et marqué autant l’histoire politique française. A tel point que Pierre Mendès France est devenu synonyme de rigueur morale, d’honnêteté intellectuelle, d’intelligence, de sens l’Etat et surtout d’intégrité portée à son plus haut point. « L’idée de la rigueur, de l’intransigeance le refus du slogan, le refus de l’affirmation péremptoire, mais au contraire la volonté de démontrer, pour moi c’est cela l’école de Mendès France », a bien résumé Daniel Mayer, dirigeant socialiste français, grand résistant et président de la Ligue des droits de l’homme entre 1958 et 1975.
On imagine sans peine que Pierre Mendès France aurait très peu goûté des saillies violentes que Jean-Luc Mélenchon adresse aujourd’hui aux journalistes (« menteurs », « tricheurs », « perruche », « larbin », « connard »). Car durant toute sa vie politique, Pierre Mendès France n’a jamais insulté personne. Il a surtout subi les pires insultes, notamment celles qui visaient sa judéité. En août 1940, il est désigné par la presse de Vichy comme le « député juif Mendès France ». Lorsqu’il est Premier ministre entre 1954 et 1955, un député d’extrême droite n’hésite à l’appeler « Mendès Israël ». Un autre député l’interrompt en plein débat à l’Assemblée nationale en criant « Ferme ta gueule, le circoncis ». Il réagit alors très calmement en lui répondant non sans humour : « Votre femme est trop bavarde » ! Même le dirigeant communiste Jacques Duclos, pourtant adepte de la fraternité entre les peuples, se complait dans la haine antisémite lorsqu’il qualifie Mendès France de « petit Juif peureux ».
Ardant patriote à la foi indéfectible dans les valeurs de la République française, Pierre Mendès France n’a pourtant jamais dissimulé sa judéité. Et s’il l’avait fait, les antisémites se seraient fait un plaisir de le lui rappeler de manière ordurière. Dans un entretien qu’il a accordé à l’Arche en 1976, Pierre Mendès France a déclaré qu’il « reste intrigué et impressionné par le fait juif ». Il y voit une « sensation », « une sensibilité » « et donc une réalité » même si, à travers son expérience personnelle, il penche plutôt pour l’analyse sartrienne selon laquelle le Juif se découvre comme tel dans le regard de l’antisémite.
Son rapport à Israël n’aurait pas non plus manqué de susciter aujourd’hui des tensions à cause de l’antisionisme dont fait preuve la gauche radicale. Pierre Mendès France a toujours vu dans l’Etat d’Israël une formidable illustration de la volonté et la détermination en politique. Allié solide (il a contribué à l’intensification de la coopération secrète franco-israélienne dans le domaine nucléaire) et lucide d’Israël, Pierre Mendès France est convaincu qu’Israël a le droit d’exister dans la paix et la sécurité. Cette conviction bien ancrée ne l’a jamais empêché de chercher à œuvrer pour la paix entre Israéliens et Palestiniens. En 1977, il a présidé à Paris aux rencontres secrètes entre le général israélien Matti Peled et le représentant de l’OLP Issam Sartawi. Le 3 juillet 1982, soit quelques mois avant sa mort, il s’est joint à Nahum Goldmann, ancien président du Congrès juif mondial et à Philip Klutznick, vice-président du Congrès juif mondial et Secrétaire d’Etat au trésor des Etats-Unis sous Jimmy Carter, pour publier en pleine guerre du Liban une tribune appelant les deux parties à une reconnaissance réciproque et à l’autodétermination du peuple palestinien.
Aujourd’hui, sa pensée doit encore inspirer tous les démocrates sincères et son exemple doit les guider dans leur action politique : parier sur l’intelligence et la raison, ne pas se cramponner aux dogmes et ne jamais considérer que la fin justifie les moyens.