Aujourd’hui, ce n’est pas avec joie ni fierté que nous posons notre regard sur ce pays que nous aimons et auquel nous sommes profondément attachés.
Les dernières élections législatives qui ont vu la victoire de la droite nationaliste, des ultra-orthodoxes et surtout de l’extrême droite religieuse constituent une nouvelle étape dans la banalisation du racisme et l’affaiblissement des fondements démocratiques d’Israël. Car sans surprise, le pays sera gouverné par sa coalition la plus religieuse, la plus intolérante et la plus nationaliste de son histoire.
Notre attachement à la démocratie, à l’Etat de droit et aux libertés fondamentales nous empêche de nourrir la moindre sympathie pour une coalition gouvernementale comprenant un parti raciste, ségrégationniste, homophobe et violent. L’idéologie que diffuse Otzma Yehudi, le parti nationaliste religieux dirigé par Itamar Ben Gvir, va à l’encontre des valeurs humanistes que notre éducation juive nous a inculquées et des principes démocratiques que nous défendons en Belgique.
L’idéologie d’Otzma Yehudi se traduit par la violence et la discrimination raciale envers les Arabes, la haine de la gauche, des juges, des Juifs libéraux ou réformés, des homosexuels et l’obsession raciste de l’interdiction des rapports et des mariages entre Juifs et non-juifs. Elle exprime surtout la volonté politique de se débarrasser de la démocratie pour instaurer un régime d’inspiration théocratique entre la Méditerranée et le Jourdain où les Juifs dominent les minorités non-juives réduites à un statut d’infériorité. Dans une telle perspective, ce futur gouvernement sera plus enclin à opprimer les Palestiniens de Cisjordanie et moins enclin que jamais à se séparer d’eux et de certaines parties de la Cisjordanie pour qu’un Etat palestinien y soit créé.
D’aucuns nous diront que notre inquiétude est exagérée car la démocratie est bien enracinée en Israël et cette coalition de droite et d’extrême droite ne peut défaire ce qui a été solidement construit en plus de 70 ans de vie démocratique. Peut-être mais l’usage idéologique de l’identité juive que tous les partis de cette coalition font sans cesse ne fait que renforcer cette inquiétude. Ils invoquent tous le judaïsme dont ils ont une conception ethnoraciale qu’ils brandissent comme un étendard politique. Ils agitent la religion de la même manière qu’Orban en Hongrie, le PiS en Pologne, le Front national en France, Meloni en Italie, Erdogan en Turquie, Bolsonaro au Brésil et bien entendu Poutine en Russie.
Nourris par les idéaux de justice et d’émancipation du sionisme, nous ne pouvons accepter qu’Israël devienne un maillon de la chaine hideuse des démocraties illibérales, toutes déterminées à détruire l’Etat de droit et les droits fondamentaux que nous défendons en Belgique et Europe.
En tant que Juifs attachés à Israël, il ne s’agit pas pour nous de remettre en cause le résultat d’un scrutin démocratique auquel nous n’avons pas participé mais de rappeler que le 14 mai 1948, les Pères fondateurs d’Israël ont scrupuleusement pris soin d’inscrire dans le marbre de la Déclaration d’indépendance que l’Etat d’Israël « sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d’Israël; il assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe; il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture; il assurera la sauvegarde et l’inviolabilité des Lieux saints et des sanctuaires de toutes les religions et respectera les principes de la Charte des Nations unies ».
Rien n’indique que la nouvelle majorité parlementaire soit prête à inscrire son action gouvernementale dans le respect de cette Déclaration figurant pourtant au sommet de la hiérarchie des normes légales israéliennes. Nous espérons nous tromper. Il en va de l’avenir de d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique.